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    L'actu vue par REMAIDES : "Prep en France : une augmentation trop limitée"

    • Actualité
    • 30.11.2023

    données epi-phare prep

    Par Jean-François Laforgerie et Fred Lebreton 

    Prep en France : une augmentation trop limitée

    Chaque année, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) révèle les chiffres des prescriptions de la Prep en France, à travers son enquête Epi-Phare. Les chiffres actualisés au 30 juin 2023 montrent une poursuite de la diffusion de la Prep en France au cours de la dernière année. Une augmentation qui reste néanmoins encore trop limitée et notamment chez les femmes, toujours très éloignées de cet outil de prévention. Explications.

    Combien de personnes sous Prep ?

    Depuis 2017, Epi-Phare, groupement d’intérêt scientifique associant l’ANSM et la CNAM (Caisse nationale d’Assurance maladie), réalise le suivi annuel de l’évolution de l’utilisation de la Prep en France à partir des données du Système national des données de santé (SNDS). Les chiffres actualisés au 30 juin 2023 montrent la poursuite de la diffusion de la Prep en France au cours de la dernière année, avec plus de 20 000 nouvelles initiations entre juillet 2022 et juin 2023, soit près de 1 700 par mois en moyenne. Fin juin 2023, le nombre de personnes de 15 ans et plus ayant initié la Prep en France depuis 2016 s’élevait à 84 997 personnes, un chiffre en augmentation de 31 % par rapport à fin juin 2022. Mais ce chiffre ne tient pas compte des personnes qui ont arrêté la Prep entre 2016 et 2023. Pour avoir une photographie de la Prep en France en 2023, il faut donc se concentrer sur une autre donnée fondée sur les remboursements de Prep. Le nombre total de personnes utilisant effectivement la Prep (en initiation ou en renouvellement) est de 52 802 personnes au premier semestre 2023, soit 10 179 personnes de plus (+ 24 %) par rapport au premier semestre 2022. Le nombre d’initiateurs-rices est passé respectivement de 9 383 à 10 041 (+ 7 %), et le nombre d’usagers-ères en renouvellement respectivement de 33 240 à 42 761 (+ 29 %). Depuis 2020, de l’ordre de 90 % des usagers-ères à chaque semestre sont en renouvellement.

    Qui prend la Prep ?

    Globalement, les personnes ayant initié une Prep VIH en France entre le 1er janvier 2016 et le 30 juin 2023 sont principalement des hommes (97 %), âgés de 36 ans en moyenne. La grande majorité (71 %) résidait dans des communes appartenant à des unités urbaines de plus de 200 000 habitants. Par exemple, au premier semestre 2023, 36,5 % des personnes sous Prep résidaient en Île-de-France (dont 18,5 % à Paris). Les initiateurs-rices de Prep résidaient dans des communes dont le niveau d’accessibilité aux médecins généralistes atteignait 4,5 consultations par an et par habitant en moyenne, soit un niveau plus élevé que la moyenne nationale établie à 4,1. L’âge moyen à l’initiation de la Prep (33 ans) est resté stable depuis 2020.

    En revanche, l’augmentation régulière de la part des femmes, observée depuis plusieurs années, s’est poursuivie au cours de la dernière année pour atteindre 4,6 % au premier semestre 2023. Une augmentation qui reste largement insuffisante quand on sait qu’en France, les femmes représentent 31 % des nouveaux diagnostics VIH (données 2022 de Santé publique France). On sait également que 8 % étaient bénéficiaires de la CSS (Complémentaire santé solidaire). La proportion de bénéficiaires de la CSS (Complémentaire santé solidaire) est en hausse régulière. Elle a atteint 8,9 % au premier semestre 2023, mais moins de 1 % des personnes bénéficiaient de l’AME (Aide médicale d’État). Ce très faible taux montre que les personnes étrangères vivant en France n’ont pratiquement pas accès à cet outil de prévention, alors même que ce groupe est particulièrement exposé au risque d’infection.

    Au cours l’année 2022 et du premier semestre 2023, la lente diffusion de la Prep aux groupes de population autres que les HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes) des grandes métropoles s’est poursuivie, tout en restant limitée. La part des usagers-ères de Prep résidant à Paris ou sa petite couronne (les départements 92, 93 et 94) et en PACA (Provence-Alpes Côte d’Azur) a poursuivi sa baisse au profit d’autres régions métropolitaines, de la grande couronne parisienne et des départements et régions d’Outre-mer. Les initiations de Prep ont aussi, de plus en plus souvent, concerné des femmes, des personnes bénéficiaires de la CSS, et des personnes résidant en milieu semi-urbain ou rural. Toutefois, les usagers-ères de Prep restent encore principalement des hommes résidant en Île-de-France ou dans une grande métropole, parmi lesquels la proportion de personnes en situation de précarité est faible et le niveau d’accès aux soins primaires est plus élevé que pour la moyenne des Français-es.

    Qui prescrit la Prep ?

    Dans le contexte de l’élargissement de la primo-prescription de la Prep à l’ensemble des prescripteurs-rices mis en place depuis le 1er juin 2021, les initiations de Prep prescrites en ville, en particulier par des médecins généralistes, sont en augmentation continue. Les prescriptions de renouvellement de Prep par des médecins libéraux-les sont également en hausse. Ainsi, au premier semestre 2023, ce sont 42 % des prescriptions d’initiation et de renouvellement de Prep qui ont été effectuées par des médecins libéraux-les, dont près de 90 % par des médecins généralistes.

    Des arrêts précoces de la Prep 

    Parmi les personnes ayant recours à la Prep, le taux de maintien du traitement préventif d’un semestre à l’autre est élevé, de l’ordre de 90 % depuis 2020. Toutefois, dans la période précoce des six premiers mois suivant l’initiation de la Prep, une part substantielle des nouveaux-lles usagers-ères ne reçoit aucune délivrance de renouvellement de la Prep. De telles interruptions précoces de la Prep, dont la fréquence est en hausse, concernent actuellement près de 30 % des personnes initiant la Prep. « L’impact délétère majeur des interruptions de traitement sur le niveau d’efficacité préventive de la Prep en vie réelle a été démontré dans une étude menée par EPI-PHARE », précise le rapport.

    Et si la Prep avait un genre ?

    Doctorant et chercheur en science politique, Hippolyte Regnault est en train de faire une thèse sur la Prep. Lors du colloque d’Actions Traitements (« Femmes et VIH : entre invisibilité et inégalités de genre », 15 novembre 2023), le jeune chercheur est revenu sur « l’ignorance » des femmes quant à l’existence même de la Prep. « Comment peut-on rendre un public ignorant et absent d’un outil révolutionnaire [la Prep, ndlr] ? », se demande Hippolyte Regnault. « L’ignorance est un objet social, résultat d’une production active (pas forcément intentionnel) », abonde-t-il. Dans une interview accordée au média en ligne Manifesto 21 le 1er décembre 2022, Hippolyte Regnault se posait déjà la question de l’absence des femmes dans l’accès à la Prep : « Pourquoi les femmes cis ne représentent que 3 % des utilisateurs-rices de la Prep, quand elles représentent environ 35 % des nouvelles infections par le VIH en Europe ? Il y a un gap considérable entre ces deux chiffres, et le constat est alarmant : il y a un besoin de santé publique, un outil qui fonctionne, mais beaucoup de personnes concernées ne s’en saisissent pas », déplore le chercheur. Comment peut-on expliquer ce décalage ? « En termes de recherche, de promotion et de communication, la Prep a été pensée avec et autour des HSH. Des hommes cisgenres, blancs, plutôt citadins et surtout de classe moyenne ou aisée », souligne le doctorant.

    Par ailleurs, Hippolyte Regnault insiste sur un autre frein important selon lui et qui concerne les schémas de prise de la Prep : « : Si la Prep peut se prendre en continu, comme une pilule, on peut aussi la prendre « à la demande », c’est-à-dire de façon ponctuelle, avant et après un rapport à risque. Ce schéma de prise permet certes d’adapter le médicament à sa sexualité, mais son efficacité n’a été démontrée que pour les personnes assignées « homme » à la naissance, pour la raison assez simple que la très grande majorité de participants-es de l’étude étaient des hommes cis gays. En fait, on n’a pas pu tester la protection de la Prep « à la demande » dans les muqueuses vaginales.  Autrement dit, aujourd’hui en France, on ne prescrit pas la Prep « à la demande » aux personnes ayant des relations vaginales réceptives. Ce n’est pas possible pour les femmes cis, les personnes transmasc et non-binaires assignées « femme » à la naissance, et c’est encore très flou pour les personnes transfem ayant effectué une vaginoplastie. En pratique, ces personnes ne peuvent pas passer d’un schéma de prise continu à un schéma discontinu, pour adapter le médicament à leur propre sexualité. À mon sens, c’est l’un des éléments centraux permettant d’expliquer que les hommes cis gays soient presque les seuls à utiliser la Prep comme moyen de protection de l’infection par le VIH ». 

    Un outil d'autonomie et de liberté pour les femmes

    Le 21 novembre dernier, lors d’une conférence de presse organisée à Paris pour présenter la nouvelle campagne de Vers Paris Sans Sida (VPSS), France Lert, épidémiologiste et Présidente d’honneur de VPSS, a enfoncé le clou sur la Prep et les femmes. La chercheure a expliqué que « d’après des études de terrain comme l’étude Parcours, nous savons que les femmes migrantes originaires d’Afrique subsaharienne arrivent en France jeunes, autour de 25 ans et souvent seules (plus de 80 %). Les premières années en France sont souvent les plus précaires avec des problèmes d’argent, de logement, de papiers, etc. Certaines ont parfois besoin d’avoir recours au travail du sexe ou à ce qu’on peut appeler du sexe transactionnel (accepter des rapports sexuels contre un hébergement). C’est durant cette période où se cumulent les vulnérabilités que les femmes migrantes sont les plus exposées au VIH. C’est donc, dès leur arrivée en France que la Prep devrait leur être proposée ou du moins expliquée. De fait, la Prep pour les femmes migrantes ne doit pas être une injonction mais un outil d’empowerment, une autonomie ».

    « La Prep apporte une autonomie et une liberté de la femme comme peut l’être la contraception », explique France Lert. L’épidémiologiste insiste sur le fait que l’outil que l’on cherche depuis 40 ans pour émanciper les femmes du bon vouloir des hommes à utiliser un préservatif existe : c’est la Prep ! Et la Présidente d’honneur de VPSS d’insister sur le rôle crucial des médecins qui doivent être plus « pro actifs » vers ses populations.

    La Prep chez les HSH

    Le 24 novembre dernier, lors d’un point presse organisé par Santé Publique France (SpF), Annie Velter, socio-démographe chez SpF, a présenté les résultats de la quatrième édition de l’enquête « Rapport au sexe » (Eras) à destination des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH). L’édition 2023 s’est déroulée du 24 février au 6 avril 2023 via un questionnaire en ligne. L’enquête est anonyme et fondée sur le volontariat. Les premiers résultats décrivent les profils des HSH éligibles à la Prep, qu’ils l’utilisent ou pas au cours des six derniers mois. Ils déterminent les facteurs associés à sa non-utilisation. Sur les 19 307 répondants rapportant être des HSH, cisgenres, indiquant résider en France et ne pas vivre avec le VIH, 6 439 répondants (33,4 %) répondaient aux critères d’éligibilité à la Prep. Ont été considérés comme éligibles à la Prep, les répondants multipartenaires non–séropositifs pour le VIH ayant déclaré le non-usage systématique du préservatif avec des partenaires occasionnels dans les six derniers mois lors de pénétrations anales. 

    Parmi ces HSH éligibles à la Prep : 3 278 (50,9 %) l’avaient utilisé au cours des six derniers mois et 3 161 (49,1 %) ne l’avaient pas utilisé. Par rapport aux usagers, les non-usagers étaient plus jeunes, moins souvent urbains, moins éduqués, avec une situation financière moins privilégiée. Ils étaient moins socialement connectés à la communauté gay et à ses modes de vie. Ils étaient également plus éloignés du système de soins et de l'offre médicale en santé sexuelle. « Nos résultats soulignent la persistance de freins individuels et structurels à l’utilisation de la Prep au sein d’une population de HSH ayant des comportements sexuels à hauts risques d’expositions au VIH », souligne Annie Velter. Dans son commentaire, elle avance l’idée que l’ouverture de la primo-prescription [c’est-à-dire la prescription initiale de la Prep, sans passer par l’hôpital, ndlr] de la Prep en médecine de ville n’atteint pas les objectifs attendus, dont la diversification des caractéristiques socio-démographiques des usagers éligibles. Ces résultats ont été développés dans un article publié dans le numéro thématique du BEH (Bulletin épidémiologique hebdomadaire) sur « VIH et autres infections sexuellement transmissibles : enjeux de la surveillance et de la prévention » à paraitre le 12 décembre 2023.