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    L'actu vue par REMAIDES : "Anthony Fauci : Nous pourrions mettre fin à la pandémie du VIH de notre vivant"

    • Actualité
    • 28.02.2024

    anthony fauci institut pasteur

    © Institut Pasteur

    Traduction de Fred Lebreton

    « Nous pourrions mettre fin à la pandémie du VIH de notre vivant »

    Le 29 novembre 2023, l'Institut Pasteur organisait un colloque pour marquer le 40e anniversaire de la découverte du virus du VIH. Invité exceptionnel, Anthony Fauci a fait le déplacement. L’immunologue américain a été de 1984 à 2022 le directeur de l'Institut national des allergies et maladies infectieuses (NIAID), un centre de recherche du département américain de la Santé. Il a été le conseiller médical du président Donald Trump (non sans quelques sueurs froides) pendant la crise de la Covid, puis celui du président Joe Biden jusqu’en décembre 2022. Désormais à la retraite, le médecin expert de 83 ans, a prononcé un discours puissant lors de cet événement, dans lequel il partage son expérience personnelle, liée intrinsèquement à celle de la lutte contre le VIH, depuis plus de 40 ans. Extraits. 

    1966-1981 : Avant le VIH

    Anthony Fauci : « Pendant mes études de médecine, l'un des plus grands pontes des maladies infectieuses aux États-Unis s’appelait Robert (Bob) Petersdorf, très connu sur le plan international. Bob Petersdorf affirmait que le domaine des maladies infectieuses était essentiellement devenu obsolète en raison des vaccinations et des antibiotiques. Selon lui, nous ne devions même pas être en formation. Il a fait une déclaration très provocatrice dans un article du New England Journal of Medicine, affirmant qu'il ne pouvait pas comprendre pourquoi nous avions besoin de tant d'experts-es en maladies infectieuses, à moins qu'ils-elles ne passent la majorité de leur temps à s’étudier l’un-l’autre. C'était un ami qui m’était cher. Il est décédé aujourd’hui, mais il a vraiment regretté cette déclaration parce que tout ce qu’elle avançait a changé en 1981. »

    1981-1984 : L'émergence de la maladie

    « J’essaie de faire comprendre aux jeunes collègues et aux chercheurs postdoctorants à quoi cela ressemblait de prendre soin d'une personne malade pendant une longue période. J'essaie de leur faire comprendre à quoi cela ressemblait de prendre soin de patients atteints d'une maladie qui n'avait pas encore de nom et pas davantage d'étiologie [étude des causes des maladies, ndlr]. Au tout début, des noms étranges étaient attribués à cette maladie : le Grid [Gay related immune deficiency, première appellation du sida au début des années 1980, ndlr] ou immunodéficience liée aux homosexuels, immunodéficience acquise en communauté, ou pire encore « cancer homosexuel » ou « peste homosexuelle » […] Nous avons eu une réunion à Washington, D.C. avec les CDC [Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, ndlr], regroupant toutes les personnes qui travaillaient à l'époque sur le virus aux États-Unis. Nous étions onze dans la salle. Nous avons décidé que le nom serait le syndrome d'immunodéficience acquise. J'étais un peu préoccupé par le terme « sida » [AIDS en anglais, ndlr] car j'étais le directeur du NIAID [Institut national des allergies et maladies infectieuses, ndlr]. Je pensais qu'il y aurait un peu de confusion. Mais en fait, ce ne fut pas le cas. »

    1984-1996 : L'ère post-découverte du VIH

    « J’étais l'une des rares personnalités publiques de l'époque à être très visible pour attirer l'attention sur le VIH. Je suis devenu le visage du gouvernement fédéral des États-Unis [sur la question du VIH/sida]. Il y a des bonnes nouvelles et des mauvaises choses associées à cet état de fait. La mauvaise est que mon futur cher ami, Larry Kramer [militant, fondateur d’Act Up New York], a essayé d'attirer notre attention. Il a écrit un article dans le San Francisco Examiner, disant : « Je vous appelle des meurtriers ». Il s’agissait d’une lettre ouverte à l'incompétent idiot, le Dr Anthony Fauci, de l'Institut national des allergies et des maladies infectieuses. Je peux dire qu'il a réussi à attirer mon attention […] J'ai commencé à écouter ce que les activistes disaient, et ce qu'ils disaient avait du sens. […] Ce qu'ils m'ont convaincu de faire, c'était de plaider auprès du gouvernement fédéral des États-Unis pour qu'il y ait un accès large aux médicaments et aux tests. Préserver l'intégrité sacrée d'un essai clinique, et permettre également un accès compatissant aux médicaments pour ceux qui ne pouvaient pas participer à un essai clinique. Et c'est ainsi que sont nées l'extension de l'accès et l'utilisation compassionnelle […] Après avoir établi un rapprochement avec les activistes, ceux-ci n’avaient de cesse de vouloir un accès renforcé à ce que nous faisions pour comprendre et donner leur avis sur nos actions. Voici une photo que je tiens à vous montrer, car elle illustre la différence entre la résistance des activistes dans les années 1980 et l'hostilité envers la science que nous voyons actuellement avec la Covid-19. C'est moi au centre communautaire gay et lesbien, dans le quartier de Greenwich Village, à New York. Je suis venu là avec mon assistante, Peggy Hamburg. Nous sommes seuls, dans un centre communautaire, avec environ une centaine d'activistes homosexuels en colère et blessés. À ce moment-là, je me sentais à 100 % en sécurité ; quelque chose que je ne ressentirais pas aujourd’hui en présence d'une centaine de personnes hostiles à la science [Anthony Fauci fait références aux nombreuses menaces de mort qu’il a reçues du mouvement antivax depuis la crise sanitaire Covid-19 lorsqu’il était conseiller présidentiel sur cette pandémie] ».

    1996-2023 : Progrès et défis à l'ère des traitements efficaces

    anthony fauci institut pasteur« Quand je suis allé en Ouganda et en Afrique du Sud au début des années 2000, les médecins étaient dans la même position que moi en 1981. Ils n’avaient pas de médicaments contre le sida. Le président George W. Bush était également très préoccupé par cela. Il m'a appelé depuis le bureau ovale à la Maison Blanche et a dit, voici ses mots exacts que j'ai notés : « Nous, en tant que nation riche, avons une obligation morale d'aider ceux qui n'ont pas accès aux traitements et aux soins du VIH en raison du manque de ressources ». Alors, il m'a envoyé en tournée d'information en Afrique en avril 2002 et m’a dit : « Trouvez quelque chose que nous pouvons faire pour soulager la souffrance en Afrique subsaharienne » […] L'une des choses les plus faciles que nous pouvions faire à l'époque, était de proposer un médicament antiviral en une seule dose donné à la femme enceinte pendant la grossesse et une dose au bébé. Cela pouvait réduire la transmissibilité de 50 %. Alors, j'ai pensé que la chose la plus simple que nous puissions faire était de rassembler de l'argent et d'avoir une initiative de prévention de la transmission mère-enfant pour l'Afrique australe. J'ai proposé 500 millions de dollars pour cette initiative. Je pensais que ce serait formidable s'il l'acceptait.

    Après avoir présenté cela au président Bush, et encore une fois, ce sont ses mots exacts, car je prends des notes lorsque je reviens de ce genre de réunions, il a dit : « Tony, l'initiative de prévention de la transmission mère-enfant est un excellent début, mais nous devons faire quelque chose sur une échelle beaucoup plus large, quelque chose de vraiment transformateur ». Et il a dit : « Travaillez et mettez quelque chose en place pour nous. Cela doit être à la fois transformateur et responsable ». J'ai élaboré l'architecture du plan d'urgence du président pour la lutte contre le sida (Pepfar), qui était, initialement, de 15 milliards de dollars sur cinq ans. Le président l'a annoncé dans son discours sur l'état de l'Union en janvier 2003. Initialement, il visait à prévenir sept millions d'infections, traiter deux millions de personnes et prendre soin de dix millions de personnes, y compris les orphelins.

    Avance rapide de 20 ans à 2023 et le financement du Pepfar est maintenant de 110 milliards de dollars […] Ce programme a permis de sauver 25 millions de personnes et d’empêcher l'infection de 5,5 millions de bébés par le VIH. La leçon de cette histoire est que lorsque vous avez un leadership d'en haut, que ce soit un Président, un Premier ministre ou autre, des choses incroyables peuvent se produire. Et c'est l'une des choses qui devraient être rappelées lorsque nous lutterons contre d'autres maladies à l'avenir.

    […]

    Il y a 29,8 millions de personnes sous traitement antirétroviral parmi les personnes vivant avec le VIH, qui sont au nombre de 39 millions. Nous avons un écart de traitement de 9,2 millions. Sachant que c'est quelque chose de très difficile, en particulier dans les pays qui n'ont pas un bon accès à ces traitements, mais si vous traitiez chacune de ces personnes, vous pourriez théoriquement stopper l'épidémie dès demain car personne ne transmettrait le virus. Cependant, nous devons faire mieux. Nous devons rendre l'armoire à pharmacie plus adaptée aux besoins des personnes. C'est là que les antirétroviraux à action prolongée et les anticorps neutralisants à large spectre interviennent en tant que nouvelles opportunités.

    […]

    La recherche sur les vaccins a été quelque peu décourageante. Au cours de la dernière décennie, il y a eu trois essais, deux en Afrique australe et un en Amérique du Sud et en Europe, qui n'ont pas reproduit les données de l’essai mené en Thaïlande, pour lequel l'efficacité était de 31 %. Nous devons avancer avec détermination et continuer, aussi ambitieux que cela puisse être, à essayer de développer un vaccin qui serait sûr et efficace. Avons-nous besoin d'un traitement curatif ? Évidemment. Allons-nous en obtenir un ? Je ne suis pas sûr que nous allons trouver un traitement qui permette d’éradiquer le virus, de la manière dont il l'est chez les personnes qui reçoivent une greffe de cellules souches. Mais, je pense qu'il est tout à fait possible de se passer du besoin d'un médicament antiviral quotidien. Je sais qu'il y a un certain nombre de très bons-nes chercheurs-ses, dont certains-es se trouvent dans cette salle, qui travaillent effectivement à cela. Le fait que l'on puisse obtenir un contrôle à long terme a été démontré pour la première fois dans l'étude Visconti [une cohorte de l’ANRS sur les personnes dite élite controller, ndlr], qui a montré qu'il y a des individus qui sont des contrôleurs post-traitement ».

    […]

    Quand on regarde l’histoire des maladies en général, allons-nous éradiquer le VIH ? Non. Nous n’avons éradiqué qu’une seule infection : la variole. C'est une maladie totalement différente du VIH. Allons-nous l'éliminer ? C’est peu probable. Mais allons-nous contrôler le virus ? Je crois que nous pouvons le faire, au niveau le plus bas possible, où cela ne serait plus une épidémie ou une pandémie. Le VIH serait une maladie pour laquelle le nombre de nouvelles infections serait très faible et n’occasionnant pratiquement plus de décès. Comment parvenir à cela ? Il faut continuer les avancées scientifiques, tout en veillant à ce que ces avancées soient mises en œuvre réellement […]. Si nous mettons en place le « test and treat » pour toutes les personnes séropositives, que nous donnons accès à la Prep aux personnes séronégatives qui sont les plus exposées au VIH, nous pourrions mettre fin à la pandémie du VIH de notre vivant. »