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    L’Actu vue par Remaides : « UPS 2025 : quatre jours pour partager, se rencontrer et se mobiliser (3) »

    • Actualité
    • 19.11.2025

     

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    Amandine Barray (chargée de mission plaidoyer et observatoires chez AIDES) et Franck Barbier (responsable Innovations et Programmes chez AIDES), coaniment une plénière autour des discriminations lors des UPS 2025. Crédit : Fred Lebreton

     

    Par Fred Lebreton et Jean-François Laforgerie

    UPS 2025 : quatre jours pour partager, se rencontrer et se mobiliser (épisode 3)

    Organisées par deux régions de AIDES (AURA et Nouvelle Aquitaine) du 8 au 11 novembre, les Universités des personnes séropositives (UPS) 2025 rassemblent plusieurs dizaines de participants-es dans un camping de Gironde pour un temps de partage, d’autosupport et de mobilisation communautaire. La rédaction de Remaides était sur place pour suivre cet événement et en raconter les moments forts. Entre récits intimes, échanges collectifs et parenthèses de respiration, bienvenue aux UPS 2025. Troisième épisode.

    « Senior et VIH »
    Dans son propos introductif à cette nouvelle plénière intitulée « Comorbidités et VIH », Angelo De Jesus Lucas, président de la région Nouvelle Aquitaine de AIDES, a expliqué : « On parle souvent du VIH au présent, mais, aujourd'hui, on va parler du temps qui passe, de ce qu'on devient, de ce qu'on apprend aussi en vieillissant avec le VIH. » Et d’expliquer : « Vieillir est un défi pour tout le monde. Vieillir avec le VIH, c'est, encore autre chose : c'est composer avec les traitements, les effets indésirables, les comorbidités, la fatigue, parfois la solitude. » Puis s’adressant à la salle, Angelo explique : « Vieillir peut parfois faire peur, mais on ne pouvait rien vous souhaiter de plus beau. »
    Pour cette plénière, c’est la Dre Clotilde Allavena qui a répondu présente en visio. Infectiologue au CHU de Nantes, la Dre Allavena suit des patients-es vivant avec le VIH depuis près de trente ans. Depuis des années, elle travaille sur les enjeux du vieillissement lorsqu’on vit avec le VIH et a mené différents projets de recherche sur cette question, notamment l’étude SEPTAVIH. Pour la clinicienne et chercheuse, « la transition de la comorbidité à la fragilité avec l’avancée en âge, cet état de perte progressive d’autonomie nous fait entrer dans le monde de la gériatrie. » C’est la raison pour laquelle a été lancée l’étude ANRS EP66 SEPTAVIH. Elle s’intéresse à l’évaluation de la fragilité chez les personnes vivant avec le VIH âgées de 70 ans et plus. L’objectif étant de « permettre de développer de nouveaux outils de prise en charge du VIH en gériatrie. » Une étude socio-anthropologique a complété les données cliniques et biologiques collectées. L’étude est d’autant plus intéressante qu’elle permet de décrire et d’approfondir les expériences des personnes vivant avec le VIH atteintes de plusieurs maladies (les médecins parlent de polypathologies) et les « logiques de gestion de l’infection VIH » en lien avec les autres pathologies chroniques. De plus, elle permet aussi de mieux comprendre les interactions entre les différentes dimensions de l’environnement des personnes vivant avec le VIH (social, familial, médical), alors que certaines personnes n’ont pas partagé leur statut sérologique avec leurs proches, même en présence d’autres maladies chroniques, par peur du rejet et de la stigmatisation.

    Clotilde Allavena a prévu une intervention en quatre parties. Dans les faits, elle n’ira pas au-delà de la deuxième (qui porte sur l’étude SEPTAVIH) tant les échanges avec la salle sont nourris. Avant le temps d’échanges, la spécialiste aura néanmoins rapporté quelques données. Les personnes séniores (celles de plus de 50 ans) représentent plus d’un tiers des découvertes de séropositivité chez les hétérosexuels-les en France. La proportion des patients-es de plus de 60 ans et plus de 70 ans vivant avec le VIH va doubler entre 2020 et 2030. Aujourd’hui, 40 % des personnes vivant avec le VIH ont plus de vingt ans de traitements. Dans un de ses anciens articles, la Dre Allavena rappelait qu’en France : « Le pourcentage de PVVIH âgées de 50 ans et plus [était] passé de 8,5 % en 1993 à 42 % en 2012, 13,8 % ayant 60 ans et plus. Cependant, il persiste des différences d’espérance de vie dans certains sous-groupes de personnes selon le sexe, l’origine ethnique, le mode de transmission du VIH, les modes de vie et le niveau initial d’immunodépression. »
    La médecin a aussi souligné que l’âge au moment de l’infection a des répercussions sur le vieillissement. « Les profils des personnes sont différents suivant qu’elles ont été infectées 15 à 20 ans auparavant ou depuis seulement quelques années. Parmi les personnes de 75 ans et plus qui vivent avec le VIH depuis 22 ans en médiane, 93 % ont découvert leur séropositivité après l’âge de 50 ans, et 7,9 % après 75 ans. Comparée à la population plus jeune, l’infection VIH chez les plus de 75 ans est souvent diagnostiquée à un stade plus évolué, au détour d’une infection opportuniste ou avec une immunodépression sévère.

    Un élément important apporté par l’étude SEPTAVIH est que 76,8 % des personnes de 70 ans et plus vivant avec le VIH sont fragiles ou pré-fragiles (donnée de l’étude ANRS EP66 SEPTAVIH évaluant la prévalence et l'incidence de la fragilité chez les PVVIH de 70 ans ou plus et ses facteurs de risque). Au cours des échanges avec les participants-es des UPS, Clotilde Allavena a insisté sur les enjeux du suivi lorsqu’on avance en âge : une meilleure gestion des comorbidités (diabète, maladies cardio-vasculaires, hypertension, certains cancers, etc.) qui augmentant avec l’avancée en âge, un travail sur l’observance et le fait de veiller à une moindre toxicité des traitements sur le long terme. C’est d’autant plus important qu’un tiers des personnes vivant avec le VIH qui vieillissent devraient avoir deux comorbidités ou plus, que ces dernières ne touchent pas de la même façon les hommes et les femmes, que certaines concernent plus les personnes vivant avec le VIH que la population générale (par exemple, les maladies cardiovasculaires).
    Enfin, sur la « fragilité » (la phase intermédiaire avant la perte d’autonomie, un phénomène, hélas, irréversible), la clinicienne et chercheuse a souligné que les « conditions socio-économiques, les comorbidités, les fonctions cognitives sont fortement associées avec le risque de fragilité alors que les facteurs liés au VIH ne le sont pas. »
     

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    Une vue matinale du camping de La Forge, un parc résidentiel niché au cœur d’une forêt de chênes et de pins maritimes de 19 hectares où se sont déroulées les UPS 2025. Crédit : Fred Lebreton

     

    « J’ai fait de mauvais choix à cause de ma séropositivité »
    Ce troisième jour des UPS 2025 poursuit fort avec l’atelier « Ma vie affective et sexuelle ». Les premiers mots tombent comme des points de suspension : « Rien », « RAS », « Parfait et impeccable ». On devine derrière ces termes un mélange de pudeur et de crainte d’en dire trop. Puis, peu à peu, la parole se déverrouille. Un participant confie que sa vie affective est « compliquée », qu’il se protège et qu’il « fait du tri » pour éviter d’être rejeté. Une femme annonce sans détour : « Ma vie sexuelle est inexistante, mais ce n’est pas à cause du VIH. D’autres facteurs entrent en jeu. Et franchement, je suis épanouie comme ça. » Le ton est donné : ici, on parle vrai. Et quand une participante lâche avec un grand sourire : « Qu’on m’aime ou qu’on m’aime pas, j’en ai rien à cirer », la salle éclate de rire. Le malaise s’évapore petit à petit.

    Les animateurs sortent des post-it colorés : chacun-e écrit ce dont il a besoin pour être épanoui-e. Les mots s’accrochent au mur comme autant de désirs suspendus : « Confiance », « Temps », « Trouver une partenaire VIH+ », « Faire connaître I = I à tout le monde ». Derrière ces fragments de papier, se cachent des parcours parfois cabossés. Une femme admet : « Je préfère m’auto-satisfaire plutôt que d’être avec un homme qui ne sait pas me donner du plaisir. J’ai fait de mauvais choix à cause de ma séropositivité. Je suis restée avec un mari violent par peur d’être seule. C’était de l’autosabotage. Je n’ai jamais subi le rejet, mais je restais persuadée que j’avais de la chance d’avoir trouvé quelqu’un qui m’acceptait. » Le mot « chance » résonne étrangement, et plusieurs têtes acquiescent en silence.

    « Chez nous, les femmes sont excisées »
    Puis vient un témoignage qui bouleverse tout le groupe. Une femme africaine, originaire du Burkina Faso, prend la parole et partage des choses très intimes avec beaucoup de pudeur : « J’ai été mariée pendant dix-huit ans, mais je ne l’aimais pas et je n’avais pas de plaisir. Chez nous, les femmes sont excisées. Je n’ai jamais eu d’orgasme en dix-huit ans avec mon ex-mari. Ça me met en colère. » Sa voix tremble à peine, mais on sent la rage contenue. Elle poursuit : « Après le divorce, j’ai eu des histoires sans lendemain. On mange quand on a faim. » Et puis, le sourire revient : « Mon conjoint actuel m’a appris le plaisir sexuel. Il m’a dit : "Je vais t’aider à trouver le plaisir." C’est le vrai bonheur pour moi aujourd’hui. Je suis gourmande de ça maintenant. On ne vit qu’une fois ! » La salle applaudit, émue et galvanisée. L’humour adoucit la gravité du moment. Une autre participante insiste sur la notion de consentement : « Oui, c’est oui ; non, c’est non. Il faut un oui ferme et un non ferme ! »

    « Je ne ressens pas le besoin d’en parler à un plan cul car I = I ! »
    Le « jeu de la ligne » vient ensuite : il s’agit de se positionner selon son ressenti. Le sujet : « Faut-il parler de son statut à son ou sa partenaire ? » Les avis fusent. « Je ne ressens pas le besoin d’en parler à un plan cul car I = I ! » déclare un homme, sûr de lui. « Je ne fais courir aucun risque à personne, tout comme je ne dis pas si j’ai du diabète ou du cholestérol », ajoute-t-il. Une femme nuance : « Je ne le dis pas tout de suite, c’est une question de protection. J’ai mis deux ans pour en parler à mon partenaire. Il faut que la confiance soit installée. » Une autre conclut avec justesse : « Le bon moment, c’est quand je suis prête. Le VIH fait partie de moi, et en parler, c’est aussi une façon de me faire connaître. C’est toujours une question de partage. »

    Puis la parole s’ouvre sur le corps, les traitements, les changements. « Je suis devenu obèse à cause du VIH », raconte un participant. « Je me sens fatigué. J’ai des angoisses. Au début, j’étais en colère, je n’avais plus de libido. Parce que c’est à cause du sexe que j’ai eu ce virus. » Une autre femme renchérit : « Moi aussi, j’ai pris du poids à cause des traitements. J’étais souvent sur la défensive, avec des sautes d’humeur. Le VIH, ça impacte le moral. Et puis, il y a toujours cette peur que l’info fuite dans la famille. On parle avec des réserves, on marche sur des œufs. Le soir, quand je rentre chez moi, je me sens seule. Et j’ai peur de perdre mes papiers aussi. »

    L’écriture comme libération et transmission
    Entre deux ateliers, nous échangeons avec Ludmila, 37 ans, bénévole de l’association Les Petits Bonheurs. La jeune femme est venue aux UPS 2025 pour animer un atelier d’écriture pas comme les autres. « C’est un atelier d’écriture de soi », explique-t-elle. « Il a été pensé pour amener les personnes à partager leurs récits de vie, leurs expériences, témoigner… mais sous une forme créative. » Ici, pas de simples confidences, mais des mots façonnés, choisis, travaillés collectivement. L’objectif : « Utiliser l’écriture comme moyen d’expression », offrir à chacun-e un espace pour se dire autrement. Ludmila anime ce type d’atelier depuis plusieurs années, notamment au sein de l’association Les Petits Bonheurs, qu’elle a rejoint lors du projet célébrant les 15 ans de la structure. De ce travail est née l’exposition « Accroche un sourire », aujourd’hui itinérante à travers la France. Depuis, l’atelier d’écriture mensuel est devenu un rendez-vous attendu. Elle raconte avoir accompagné des personnes ne pouvant pas écrire elles-mêmes : « Je me faisais prête-plume pour écouter, capter ce qu’elles voulaient partager, et écrire en leur nom. »
    Pour Ludmila, l’écriture a un pouvoir profond : « Le premier mot qui me vient à l’esprit, c’est libération. » Dans un cadre collectif et bienveillant, « les mots déjà en soi » trouvent leur place sur le papier. « Ça met en mots des ressentis, des colères, des joies, des choses coincées depuis longtemps », dit-elle. Pour celles et ceux qui peinent à trouver les mots, Ludmila déploie des trésors de pédagogie : « On commence toujours par un réservoir d’idées : des mots, des expressions, des images qu’on va construire ensemble autour d’un thème. » Textes lus, musiques écoutées, consignes d’écriture ou échanges entre participants-es : tout sert à faire jaillir la parole.

     

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    Ludmila, bénévole aux Petits Bonheurs et animatrice d’un atelier d’écriture lors des UPS 2025. Crédit : Fred Lebreton

    Professeure des écoles dans le civil, la jeune femme voit un lien évident entre ses deux vocations : « Ce qui me rend le plus heureuse, c’est de provoquer chez quelqu’un la possibilité de s’exprimer. » L’écriture, confie-t-elle, l’a elle-même « beaucoup sauvée ». Aujourd’hui, c’est à travers les mots des autres qu’elle trouve son élan. « Quand une personne me dit : "J’aurais exactement choisi ces mots si j’avais pu les écrire", c’est le plus beau des retours.

    « Je me sens humiliée »
    La seconde plénière du jour est consacrée aux discriminations. L’occasion pour certaines personnes de témoigner. C’est le cas de Michèle, arrivée en France après une carrière dans la banque et qui raconte un parcours semé d’obstacles depuis qu’elle cherche à se réinsérer professionnellement. Suivie par France Travail, elle avait enfin trouvé une perspective : une formation d’assistante dentaire. Mais lors d’un second rendez-vous, sa référente lui annonce soudainement qu’elle ne peut pas accéder à la formation « par rapport à [son] état de santé ». Michèle tombe des nues : « Je ne lui avais jamais parlé de ma séropositivité. J’ai compris qu’elle avait fait des recherches sur ma pathologie, derrière mon dos. » Pour elle, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une discrimination : « Je me sens humiliée. C’est une formation que j’ai vraiment envie de faire, mais on me ferme la porte à cause de ma séropositivité. » Face à cette situation, Amandine Barray, chargée de mission plaidoyer et observatoires chez AIDES, rappelle que la loi est claire : « Il n’y a légalement aucune raison de refuser à une personne l’accès à une formation en raison de son statut sérologique. » Pour la militante, un tel comportement est non seulement discriminatoire, mais aussi illégal. « On pourrait envisager un courrier pour rappeler que ce refus n’a aucun fondement, et alerter les autorités compétentes », suggère-t-elle. Elle insiste également sur la gravité de la violation du secret médical : « Aller chercher des informations de santé ou les utiliser à l’insu de la personne, c’est interdit. » Si ces démarches restent souvent complexes, AIDES encourage les personnes concernées à faire reconnaître leurs droits : « Ces comportements anormaux doivent être signalés pour faire bouger les lignes. »

    « Je me suis sentie discriminée par mon avocat »
    De son côté, Zeinab raconte avec émotion la trahison de celui qui devait la défendre. « Je me suis sentie discriminée par mon avocat », confie-t-elle, encore bouleversée. Ce dernier, commis d’office, était censé l’accompagner dans son recours contre une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Pendant plus d’un an et demi, il lui a assuré « être sur le dossier », promettant qu’un recours avait été déposé. « Il m’a fait croire qu’il avait fait le recours, mais en réalité, rien n’avait été fait », explique-t-elle. Ce n’est qu’après de longs mois d’attente et la perte de son emploi que Zeinab décide de chercher une nouvelle avocate. Celle-ci découvre alors que le recours n’a jamais été enregistré et que le dossier de Zeinab avait été purement abandonné. « Le jour où j’ai su la vérité, j’étais anéantie », confie-t-elle, ajoutant qu’elle envisage aujourd’hui de porter plainte. « Je vais saisir le bâtonnier, parce que c’est une discrimination et une faute professionnelle grave. »
    Pour Amandine Barray, le cas de Zeinab illustre une dérive fréquente : « Au-delà d’une discrimination, il s’agit aussi d’une faute professionnelle. Cet avocat n’a tout simplement pas fait son travail. » Elle rappelle que les personnes étrangères vivant avec le VIH disposent de droits spécifiques, souvent mal respectés : « Au siège de AIDES, nous avons un observatoire dédié à l’accès au droit au séjour pour les personnes étrangères malades. Il nous permet de documenter et faire remonter ces discriminations, notamment celles liées aux décisions arbitraires de certaines préfectures. » Amandine Barray encourage les personnes concernées à se rapprocher de AIDES : « Nous ferons tout notre possible pour accompagner les victimes et faire entendre leur voix. »

    « Parfois, j’ai envie d’en finir avec la vie »
    Maria, originaire d’Angola, a livré un témoignage bouleversant, la voix brisée par les larmes, en expliquant qu’elle ne parvenait pas à renouveler son titre de séjour expiré depuis 2024. Soutenue par AIDES, qui lui a trouvé un avocat, elle raconte que la demande de son avocat a été refusée avant qu’un recours en asile ne subisse le même sort. Le tribunal lui a ensuite signifié qu’elle pouvait, selon lui, se soigner en Angola. Un verdict qu’elle juge déconnecté de la réalité : « Le salaire moyen mensuel en Angola est de 25 à 50 euros, et le traitement VIH coûte entre 1 000 et 1 200 euros par mois. » Cette perspective l’écrase : « Ça me stresse, ça me cause des migraines. Parfois, j’ai les idées noires et j’ai envie d’en finir avec la vie. » Maria explique n’avoir plus de famille en Angola, six de ses sept enfants ayant été tués pendant la guerre. Seule, sa fille vit aujourd’hui en France. Aide à domicile, Maria ne peut plus travailler à cause de ses problèmes de santé et dit ne plus savoir comment survivre si elle devait être renvoyée dans son pays d’origine.

    « Je veux être à la page »
    La plénière se termine sur une note plus légère avec un témoignage sur la fracture numérique. Rosalie raconte comment elle a décidé de reprendre la main sur sa vie numérique, lassée de devoir aller dans les services sociaux pour demander certaines informations ou imprimer certains documents ». Elle confie qu’elle a senti le moment venu de s’organiser : « Je vieillis et je suis seule, il faut que je m’organise. Je ne veux pas être assistée. » Pour ne plus dépendre de personne, elle a mis au point une méthode rigoureuse : un carnet où sont soigneusement consignés ses mots de passe internet, et des chemises de couleurs différentes pour classer ses documents administratifs et médicaux. Grâce à une formation numérique obtenue avec l’aide d’une association, Rosalie peut désormais gérer seule ses rendez-vous sur Doctolib et effectuer ses démarches en ligne. « Je suis vieille et connectée », lance-t-elle avec fierté, avant de rectifier aussitôt, mi-sérieuse mi-amusée : « Je veux être à la page. Je ne suis pas vieille, je suis jeune, je fais ce que les jeunes font. » Ce qui ne manque pas de provoquer rires et applaudissements dans la salle.
     

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    Une vue matinale du camping de La Forge, un parc résidentiel niché au cœur d’une forêt de chênes et de pins maritimes de 19 hectares où se sont déroulées les UPS 2025. Crédit : Fred Lebreton

    On passe à table !
    À table, les discussions sont souvent animées. On y échange beaucoup sur ses expériences, dont certaines sont d’une incroyable dureté. Elles révèlent des tempéraments et valorisent le courage. Bien sûr, on y parle aussi de la vie quotidienne dans ce qu’elle a de plus ordinaire et c’est une bonne chose. Cela permet des moments où l’on souffle un peu, loin des souffrances du passé et de la douleur que provoquent certains souvenirs. Ce soir-là, une participante a sorti de son sac un petit paquet. Dans une feuille d’aluminium, dépliée avec soins, des tronçons de gingembre ; dans un tube d’aspirine qui l’accompagne, une pâte rouge compacte. Il s’agit de piment. « Je ne peux pas manger sans piment, explique-t-elle. Quand j’ai eu mon diagnostic, j’ai perdu le goût du piment, d’ailleurs je n’en mangeais quasiment plus. Puis, c’est revenu. » À la table, une petite terrine de pâté locale au piment d’Espelette a été posée ; genre échantillon de découverte. Regard appuyé sur l’étiquette, ouverture puis dégustation. « C’est pas du piment, tranche l’experte. C’est bon, mais c’est pas du piment. »
    Piment en tube : 1 ; Piment d’Espelette : zéro.
    C’est l’occasion de parler un peu cuisine. Une autre personne se lance et explique une de ses recettes personnelles. « Vous prenez deux oignons que vous coupez en petits morceaux. Même chose avec deux gousses d’ail. Vous détaillez un morceau de gingembre pelé en petits morceaux. Vous ajoutez deux cuillérées à café de curcuma [une épice], puis on met du miel. On mélange et on obtient une pâte assez dense aux petites morceaux croquants. Tous les matins, je prends deux petites cuillères de ce mélange que je place dans une grande tasse, puis j’ajoute de l’eau très chaude. Je mélange et j’obtiens une infusion. C’est un excellent booster pour redonner la forme. » De l’ail et de l’oignon crus le matin, la santé a vraiment un coût.

    Danser = vivre
    La journée a été dense et chargée en émotions alors quand la grande salle de plénière se métamorphose en piste de danse pour la soirée festive, c’est le moment de décompresser et se lâcher. Un militant dégaine sa playlist. Le karaoké s’allume, et les plus courageux-ses s’élancent avec un enthousiasme communicatif. Nous, on reste un peu en retrait pour observer cette petite foule s’égosiller sur « Voyage, voyage », le tube iconique de Désireless, bras levés et sourires accrochés comme des lampions. En moins de trois jours, des liens solides se sont tissés parmi les participants-es. Demain, il faudra déjà se dire au revoir, mais nous savons bien que ce n’est qu’un au revoir. Certains-es se reverront, c’est évident. Cette certitude flotte, ce soir, dans l’air, plus légère encore que les refrains parfois approximatifs, mais si enjoués, qui s’échappent de la piste de danse…

    À suivre dans le quatrième épisode.

    Pour lire les épisodes précédents :
    Episode 1
    Episode 2

     

     

    "Vieillir avec le VIH" : ce qu'ont dit les médecins dans l'étude MoiPatient

    Pour aller plus loin, on vous conseille un article de Remaides à propos du projet d’étude, « Vieillir avec le VIH », lancé par MoiPatient et ses partenaires. En avril 2024, un séminaire, organisé à Paris, était consacré à la restitution des résultats de cette étude inédite. Remaides y était et avait notamment fait un compte-rendu d’une présentation de la Dre Allavena, concentrée sur le point de vue des professionnels-es de santé qui accompagnent les personnes qui vieillissent avec le VIH. La médecin y revenait notamment sur le contenu des consultations. « Parmi les sujets abordés entre tous-tes les professionnels-es de santé et les PVVIH de plus de 50 ans, on retrouve : la vie sociale (abordée dans 87 % des consultations), le suivi VIH (86 %), le suivi pour les autres pathologies (83, 7 %) et la vie affective (83, 5 %). Inversement, parmi les sujets les moins abordés : les besoins et démarches administratives (55, 8 %), la stigmatisation et les discriminations (55,4 %) et loin derrière les violences sexuelles (33,7 %) », avait-elle expliqué.