L’Actu vue par Remaides : « Mary Fisher : résister au silence, faire entendre sa voix »
- Actualité
- 01.10.2025
Crédit photo : Mary Fisher en une du numéro de juillet/août du magazine américain sur le VIH, Poz.
Par Fred Lebreton
Mary Fisher : "Résister au silence,
faire entendre sa voix"
Icône de la lutte contre le VIH depuis plus de trente ans, Mary Fisher publie Uneasy Silence, un livre où s’entrelacent mémoire, militantisme et résilience. L’activiste américaine y exhorte à briser les silences complices, à témoigner face à l’injustice, et à retrouver du sens dans le service aux autres. À l’occasion de la sortie de ce livre, le magazine américain Poz lui consacre sa Une du numéro d’été 2025.
« Témoigner de ces vérités, c’est déjà agir »
Depuis plus de trois décennies, Mary Fisher incarne une forme singulière de courage : celui de s’exposer pour témoigner, celui de transformer la douleur intime en mobilisation collective. Diagnostiquée séropositive en 1991, elle bouleverse l’Amérique dès l’année suivante avec son discours « A Whisper of AIDS » (« Un murmure du sida »), prononcé à la Convention républicaine de 1992. Elle y appelle alors ses compatriotes à « mettre de côté les préjugés et la politique pour faire place à la compassion et à des politiques publiques fondées ». Trois décennies plus tard, son engagement ne faiblit pas. Dans Uneasy Silence, son nouveau recueil d’essais, elle exhorte chacun-e à « examiner ses silences » et à faire entendre sa voix. À travers des souvenirs personnels, des réflexions engagées et des appels à l’action, elle dresse le bilan d’une vie passée à dénoncer l’injustice. Loin de se présenter comme une militante née, elle confie : « Je cherchais à être une artiste heureuse quand un minuscule virus a bouleversé ma vie. » De Larry Kramer à George W. Bush, de la Zambie à la Floride, Mary Fisher retrace une trajectoire marquée par la lutte contre la stigmatisation, la recherche de vérité et la volonté de faire bouger les lignes. La militante rappelle que « l’épidémie a prospéré en partie à cause de l’inaction délibérée du leadership politique » et que seule la parole peut, parfois, rendre justice : « Témoigner de ces vérités, c’est déjà agir. »
Uneasy Silence, l’ouvrage de Mary Fisher où s’entrelacent mémoire,
militantisme et résilience, non disponible en français.
Témoigner contre l’oubli
Mais Uneasy Silence ne se contente pas de chroniquer le passé. L’ouvrage alerte sur les dangers du présent : ceux de la réécriture de l’histoire, de la désinformation, du négationnisme rampant véhiculé par l’extrême droite. Mary Fisher s’indigne ainsi de voir des responsables politiques minimiser la Shoah ou justifier l’esclavage des Noirs-es par un prétendu « bénéfice » pour les victimes. Elle s’en prend à « l’illusion d’un traitement équilibré de l’information » qui met sur un même plan vérité et falsification. « Quelqu’un doit, rapidement et sans relâche, témoigner de la vérité », écrit-elle. À travers des lieux comme le mémorial du lynchage à Montgomery ou ses souvenirs de visites auprès de femmes vivant avec le VIH en Afrique, elle convoque une mémoire des corps meurtris et des combats passés, qu’elle relie aux injustices contemporaines. La militante refuse le silence confortable, celui qui anesthésie les consciences. Elle oppose à l’effacement de l’histoire une pédagogie de la mémoire, au service de la justice. Et elle sait que cette mémoire est politique. En racontant l’impact colossal du Pepfar, plan d’aide international lancé par George W. Bush, elle nuance les portraits tout-faits et rappelle que l’action compte davantage que la réputation. Dans cette époque trouble, Uneasy Silence agit comme un rappel salutaire : les silences, choisis ou imposés, nourrissent l’oubli, et l’oubli permet aux violences de se répéter. À chacun-e de s’en saisir pour résister.
Retrouver sens et communauté
Mais au-delà du plaidoyer, Uneasy Silence est aussi un livre sur la solitude, le vieillissement et la redécouverte du sens. Pendant la pandémie de Covid-19, Mary Fisher se retrouve isolée, privée de prises de parole publiques, désorientée. « Je me sentais vieille. Finie. Éteinte », confie-t-elle, évoquant le sentiment de ne plus servir à rien. C’est en s’engageant comme bénévole chez Project Angel Food, en épluchant des oignons dans une cuisine collective, qu’elle retrouve peu à peu sa place dans le monde. Project Angel Food est une organisation à but non lucratif basée à Los Angeles, fondée en 1989 en réponse à la crise du sida. Sa mission principale est de préparer et livrer gratuitement des repas nutritionnellement adaptés à des personnes gravement malades, souvent isolées ou à faible revenu. Ce geste modeste devient pour elle un acte de résistance joyeuse. « Éplucher un oignon ne sauve pas le monde, mais ça peut relever un plat autrement insipide. » écrit-elle avec une certaine auto-dérision. Le service, le lien avec la communauté, l’appartenance sont autant de remèdes à la morosité et à la perte de sens. Dans Uneasy Silence, Mary Fisher ne cherche pas à susciter la pitié : elle célèbre la joie du don, la transmission, la filiation. Ce livre est aussi une lettre ouverte à ses petits-enfants, une invitation à poursuivre le combat. Et l’autrice d’ajouter, avec espoir : « J’ai confiance : l’un-e d’entre vous prendra le relais pour témoigner au nom de la justice. »
Uneasy Silence by Mary Fisher est disponible (uniquement en anglais) sur son site officiel.