L’Actu vue par Remaides : « AME : des décrets et puis s’en va »
- Actualité
- 11.09.2025
Des militants-es de AIDES lors du congrès de la SFLS à Paris pour défendre
l'accès aux soins des personnes étrangères. DR
Par Jean-François Laforgerie
AME : des décrets et puis s'en va
Six jours avant le vote de confiance (8 septembre) qui s’est traduit par leur éviction, François Bayrou et son gouvernement ont dégainé des projets de décrets pour dégrader, une fois encore, les conditions d’accès et de soins de l’Aide médicale d’Etat. Cette nouvelle attaque (une « mesure de justice » selon Bayrou) est particulièrement critiquée par les ONG de santé.
Une nouvelle attaque contre l’AME avant de faire ses cartons
L’offensive du gouvernement Bayrou contre l’AME a démarré six jours avant le vote de confiance, qui s’est conclu le 8 septembre par la chute de François Bayrou et de son gouvernement. Enterrée depuis des mois, elle est finalement sortie brutalement le 2 septembre sous la forme de projets de décrets relatifs à l’aide médicale de l’État qui ont été transmis à la Caisse nationale d’assurance maladie pour un avis consultatif (Cnam), avant un vote par la Cnam, lui aussi, consultatif, prévu le 11 septembre.
Difficile dans le contexte politique du moment de ne pas voir dans cette « révision » surprise, sortie du chapeau, un coup politique destiné à se faire bien voir de la droite (Bruno Retailleau avait demandé dès son arrivée au ministère de l’Intérieur, une réforme de l’AME) et l’extrême droite, avant un vote décisif, en proposant de dégrader, une nouvelle fois, les critères de l’Aide médicale d’État et les soins pris en charge dans ce cadre. Selon des projets de décrets consultés par l’AFP et plusieurs médias, le gouvernement envisage notamment de revoir les conditions d’accès et les ressources pour bénéficier de l’AME et réduire la liste des soins de santé pris en charge par ce dispositif destiné aux personnes étrangères sans titres de séjour valides. Pour rappel, l’AME permet à des personnes étrangères sans titres de séjour valides et ayant des revenus très faibles (moins de 10 166 euros par an) d’avoir une couverture à 100 % pour leurs soins médicaux. L’accès à l’AME se fait sous conditions (présence en France durant plusieurs mois, revenus plafonnés, etc.).
Dans le détail, avec ces nouveaux décrets soumis le 2 septembre pour avis au conseil de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), le gouvernement souhaite notamment exclure les « actes de rééducation réalisés en balnéothérapie » du panier de soins pris en charge par l’AME. Un soin toujours cité en exemple, y compris par François Bayrou, sans qu’on connaisse dans le détail s’il est prescrit ou pas et quel serait le nombre de personnes concernées. Le gouvernement envisage que soient exclus de l’AME « des actes qui ne sont pas destinés directement au traitement ou à la prévention d’une maladie, pour les bénéficiaires majeurs ». Il existe déjà une liste des actes exclus de l’AME, car cette remise en cause de l’AME n’est pas une première. L’AME a déjà été rabotée en 2019 sous le premier mandat d’Emmanuel Macron. Cette liste comprend, à ce jour, les cures thermales, des actes liés à l’assistance médicale à la procréation et certains médicaments, qui ne sont donc pas accessibles aux personnes bénéficiaires de l’AME.
Le gouvernement veut aussi « soumettre à accord préalable » certains soins, aujourd’hui accessibles, sans cette nouvelle condition que serait un délai de neuf mois de présence sur le territoire : certains actes de kinésithérapie, les lunettes, les audioprothèses, les prothèses dentaires, l’orthophonie ou encore les transports sanitaires pour des soins programmés non urgents en ville, indique le ministère de la Santé. Un autre décret vise à une révision des pièces justificatives constituant le dossier de demande d’AME. Serait notamment demandée « la présentation de documents d’identité comportant une photographie », selon le ministère de la Santé. Par ailleurs, le gouvernement entend « prendre en compte les revenus des membres du foyer dans l’appréciation de la condition de ressources », donnant droit à l’AME. Autrement dit, ce ne serait plus les seules ressources de la personne demandeuse qui seraient prises en compte dans la demande, mais le « foyer ». Lorsqu’un-e demandeur-se de l’AME a pour conjoint-e ou concubin-e une personne en situation régulière, les ressources de cette dernière seraient désormais prises en compte, indique une source gouvernementale.
Bayrou défend ses nouvelles restrictions sur l’AME
Le durcissement de l’AME ; c’est « une mesure de bon sens », a estimé François Bayrou lors d’une interview à BFMTV, début septembre. « Lorsque vous demandez des efforts aux Français, il n’est pas possible qu’ils aient le sentiment de devoir faire des efforts, mais pas les autres (...) ce n’est pas possible que les étrangers que nous accueillons et que nous aidons ne soient pas associés à cet effort », a défendu celui qui était alors encore chef du gouvernement sur la chaîne info. « Il y avait, par exemple, dans la liste des soins, de la balnéothérapie. Ce n’est pas normal, ce n’est pas raisonnable que le pays ne prenne pas soin de l’équilibre [entre les Français-es et les étrangers-ères] », a-t-il poursuivi, cité par Le Figaro (3 septembre).
Le ministère de la Santé a défendu auprès de l’AFP que « les mesures proposées ne remettent nullement en cause le dispositif de l’AME, mais constituent des « ajustements » conformes aux recommandations du rapport Evin-Stefanini ». Fin 2023, ce rapport commandé à l’ancien ministre socialiste de la santé Claude Evin et à l’ancien préfet Patrick Stefanini (LR), spécialiste de l’immigration et ancien directeur de la campagne présidentielle de François Fillon, avait globalement défendu l’AME, la qualifiant d’« utile » et « rigoureusement gérée par l’Assurance maladie ». C’est d’ailleurs une des prestations les plus contrôlées, selon le rapport de 2023. Le tout en préconisant tout de même quelques adaptations sur la liste des prestations de santé à ne plus accorder automatiquement, ou la prise en compte des ressources de l’ensemble du foyer du-de la demandeur-se pour y avoir accès. Interrogé le 3 septembre sur Europe 1, le ministre chargé de la Santé, Yannick Neuder, a défendu un « juste équilibre ». Expliquant : « Rien n’est blanc, rien n’est noir, et l’on peut faire preuve de fermeté et d’humanité », le mantra gouvernemental dès qu’il s’agit d’immigration. Depuis des décennies, la droite et l’extrême droite demandent la fin de l’AME qui serait alors remplacée par une « aide médicale d’urgence ». Bruno Retailleau a d’ailleurs toujours pour ambition de la supprimer au profit d’une aide circonscrite aux « soins urgents et à la prophylaxie [la prévention, ndlr] ».
Une question d’argent ?
En 2024, l’AME a représenté une dépense de 1,2 milliard d’euros par l’État (pour environ 466 000 personnes bénéficiaires), ce qui représente environ 0,5 % des dépenses de santé prévues par le budget de la Sécurité sociale (projet de loi de financement de la sécurité sociale ou PLFSS). Qu’escompte le gouvernement de ses nouvelles restrictions de l’AME ? Selon un chiffrage de Bercy, cité par Le Monde (4 septembre) et Le Point (3 septembre), l’économie générée sur une année pourrait être de 400 000 euros, « soit 5 % du coût total du dispositif ». Plutôt qu’une économie (on ne tient pas compte des conséquences financières induites par un accès aux soins dégradé), cette nouvelle attaque contre la couverture santé des étrangers-ères prend davantage les allures d’un appel du pied politique à la droite et à l’extrême droite : une « veille rengaine, associée, il faut le croire, à une rente politique certaine », tacle d’ailleurs Le Monde (4 septembre).
La gauche en mode critique
Le patron du PS, Olivier Faure, a fustigé, début septembre, sur LCI des « clins d’œil à l’extrême droite » et jugé que François Bayrou cherchait « à sauver sa tête à tout prix ». Boris Vallaud, chef des députés-es socialistes, a dénoncé « un scandale démocratique, une folie sanitaire, une trahison républicaine », sur X. Députée européenne LFI, Manon Aubry a accusé sur le même réseau le Premier ministre de « répondre aux obsessions racistes du RN », « au mépris total de l’avis de la communauté médicale ». « Après s’en être pris aux chômeurs, aux malades, on s’attaque aux immigrés », a fustigé, auprès de l’AFP, Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l’UNSA, membre du conseil d’administration de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam). Selon lui, la Cnam doit donner son avis en commission mardi 9 septembre, au lendemain du vote de confiance, mais les syndicats ― opposés à ces projets de décrets ― veulent qu’ils soient examinés en conseil d’administration de la Cnam, prévu le 11 septembre.
Des ONG dénoncent cette nouvelle attaque
Dans un communiqué (3 septembre), AIDES dénonce une réforme de l’AME qui est « un danger pour la santé publique et la lutte contre le VIH/sida ». « En annonçant une réforme de l’Aide médicale d’État (AME) (…) le gouvernement met en péril des décennies d’avancées en santé publique. Pourtant, l’AME est un dispositif incontestablement efficace, maîtrisé financièrement, et essentiel pour protéger la santé de tous-tes. L’AME permet aux personnes étrangères en situation irrégulière d’accéder à des soins vitaux, notamment pour la prévention et le traitement du VIH. En garantissant un accès aux tests, aux traitements et à la prévention, elle joue un rôle clé dans la lutte contre les maladies transmissibles », explique l’association qui souligne que les conditions d’accès à l’AME sont déjà « difficiles » et qu’elles « expliquent en grande partie sa faible utilisation par les personnes éligibles ». Pour AIDES : « Restreindre l’accès à l’AME, c’est priver des milliers de personnes de soins vitaux, mais aussi fragiliser l’ensemble du système de santé ». Les conséquences seraient lourdes, souligne d’ailleurs l’ONG, citant notamment : « L'exclusion de milliers de personnes du système de santé, les condamnant à renoncer aux soins par peur ou par impossibilité administrative » ; « L'engorgement des urgences hospitalières, où les cas non pris en charge en amont se présenteront à un stade avancé, plus coûteux et plus complexes à traiter » ou encore « La recrudescence des épidémies, notamment du VIH, en raison d’un dépistage et d’un traitement moins accessibles ». Dans son communiqué, AIDES demande au gouvernement « l’abandon des mesures restrictives » qui mettent en danger la santé de tous-tes et exige « des mesures de renforcement de l’AME pour répondre aux impératifs de santé publique et pour atteindre l’objectif de fin de l’épidémie de VIH/sida. »
Message d’alerte aussi chez Médecins du Monde (MDM). « Un durcissement des conditions d’accès, avec une restriction des pièces justificatives aux seuls documents avec photo, et à l’exclusion des attestations associatives. Cela représentera un obstacle administratif insurmontable pour de nombreuses personnes. Beaucoup ont dû quitter leur pays sans pièce d’identité, notamment les plus jeunes, ont perdu leurs papiers, se les sont fait voler, ou sont victimes de confiscation de leur document ou de chantage aux papiers », souligne MDM. « Le conditionnement de l’accès à l’AME aux ressources du conjoint, qui entraînerait une sortie sèche de toute couverture santé d’une personne sans-papiers en couple avec un conjoint français ou étranger en situation régulière », est aussi dénoncé par l’ONG. « Cela conduirait (…) à accroître les situations d’emprise et de dépendance conjugale subies par des femmes étrangères en situation irrégulière, ce qui pourrait les amener à être davantage exposées à des violences conjugales, intrafamiliales, sexistes et sexuelles », indique-t-elle. À l’instar d’autres ONG de santé, MDM considère que « de nouvelles exclusions ou limitations des soins accessibles avec l’AME, qui conduiraient à des retards, voire à des renoncements aux soins. La demande d’accord préalable à l’Assurance maladie pour certains soins augmenterait la charge de travail administratif des médecins comme des agents en complexifiant inutilement les démarches administratives. »
Médecins du Monde appelle le « gouvernement à abandonner ces projets de décrets. La seule réforme utile et réaliste est l’instauration d’une carte Vitale pour les bénéficiaires de l’AME, afin de simplifier l’accès aux soins, diminuer la charge administrative de l’Assurance maladie et des médecins, et renforcer la santé publique. »
Alerte. Le mot est aussi employé par l’ONG Women for Women France (WFWF). Elle met d’ailleurs en avant le fait que le « projet de décret [du gouvernement Bayrou] oblige des centaines de milliers de femmes en France à demander l’autorisation de leur conjoint ― ou de leur agresseur ― pour se soigner. » L’ONG a bien lu les projets de décrets : elle estime que, « sur les 193 000 femmes qui bénéficient aujourd’hui de l’AME, environ 100 000 perdront leur accès à ce dispositif et donc tout droit aux soins en France en raison [d’un de ces] décret[s]. » L’ONG indique d’ailleurs avoir « transmis les recommandations contenues dans [son] alerte à la ministre de la Santé, au ministre de l’Intérieur, à la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, ainsi qu’aux dirigeants-es de l’ensemble des partis politiques français » ; Elle a aussi alerté « les associations et fondations féministes en France et appelé à leur mobilisation en solidarité avec les femmes migrantes. »
Le 30 août dernier, Sarah McGrath, directrice générale de l’ONG Women for Women France, et experte en politiques de dépenses publiques, avait publié, dans les colonnes du Monde, une tribune dénonçant une proposition visant à réduire l’accès à l’AME ― celle du sénateur (Union démocrate et Indépendants) Vincent Delahaye, publiée dans le cadre d’un rapport, rendu public le 9 juillet dernier. Elle y explique qu’une réduction de l’accès à l’AME provoquerait un report de soins sur l’hôpital au détriment de tous-tes les patients-es. Et Sarah McGrath d’expliquer : « L’argument avancé pour une telle réforme est simple : l’AME coûterait trop cher, et il est nécessaire de faire des économies. Or la réalité est tout autre. Il s’agirait d’un pari perdant, à la fois pour la santé publique et pour les finances de l’État (…) si l’AME est réformée, les visites à l’hôpital ne feront qu’augmenter. Réaliser des économies à court terme sur les plus vulnérables, c’est payer plus cher demain. »
Enfin, du côté de France Assos Santé (FAS), on dénonce surtout la méthode du gouvernement qui « entend faire passer coûte que coûte [des restrictions de l’AME ou encore une augmentation des franchises médicales par décrets, ndlr] avant même le vote de confiance que le Premier ministre a lui-même demandé, des textes qui viendront aggraver l’accès aux soins. Il est tout bonnement scandaleux que ces mesures qui auront un impact majeur sur le reste à charge des personnes passent par voie règlementaire, sans débat parlementaire dans le cadre du PLFSS 2026, ni concertation des acteurs concernés. » « Nous dénonçons la tentative de faire passer des projets de décrets venant durcir les conditions d’accès et le panier de soins de l’AME dans un délai d’urgence (…) Si le Président de la Cnam a pu les faire reporter à la Commission de la législation et de la règlementation du 9 septembre, ces textes, qui ne visent qu’à dissuader et restreindre l’accès aux soins de personnes vulnérables, méritent (…) un authentique débat démocratique. »
Avec la chute effective de François Bayrou et un éventuel gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes, difficile de dire ce qu’il va désormais advenir de ces décrets controversés. Une chose est certaine, cette nouvelle attaque fragilise une fois encore l’AME, dont une partie de la classe politique veut la fin. Pourtant, comme le rappelle Médecins du Monde, nombreuses sont les études scientifiques qui montrent que le niveau de prestations sociales, comme la couverture santé, n’est pas un élément déterminant pour choisir le pays de destination pour les personnes souhaitant migrer. Même après cinq années ou plus de résidence en France, 35 % des personnes sans titre de séjour n’ont pas accès à l’AME.
Des éléments que les partis qui manipulent le présumé chiffon rouge que serait l’AME ne citent jamais. Pas plus que n’est mise en avant l’idée qu’il serait bien, aujourd’hui, d’avoir un accès au système de santé non conditionné à la régularité du droit au séjour. D’ailleurs plusieurs ONG (Médecins du Monde, AIDES, etc.) des organisations du médico-social, des sociétés savantes, réclament que les personnes bénéficiaires de l’AME soient intégrées dans le régime général de la sécurité sociale, afin d’instaurer sur tout le territoire français une protection maladie réellement universelle.