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    Lutte contre le Covid-19, sortie du confinement et dépistage : convaincre plutôt que contraindre !

    • Communiqué
    • 10.04.2020

    Tribune initialement publiée sur le site internet du Journal du Dimanche.
     

    Lors de son audition parlementaire du 1er avril, le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé que le gouvernement travaillait aux différents scénarios possibles concernant le déconfinement et la politique de dépistage. Les dépistages aujourd’hui utilisés cherchent la présence de virus actifs dans l’organisme. Demain, il pourrait être utile de savoir qui a été en contact avec le virus et a développé des anticorps permettant de se protéger d’une nouvelle infection, d’être immunisé. Probablement que nombre d’entre nous a été infecté sans le savoir, car sans symptômes.

    Ces dépistages pourraient prendre la forme de tests rapides ou autotests, tels ceux que nous utilisons depuis plus de dix ans dans la lutte contre le VIH/sida. Ces tests de dépistages Covid, qui cherchent les anticorps et non le virus, sont encore en cours d’évaluation et les informations sur la durée de l’immunité acquise sont encore floues. Sommes-nous protégés six mois, un an, à vie? Il est pour autant certainement pas nécessaire d’attendre d’avoir les outils validés, et les données exactes sur l’immunité pour poser les termes de l’utilisation du dépistage pour la sortie du confinement.

    Le manque de transparence des dirigeants sur certains points, comme l’utilité des masques, a suscité des doutes

    Nous avons une expérience en matière de stratégies de prévention et de dépistage qui peut contribuer aujourd’hui à la décision publique. La lutte contre le sida a pu avancer en considérant les citoyens comme des personnes responsables, capables de comprendre les informations. Faire maintenant le pari de la transparence, de l’autonomie des personnes, de leur capacité à comprendre les stratégies proposées, sera plus gagnant qu’une santé publique autoritaire mise au service du contrôle sans discernement.

    Le manque de transparence des dirigeants sur certains points, comme l’utilité des masques, a suscité des doutes et des remises en cause des stratégies déployées par le gouvernement. L’information donnée aux personnes doit être transparente, y compris sur ce que sont les incertitudes scientifiques, sur le degré de contagiosité du virus ou sur la durée de l’immunisation. Toute démarche de dépistage doit s’accompagner de messages particulièrement clairs sur ses objectifs et les hypothèses épidémiologiques sur lesquels elle s’appuie.

    Ces dernières semaines, dans un contexte particulièrement dramatique, la population française a dû se familiariser avec de nombreuses notions nouvelles comme les données en épidémiologie, la pratique des essais cliniques, la priorisation des patients-es en service de réanimation. L’histoire du VIH nous a montré que la compréhension de la manière dont la science se fait et des limites de la connaissance est essentielle à l’adhésion des personnes. Ce n’est donc que dans ces conditions que nous pourrons espérer voir se mettre en place un dépistage utile et efficace.

    Donner à ceux qui le souhaitent la possibilité de se faire dépister, c’est permettre aux personnes de se responsabiliser

    Nous le savons aujourd’hui, la stratégie de dépistage qui a été mise en place ces dernières semaines ne correspond pas à ce qu’il aurait été souhaitable, mais à ce qu’il était possible de faire, faute de matériels et tout particulièrement de réactifs suffisants. Le dépistage et le diagnostic sont des outils de santé publique, mais aussi des outils de santé individuelle et communautaire, communauté entendue ici comme la famille, les proches, les amis-es, les collègues. Savoir si on est malade ou non, savoir si on est immunisé-e ou non, sont des moyens d’adapter ses pratiques (choisir de rester confiné-e) et de mettre en place des démarches de réduction des risques (porter un masque). Donner à ceux qui le souhaitent la possibilité de se faire dépister, c’est certainement permettre aux personnes de se responsabiliser. Aussi, les stratégies de réduction de risques individuelles et communautaires pourraient être encouragées, en proposant par exemple aux malades qui ne relèvent pas de l’hospitalisation ou aux personnes asymptomatiques contagieuses, des hébergements pour éviter de contaminer leur entourage proche.

    La lutte contre le VIH a gagné en efficacité en sortant les malades d’un discours de culpabilisation et de stigmatisation, les tenant responsables de leur situation ; en mobilisant les personnes concernées, faisant de chacun-e un-e acteur-rice de sa santé ; en associant des politiques publiques ambitieuses d’accès aux soins et de prévention. L’efficacité de ces politiques repose notamment sur la prise en compte des besoins, de l’expérience et de la parole des premiers-ères concernés-es. Nous ne pouvons donc que déplorer que depuis le début de cette crise, les associations d’usagers-ères du système de santé n’aient été que très peu associées à la réflexion autour des politiques publiques de lutte contre l’épidémie. En outre, il semble possible aujourd’hui, compte tenu des moyens numériques disponibles, d’organiser une consultation citoyenne, ce qui assurerait une plus grande adhésion et probablement quelques propositions innovantes venant des premiers-res concernés-es.

    La contrainte ou la stigmatisation n’ont jamais été des facteurs permettant l’adoption de comportements favorables à la santé

    Plusieurs pays européens, dont l’Allemagne et la Grande-Bretagne, envisagent des projets de 'passeport d’immunité' délivrés aux personnes immunisées et leur accordant le droit de reprendre leurs activités. La délivrance de ces passeports suppose l’organisation d’un dépistage systématisé. Il ne faudrait pas oublier que même si le dépistage de maladies transmissibles ou contagieuses peut être obligatoire dans certaines situations, les projets de dépistage obligatoire du VIH ont été systématiquement abandonnés car ils avaient pour seule conséquences d’éloigner les personnes de l’offre de dépistage.

    La contrainte ou la stigmatisation n’ont jamais été des facteurs permettant l’adoption de comportements favorables à la santé. La contrainte ne doit pas se substituer aux dispositifs de prévention et d’accompagnement des citoyens-es. Ils sont nécessaires pour comprendre l’importance du dépistage – et des mesures de protection - et ainsi créer les conditions pour l’adhésion des personnes au dépistage. Les tests doivent donc être proposés de façon systématique, mais sans obligation. L’expérience du VIH nous a appris que la prévention d’une maladie infectieuse n’est efficace que si elle est l’affaire de toutes et tous, dès lors que l’on met en place les dispositifs indispensables à la compréhension et l’appropriation de l’enjeu de préservation de sa santé et de celle des autres. Cette prévention ne peut-être l’affaire d’un seul groupe de personnes qui décide pour tout le monde.

    Nous avons une expérience riche en termes de dépistage mais aussi de stratégie. Les militants-es de AIDES sont formés-es pour réaliser quotidiennement partout en France des Trod VIH et VHC (tests rapides d’orientation diagnostic) qui permettent un dépistage rapide, par prélèvement d’une goutte de sang au bout du doigt. Les militants-es d’autres associations le font aussi, dont un certain nombre formés-es par AIDES. L’expérience montre que les bénéfices individuels et collectifs du dépistage sont augmentés si l’acte de dépistage est accompagné d’un entretien faisant le point sur les pratiques, les attentes et les connaissances des personnes et qui permet de renforcer les pratiques de prévention mais aussi l’accès effectif aux soins.

    Le recours à des technologies numériques qui pourraient accompagner les stratégies de dépistage posent, à nouveau la question du consentement et de l’appropriation de l’outil. La technologie, aussi fascinante soit elle par ce qu’elle promet, n’enlève rien à la nécessité d’une mise en œuvre solidaire, associant les premiers-ères concernés-es, considérant les citoyens-nes comme des personnes douées de raison, capables de s’emparer des outils mis à leur disposition.

    Contacts presse :

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