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    Le 124ème numéro de REMAIDES est disponible en ligne !

    • Remaides

    remaides numéro 124 magazine aides association vih sida ist INDÉTECTACLES,
    MAIS PAS INVISIBLES !

    En 2008, la Commission fédérale suisse pour les problèmes liés au sida (CFS) publie dans le Bulletin des médecins suisses, une communication qui fait date. Elle avance, preuves scientifiques à l’appui, que les « personnes séropositives au VIH sous traitement antirétroviral (….) ne sont pas susceptibles de transmettre le virus par voie sexuelle ». C’est l’acte fort de ce qu’on appellera le Tasp (traitement comme prévention) puis I = I (U = U en anglais), connu alors sous la dénomination d’avis suisse ; un « avis » éternellement associé au Pr Bernard Hirschel, le premier à en faire la promotion publique. Une exposition dont il assumera courageusement toutes les conséquences. À l’époque, l’accueil oscille entre l’incrédulité, la joie contenue (c’est pourtant une incroyable bonne nouvelle dans le domaine du VIH, qui en connait si peu) et la prudence, mâtinée d’inquiétude. C’est la troisième qui donne le ton.

    Évoquant les données à l’appui de l’affirmation suisse, le Conseil national du sida (CNS) reste prudent dans un communiqué (30 janvier 2008) « Cependant, les données permettant d’extrapoler la réduction du risque d’un niveau collectif à des situations individuelles restent trop préliminaires pour permettre des recommandations individuelles (…). Il apparaît donc prématuré à ce jour d’établir sur les données existantes des recommandations individuelles, qui doivent continuer à promouvoir les méthodes de prévention éprouvées, notamment l’usage du préservatif ». Le CNS n’est pas le seul à réagir ainsi ; idem à l’international.

    Conscient que l’annonce suisse est majeure et qu’elle soulève des enjeux de santé publique clefs, tout particulièrement pour les personnes vivant avec le VIH, le CNS se met à l’œuvre pour « dégager les implications éthiques, politiques et sociales » de ce tournant dans la lutte contre le VIH. En avril 2009, sort son « Avis suivi de recommandations sur l’intérêt du traitement comme outil novateur de la lutte contre l’épidémie d’infections à VIH », un texte clef. En quelques 17 pages, tous les sujets sont traités, dans le détail, avec nuance et mesure, en concentrant l’analyse sur les conditions à réunir pour obtenir un effet (de cet outil) sur la dynamique d’une épidémie concentrée, comme elle l’est en France.
    Lorsqu’on relit ce texte d’il y a quatorze ans, ce qui frappe c’est le passage qui explique que le « Tasp » (même s’il n’est pas encore appelé ainsi à l’époque) conduit à un « rapport nouveau à l’infection et au traitement pour les personnes vivant avec le VIH ». On le trouve dans la dernière partie de l’avis qui enjoint à « refonder le pacte préventif », en « renforçant la capacité des individus à exercer leur liberté ». Une liberté retrouvée pour les PVVIH lorsque l’avis affirme : « La réduction du risque de transmission grâce au traitement offre aux personnes séropositives un puissant motif de réassurance qui devrait leur permettre, à des degrés divers, de vivre leur sexualité de façon plus apaisée et plus épanouie ». Le CNS y souligne aussi que le « Tasp » est à même de « modifier les perceptions sociales de la maladie » en proposant, de fait, une autre image des PVVIH pouvant permettre de lutter contre les phénomènes de stigmatisation et de discrimination sérophobes. Il est question de « restauration de la dignité des personnes vivant avec le VIH.» Ce n’est pas un hasard si le CNS met cet argument en avant. Dans le préambule de son avis, il explique ainsi qu’il est de sa responsabilité de « promouvoir, le partage de l’information et du savoir (…) et que l’un des fondements d’une société démocratique est l’égal accès aux connaissances » et la liberté de choisir pour soi, qui en découle.

    Nous sommes en 2009. Tout est là. Tout est dit. On s’imagine alors que c’est le début de voie royale pour le Tasp et ses conséquences bénéfiques pour la vie des PVVIH et la lutte contre le VIH dans son ensemble. Rien ne sera simple. Rares seront les médecins, même spécialistes du VIH, qui vont largement donner l’information aux personnes qu’ils-elles suivent, leur permettant d’ajuster leurs stratégies préventives personnelles. Plusieurs enquêtes successives de AIDES (VIH, Hépatites et vous) auront l’occasion de montrer la lente progression de cette appropriation par le corps médical. Tardives seront les campagnes officielles sur l’effet protecteur — pour soi et les autres — du traitement. Longtemps, le message sur le Tasp sera assorti de précautions oratoires, d’annexes dignes d’un contrat d’assurance… comme s’il était impossible de prononcer cette simple phrase : « Une personne vivant avec le VIH sous traitement ne transmet pas le virus ». Pourtant, dès 2011, de nouvelles preuves scientifiques (dont l’étude Partner 2014, 2016, puis 2019) sont venues confirmer l’annonce suisse initiale. 
    Limité sera l’impact des actions des associations de lutte contre le VIH/sida malgré leurs efforts, parfois de longue date : 2010, pour les premières actions sur le Tasp. Le résultat est que le Tasp reste trop méconnu. En 2016, huit ans après l’avis suisse, une enquête européenne menée auprès d’hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes montrait que 41 % des répondants ne connaissaient pas l’effet préventif du traitement ARV. Un sondage de 2022 pour le Crips Île-de-France Prévention santé sida indiquait que 47 % de la population générale n’avaient pas connaissance du Tasp. En 2020, une étude, publiée sur le site Aidsmap, menée dans vingt-cinq pays du monde, indiquait qu’une personne séropositive sur trois n’abordait pas le sujet du Tasp avec son médecin. Parmi celles et ceux qui en parlaient, les hommes hétéros et les femmes hétéros étaient les moins nombreux-ses à le faire.

    Nous sommes en 2023. La promesse d’une vision renouvelée de la société sur les PVVIH n’est pas tenue puisque la sérophobie reste forte, avec tout ce que cela produit sur le regard que des personnes vivant avec le VIH portent sur elles-mêmes. La recommandation d’un accès large et égal aux connaissances n’est pas suivie puisque de nombreuses personnes ignorent le Tasp, y compris des personnes pour lesquelles cette annonce changerait probablement la vie. Trop souvent, cette excellente nouvelle reste confisquée. Face à cela, des personnes vivant avec le VIH se mobilisent. Certaines ont choisi de le faire dans Remaides, dans le cadre d’une nouvelle rubrique, « Indétectables, mais pas invisibles », qui démarre dans ce numéro et qui sera proposée dans chaque numéro en quatrième de couverture du journal. Il s’agit d’une série de portraits de personnes vivant avec le VIH qui mettent en avant, avec leurs mots, ce que le Tasp représente pour elles ; ce qu’il a eu comme impact. Une façon de rappeler que derrière le slogan : I = I (Indétectable = Intransmissible), il y a des visages, des destins, des parcours, des espoirs et que vivre avec le VIH, aujourd’hui… c’est d’abord vivre ! 

    Jean-François Laforgerie,
    Coordinateur de REMAIDES

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