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    L'Actu vue par Remaides : Liz Highleyman : « Je pense que la meilleure façon de combattre la stigmatisation, c’est de diffuser une information précise et fiable »

    • Actualité
    • 30.07.2025

    LIZ SF

    Liz Highleyman en mars 2025 lors de la Croi à San Francisco.

    Photo : Fred Lebreton

     

    Par Fred Lebreton

    Liz Highleyman : "Je pense que la meilleure façon de combattre la stigmatisation est de diffuser une information précise et fiable"

    Mardi 11 mars 2025 ; en pleine effervescence de la Croi 2025 (la plus grande conférence scientifique américaine sur le VIH, les hépatites et les infections opportunistes, qui s’est tenue à San Francisco du 9 au 12 mars), Liz Highleyman s’accorde une pause de 30 minutes pour répondre à mes questions. Journaliste spécialisée dans le VIH depuis près de 30 ans, elle se retrouve, cette fois, de l’autre côté du micro. D’abord un peu hésitante, Liz se prête vite au jeu de l’interview, laissant entrevoir une facette plus personnelle de son parcours et de son engagement. « C’était amusant », conclut la journaliste avec un sourire à la fin de notre échange.

    Remaides : Avant de devenir journaliste spécialisée dans le VIH, vous étiez militante et membre d’Act Up Boston à la fin des années 1980. Comment s’est opérée la transition entre l’activisme et le journalisme sur le VIH ?

    Liz Highleyman : En fait, à l’université, j’ai étudié l’informatique. Lorsque mes amis ont commencé à mourir du sida, cela m’a poussée à m’engager dans cette lutte. C’est aussi à ce moment-là que j’ai commencé à m’intéresser à la science. À l’époque, je travaillais au MIT [Massachusetts Institute of Technology, une université de recherche privée située à Cambridge, dans le Massachusetts, aux États-Unis, ndlr] et dans le cadre des avantages offerts aux employés, ils m’ont permis d’étudier à la Harvard School of Public Health en cours du soir. J’ai donc étudié la santé publique, tout en travaillant. Après cela, mon partenaire et moi avons déménagé à San Francisco en 1994, et j’ai décroché un poste à la San Francisco AIDS Foundation. J’ai rejoint l’équipe en charge de la publication sur les traitements du VIH qu’ils éditaient, appelée Beta, ou Bulletin of Experimental Treatments for AIDS. J’ai travaillé là-dessus pendant un certain temps. En fait, mon intérêt pour la science s’est développé à travers mon activisme, puis j’ai suivi une formation pour approfondir mes connaissances. Et j’ai énormément appris. Comme beaucoup d’entre nous dans les années 80, nous apprenions un peu sur le tas. Parfois, nous en savions même plus que certains professeurs, car le sujet était encore très nouveau.

    Remaides : La stigmatisation et la désinformation restent des obstacles majeurs dans la lutte contre le VIH. Comment abordez-vous ces enjeux dans votre travail ? Et quel rôle les journalistes jouent-ils dans la lutte contre la stigmatisation ?

    Je pense que la meilleure façon de combattre la stigmatisation, c’est de diffuser une information précise et fiable. Si les gens savent que le VIH peut être très efficacement prévenu grâce à la Prep, que les personnes vivant avec le VIH peuvent être traitées et atteindre une charge virale indétectable ― ce qui signifie qu’elles ne transmettent pas le virus à leurs partenaires ―, alors cela contribue à réduire la stigmatisation. Ces informations existent, mais elles ne sont pas toujours accessibles aux personnes qui en ont le plus besoin. C’est surprenant qu’après 40 ans d’épidémie, il y ait encore des gens qui ignorent l’existence de la Prep ou le fait que les personnes traitées rapidement peuvent avoir une espérance de vie normale. Beaucoup ne savent pas non plus que l’hépatite C se guérit aujourd’hui. Malgré tous nos efforts, il reste un énorme déficit de sensibilisation. Tout ce que nous pouvons faire, c’est continuer à diffuser l’information. En plus des publications auxquelles je contribue, je suis très active sur les réseaux sociaux pour relayer ces messages, car c’est là que se trouvent non seulement beaucoup de personnes peu informées, mais aussi de nombreuses sources de désinformation. Et aussi frustrant que cela puisse être, nous devons y répondre et rectifier les fausses informations dès que nous les voyons.

    Remaides : Vous avez collaboré avec de nombreuses publications médicales et communautaires. Comment conciliez-vous l’exigence de rigueur scientifique avec la nécessité de rendre l’information accessible à un large public ?

    C’est une excellente question. Parmi les différentes publications pour lesquelles j’ai écrit, certaines s’adressent davantage à la communauté, et dans ce cas, j’essaie de maintenir un niveau de lecture accessible en expliquant et vulgarisant les concepts scientifiques difficiles. D’autres sont destinées aux professionnels de santé, ce qui me permet d’entrer davantage dans les détails. Mais je pense que la plupart des notions, voire toutes, peuvent être expliquées de manière compréhensible si l’on prend le temps de les rendre accessibles et de les répéter. Bien sûr, certains domaines, comme la recherche sur la guérison ou les vaccins, sont intrinsèquement complexes, mais avec de la pédagogie et de la répétition, il est possible de les rendre plus intuitifs pour le public. Au fil du temps, j’ai développé une meilleure intuition pour identifier ce qui sera le plus facilement compris et comment le formuler de manière claire.

    Remaides : Vous écrivez notamment pour le Bay Area Reporter (BAR), le plus ancien média LGBT+ des États-Unis, fondé à San Francisco en 1971. Quel rôle les médias communautaires ont-ils joué dans la lutte contre le VIH, en particulier à San Francisco ?

    Le Bay Area Reporter couvre le VIH depuis le début de l’épidémie, bien avant même que l’on sache ce qu’était le VIH dans les années 80. Il a toujours été une voix essentielle pour la communauté, un média de référence où les gens venaient chercher les dernières avancées scientifiques, les évolutions des politiques publiques, les questions juridiques et l’actualité de l’activisme autour du VIH. Je n’ai commencé à collaborer avec eux que vers le milieu des années 90. J’étais présente à la Conférence internationale sur le sida de Vancouver en 1996, quand la trithérapie a été annoncée comme une avancée majeure. J’ai alors contacté le rédacteur en chef du BAR pour lui proposer un article sur cette découverte, et j’écris pour eux depuis ce jour-là. Grâce à sa visibilité en ligne, le Bay Area Reporter est une source d’information suivie bien au-delà de San Francisco.

    Remaides : Quel rôle San Francisco a-t-elle joué dans la réponse au VIH aux États-Unis ?

    San Francisco a toujours été à l’avant-garde de la lutte contre le VIH. La ville a ouvert le premier service hospitalier dédié au VIH/sida. Elle a été la première à recommander un traitement antirétroviral pour toutes les personnes vivant avec le VIH, quel que soit leur taux de CD4. Elle a aussi été pionnière dans l’implémentation à grande échelle de la Prep et plus récemment de la DoxyPep [programme préventif avec un antibiotique donné post-exposition contre les IST, ndlr]. La ville, elle-même, est souvent perçue comme un laboratoire d’expérimentations pour la communauté VIH ; une preuve de concept : si une initiative fonctionne ici, elle peut être reproduite ailleurs. Au fil des années, le nombre de nouvelles infections y a diminué régulièrement, sauf une légère hausse pendant la pandémie de Covid-19. Aujourd’hui, les nouveaux cas concernent principalement des populations dites « difficiles à atteindre », notamment les personnes sans domicile fixe, celles qui consomment des drogues ou qui ont des troubles de santé mentale. Certes, San Francisco est une ville riche et éduquée, mais elle doit aussi faire face à d’importants défis liés au sans-abrisme et à l’usage de drogues. La communauté gay masculine, quant à elle, a été très proactive dans l’adoption des stratégies de prévention comme U = U, la Prep et la DoxyPep. Cependant, il reste encore des poches de population qui n’ont pas bénéficié de ces avancées, et c’est là que se concentrent désormais les efforts de santé publique. En plus des avancées scientifiques qui ont vu le jour ici, grâce notamment à l’Université de Californie à San Francisco (UCSF), la ville a bénéficié de la présence de chercheurs de renom. Dans les années 80, il faut se rappeler que beaucoup de médecins et de scientifiques ne voulaient pas travailler sur le VIH. Ce sont donc souvent de jeunes chercheurs et cliniciens qui ont été en première ligne, apprenant en même temps que les malades et les activistes. Beaucoup d’entre eux sont encore aujourd’hui des figures majeures dans la lutte contre le VIH.

    Remaides : Au-delà des avancées médicales et cliniques, San Francisco a aussi été un centre majeur d’activisme VIH…

    Tout à fait. La ville a pu faire avancer bien plus de choses que d’autres endroits, notamment grâce à une communauté gay puissante et influente. Cet engagement remonte à Harvey Milk [premier élu ouvertement gay de Californie, assassiné le 27 novembre 1978, ndlr] et à une époque où les personnes LGBT+ ont commencé à être représentées à tous les niveaux du gouvernement local. Cette visibilité a permis d’obtenir des avancées qui auraient été plus difficiles à obtenir ailleurs. L’activisme a toujours été un moteur ici. Act Up San Francisco, Act Up Golden Gate et Project Inform ont été des groupes pionniers dans la lutte contre le VIH. Act Up San Francisco et Act Up Golden Gate travaillaient ensemble avant de se séparer en 1990 : le premier s’est tourné vers la justice sociale pour garantir un accès équitable aux soins, tandis que le second a davantage mis l’accent sur la recherche. Malheureusement, Act Up San Francisco a fini par se désagréger lorsque certains de ses membres ont adopté des théories niant le lien entre le VIH et le sida, et ont promu des traitements alternatifs douteux. Project Inform a fermé ses portes il y a quelques années, mais la San Francisco AIDS Foundation est toujours très active et joue un rôle essentiel. En matière d’activisme VIH aux États-Unis, San Francisco se situe juste après New York en termes d’impact, et ces deux villes ont longtemps servi de piliers à la mobilisation, avec des branches d’Act Up qui ont vu le jour dans de nombreuses autres villes du pays.

    Remaides : L'administration Trump est ouvertement en guerre contre la science et la communauté LGBT+. En tant que journaliste santé, comment envisagez-vous l'avenir de la recherche sur le VIH, en particulier pour les minorités dans votre pays ?

    Je vais d'abord parler de la recherche. Au fil des années, et en grande partie grâce aux efforts des militants, la recherche sur le VIH a bénéficié d'un financement important. On pourrait même dire qu'elle a reçu une part relativement élevée des fonds par rapport au nombre de personnes touchées par le VIH, si on le compare, par exemple, au nombre de personnes atteintes de cancer ou de maladies cardiovasculaires. Cependant, cette recherche a joué un rôle crucial, y compris pour les personnes qui ne sont pas atteintes du VIH. Elle a permis des avancées majeures dans la compréhension du système immunitaire et du fonctionnement des vaccins, et a même jeté les bases du développement des vaccins contre la Covid-19. Toutefois, de nombreux essais de vaccins contre le VIH ont échoué les uns après les autres. Quant à la recherche sur la guérison contre le VIH, bien qu'elle soit scientifiquement fascinante, il n'existe actuellement rien dans le « pipeline » qui soit susceptible d'être cliniquement applicable à la majorité des personnes vivant avec le virus dans un avenir proche. Ce type de recherche est particulièrement menacé par d'éventuelles coupes budgétaires, car il ne produit pas de résultats concrets à court terme. De nombreuses interventions lors de conférences ont cependant souligné que la recherche sur le VIH profite aussi à d'autres domaines. Elle a, par exemple, contribué aux avancées en immunothérapie contre le cancer et dans bien d'autres disciplines. C'est un argument en sa faveur. Concernant Robert F. Kennedy Jr., notre nouveau secrétaire à la Santé, il a exprimé sa volonté de mettre davantage l'accent sur les maladies chroniques. Aujourd'hui, on peut d'ailleurs soutenir l'idée que, pour les personnes qui bénéficient d'un bon traitement contre le VIH, il est aussi essentiel de progresser dans la recherche sur le cancer, les maladies cardiovasculaires ou encore la maladie d'Alzheimer. De nombreux « vétérans » du VIH [qui vivent avec le VIH depuis longtemps, ndlr] pourraient en tirer des bénéfices. Il ne s'agit donc pas d'opposer les maladies infectieuses aux maladies chroniques. Au contraire, la recherche sur ces dernières doit inclure les personnes vivant avec le VIH, car elles ont également besoin de solutions adaptées. En ce qui concerne l'accès aux soins et aux services, la situation s'annonce plus compliquée. Il existe déjà d'importantes disparités aux États-Unis. À San Francisco, le financement des traitements et des services liés au VIH est solide, tandis que d'autres régions, notamment dans le Sud du pays, investissent beaucoup moins dans ces programmes. Certains États n'ont toujours pas élargi leur programme Medicaid, qui constitue pourtant un soutien clé pour les personnes à faibles revenus et en situation de handicap.

    Remaides : Cela signifie-t-il que certaines personnes vivant avec le VIH n'ont pas accès aux traitements aux États-Unis ?

    Je pense que c'est probablement vrai. Il existe un programme spécifique mis en place pour financer les traitements du VIH, mais certaines années, les fonds s'épuisent. Il y a eu des périodes où une liste d'attente a dû être mise en place. Dans certaines régions, le programme Medicaid ne couvre pas autant de personnes qu'il le devrait. Et même lorsque certaines peuvent y avoir accès, elles ne disposent pas des services et du soutien nécessaires pour les guider dans le système de soins. Notre système de santé est très complexe, et de nombreuses personnes ont besoin d'aide pour obtenir les soins dont elles ont besoin. Je crains que ce programme ne soit réduit. L'Affordable Care Act, mis en place par le président Obama, pourrait également être remis en question. Or, il couvre un grand nombre de personnes vivant avec le VIH. Environ 40 % des personnes séropositives aux États-Unis bénéficient de Medicaid [couverture santé pour les personnes à revenus faibles. Elle dépend de chaque État, ndlr], qui est destiné aux personnes à faibles revenus. Par ailleurs, de plus en plus de personnes âgées sont également prises en charge par Medicare [Programme fédéral de couverture santé pour les personnes de 65 ans et plus, ndlr]. Ainsi, une grande partie des personnes vivant avec le VIH dépendent de l'aide gouvernementale. Certains États comme la Californie et New York tenteront probablement de combler une partie du manque, mais ils font aussi face à des restrictions budgétaires. Il est donc difficile de prévoir ce qui va se passer, mais la situation risque d’être compliquée.

    Remaides : Vous étiez présente hier soir au rassemblement en marge de la Croi pour soutenir la science. L’inquiétude de la communauté VIH est palpable.

    Oui, tout le monde est inquiet et concernant le financement mondial, les coupes budgétaires sont tout simplement dévastatrices. Le Pepfar [President’s Emergency Plan for AIDS Relief, ndlr], mis en place sous la présidence de George W. Bush, un républicain, a historiquement bénéficié d’un soutien bipartisan. Les sondages montrent encore aujourd’hui que même parmi ceux qui jugent les dépenses gouvernementales excessives, beaucoup considèrent que ce programme est utile. Le probable futur directeur des National Institutes of Health a d’ailleurs mené une étude prouvant que le Pepfar est rentable. Il bénéficie donc encore d’un large soutien. Cependant, ceux qui, pour reprendre une expression d’Elon Musk, « prennent la tronçonneuse » pour réduire les dépenses gouvernementales, ne semblent pas se soucier des conséquences de leurs actes. Ils ne réalisent même pas les dégâts qu’ils causent. Musk a récemment déclaré qu’aucune vie n’avait été perdue à cause de ces coupes budgétaires, mais les professionnels qui travaillent en Afrique dans les services liés au VIH/sida affirment le contraire. Ils témoignent des conséquences dramatiques de ces réductions de financement. J’espère donc que républicains et démocrates pourront s’entendre, comme ils l’ont fait par le passé, sur l’importance d’investir des ressources dans ce programme, d’autant plus qu’il est prouvé qu’il est efficace et rentable.

     

    Liz Highleyman : une journaliste engagée dans la lutte contre le VIH

    Liz Highleyman est une journaliste américaine basée à San Francisco, spécialisée dans le VIH, les hépatites virales et la santé publique. Diplômée de la Harvard School of Public Health, elle a débuté son engagement à la fin des années 1980 au sein d’Act Up Boston, un collectif militant pour les droits des personnes vivant avec le VIH. À partir de 1996, la journaliste commence à couvrir l’actualité scientifique autour du VIH pour le Bay Area Reporter (BAR). Liz Highleyman a collaboré avec de nombreuses publications spécialisées, dont POZ, Aidsmap, Positively Aware, HCV Advocate , The Well Project et Bulletin of Experimental Treatments for AIDS (BETA), publié par la San Francisco AIDS Foundation. En 2011, elle est nommée rédactrice en chef de HIVandHepatitis.com, renforçant ainsi son rôle de référence dans le domaine. Parallèlement, elle devient présidente de Health Education Online, Inc., qui acquiert le site la même année. Engagée dans l’éducation médicale continue, elle collabore avec des organismes de formation destinés aux professionnels-les de santé et contribue régulièrement à des médias comme Cancer Health, Hep, Real Health et MedPage Today. Son travail vise à rendre l’information scientifique accessible au plus grand nombre, à la fois pour le grand public et les spécialistes.

    LIZ SF

    Liz Highleyman en mars 2025 lors de la Croi à San Francisco.

    Photo : Fred Lebreton