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    L'Actu vue par Remaides : Yeztugo (lénacapavir) : la Prep injectable tous les six mois est autorisée aux États-Unis

    • Actualité
    • 20.06.2025

    FLACON PREP

    © STUDIO CAPUCHE

    Par Fred Lebreton

    Yeztugo (lénacapavir) : la Prep injectable tous les six mois est autorisée aux Etats-Unis

    L’approbation par la FDA américaine (l’agence du médicament américaine) du lénacapavir (nom commercial Yeztugo) en Prep injectable à longue durée d’action tous les six mois, marque une avancée majeure dans la lutte contre le VIH. Mais derrière l’effet d’annonce se cache une réalité plus amère : son prix exorbitant (28 218 dollars par an) pourrait réserver cette innovation à une minorité privilégiée, relançant le débat sur l’accès universel et l’éthique des brevets pharmaceutiques. Explications.

    « C’est un jour historique dans la lutte contre le VIH »

    L’annonce a fait le tour du monde en quelques heures : la Food and Drug Administration (FDA) américaine a approuvé (mercredi 18 juin) le Yeztugo (nom commercial du lénacapavir en Prep) développé par Gilead en Prep injectable à longue durée d’action tous les six mois. Le traitement vise à prévenir l’infection par le VIH chez les adultes et adolescents-es pesant au moins 35 kg. L’approbation a été saluée comme un « tournant majeur », susceptible de lever l’un des freins les plus persistants de la prévention : l’adhésion à une prise quotidienne. « C’est un jour historique dans la lutte contre le VIH », s’est réjoui Daniel O’Day, PDG de Gilead, évoquant un progrès « susceptible de transformer profondément l’accès à la prévention ».
    Les résultats de l’essai PURPOSE 1, publiés en juillet 2024, avaient déjà donné le ton : aucune infection recensée chez les femmes cisgenres ayant reçu le lénacapavir tous les six mois en comparaison avec la Prep orale prise une fois par jour. Le traitement offre ainsi une alternative inédite à la Prep orale quotidienne, en particulier pour les personnes les plus exposées au VIH, souvent confrontées à la stigmatisation, aux ruptures d’accès ou à des contraintes d’observance. Cette autorisation fait écho à Apretude (ou CAB LA pout cabotégravir à longue durée d’action), premier traitement de Prep injectable tous les deux mois, approuvé en 2021 aux États-Unis, puis en 2023 en France (mais toujours pas commercialisé à ce jour chez nous faute d’un accord sur son prix). « On entre clairement dans une nouvelle ère de la prévention, plus flexible, plus discrète, plus adaptée aux réalités de terrain », résume un acteur communautaire engagé à New York. Pour autant, cette avancée biomédicale ne fera pas oublier la question qui fâche : le prix.

    « Si le prix dépasse 20 000 dollars, son usage généralisé est illusoire, même dans les pays riches »

    Yes to go, oui pour y aller … ou pas ! Si le potentiel médical du lénacapavir ne fait guère débat, son coût astronomique menace de le transformer en privilège inaccessible. Gilead a finalement annoncé un prix de lancement de 28 218 dollars par an, confirmant les craintes des acteurs-rices de santé publique. Selon une analyse menée par l’Université de Liverpool, le lénacapavir pourrait être produit pour 25 à 46 dollars par an, avec une marge bénéficiaire incluse, si l’on atteignait une production de cinq à dix millions de doses annuelles. « Si le prix dépasse 20 000 dollars, son usage généralisé est illusoire, même dans les pays riches », estime le chercheur Andrew Hill. Le médicament est déjà commercialisé sous le nom de Sunlenca pour les personnes vivant avec un VIH multi-résistant à un tarif dépassant les 39 000 dollars annuels. En octobre 2024, Gilead a signé des accords avec six fabricants de génériques pour distribuer des versions à bas coût dans 120 pays à revenu faible, avec l’engagement de fournir deux millions de doses sans profit. Mais des pays clés comme le Brésil, l’Argentine ou certaines régions d’Europe de l’Est restent exclus de ces accords. De quoi alimenter le scepticisme : « Gilead reproduit le même schéma qu’avec le Truvada, en verrouillant les brevets et en limitant volontairement l’accès au générique », regrette un militant de la société civile sud-africaine, cité par l’AFP.

    « Le progrès scientifique n’a de valeur que s’il atteint les personnes concernées »

    Face à ce paradoxe, une avancée scientifique majeure et une barrière économique démesurée, les réactions de la communauté internationale ne se sont pas fait attendre. L’Onusida, en première ligne, exhorte Gilead à baisser son prix : « Ce médicament pourrait être l’outil décisif pour maîtriser les nouvelles infections, mais seulement s’il est proposé à un prix abordable et accessible à toutes celles et ceux qui pourraient en bénéficier », martèle Winnie Byanyima, directrice générale de l’Onusida. Elle rappelle que le lénacapavir est le fruit de décennies d’investissements publics et de collaborations internationales, et que « refuser l’accès aux plus vulnérables serait un échec moral ». Du côté des acteurs-rices communautaires, la prudence domine : « L’approbation par la FDA est une bonne nouvelle, mais elle ne garantit rien tant que la mise en œuvre ne sera pas équitable », insiste Mitchell Warren pour AVAC (AIDS Vaccine Advocacy Coalition). « Le progrès scientifique n’a de valeur que s’il atteint les personnes concernées. » L’enjeu est de taille : 1,3 million de nouvelles infections au VIH sont encore enregistrées chaque année dans le monde, et des outils comme le lénacapavir pourraient faire reculer l’épidémie si tant est qu’on décide de les partager. Des voix de plus en plus nombreuses appellent à une refonte du modèle économique des innovations biomédicales, dans lequel le retour sur investissement ne justifierait plus un accès limité à quelques pays du Nord. Dans une tribune publiée dans The Lancet HIV, plusieurs chercheurs-ses et activistes dénoncent une « occasion manquée de construire une véritable solidarité sanitaire mondiale ». Le débat dépasse désormais le cadre du VIH pour rejoindre celui de la justice sociale, dc el’accès universel, des brevets et de la responsabilité des grands laboratoires. Comme le résume sans détour Winnie Byanyima : « Si ce médicament reste hors de portée financière, il ne révolutionnera rien. »

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