L’Actu vue par Remaides : « Rapports de l’OFDT : Produits, tendances et consommations à Lyon, Marseille, Paris et Bordeaux »
- Actualité
- 27.11.2025

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Par Jean-François Laforgerie
Rapports de l'OFDT ; produits, tendances et consommations à Lyon, Marseille, Paris et Bordeaux
Phénomènes émergents, évolutions en matière de trafic, de consommation, d’usages… tout cela est suivi par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT). Ce dernier publie régulièrement les rapports réalisés par les neuf coordinations régionales du dispositif Tendances récentes et nouvelles drogues (TREND). Ces rapports concernent des régions aussi différentes que : Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Auvergne Rhône-Alpes, Grand-Est, Bretagne, Nouvelle-Aquitaine, Île-de-France, les Hauts-de-France ou encore l’île de La Réunion. Les contenus de ces rapports s’appuient sur des « méthodes qualitatives » d’enquête (observations, entretiens). Elles sont menées auprès d’acteurs-rices divers-ses (usagers-ères, intervenants-es du secteur socio-sanitaire et de l’application de la loi, etc.) locaux-les ; ce qui contribue à une « meilleure compréhension des spécificités territoriales. »
Cet été, l’OFDT (Observatoire français des drogues et des tendances addictives) a publié neuf rapports. Ils présentent des données de 2024. Ces rapports sont centrés sur les grandes métropoles régionales, mais abordent aussi les situations régionales. Les rapports sont tous construits sur le même modèle : méthodologie, objectifs, provenance des données analysées, les tendances régionales (ventes, trafic, consommations), les tendances sur les produits et les tendances sur les usages. L’actu vue par Remaides a choisi, dans cet article, de synthétiser des informations relatives à certains produits et à certaines pratiques et aux personnes concernées par elles (hormis le chemsex qui a été traité dans un article à part). Remaides a retenu plusieurs grandes villes : Bordeaux, Paris, Marseille et Lyon. Les autres apports (Rennes, Lille, La Réunion, etc.) sont accessibles et consultables sur le site de l’OFDT. Cette synthèse n’aborde pas l’ensemble des données et constats largement analysés dans les différents rapports, mais quelques points saillants.
Lyon et la région Aura, produits, tendances et consommations
Les données des analyses présentées dans une partie du rapport de l’OFDT proviennent : du laboratoire de police scientifique (LPS) rapportant celles réalisées sur les produits saisis en région (environ 960 analyses) ; du dispositif SINTES (40 collectes dans le cadre de la veille sanitaire) ; et du réseau Analyse ton Prod (ATP) (environ 600 collectes dans le cadre de la réduction des risques et dommages).
Les saisies de cocaïne en région sont toujours plus importantes, même si la cocaïne saisie n’est pas toute à destination du marché local. Son accessibilité à la vente au détail est également de plus en plus large, la cocaïne est présente dans l’ensemble des fours (points de deal) via une vente très fractionnée (demi-gramme, ou pochon de 20, voire 10 euros) qui se généralise dans l’ensemble des grandes ou moyennes villes (Lyon, Grenoble, Saint-Étienne, Clermont-Ferrand, Valence, Annecy, etc.) mais aussi des plus petites agglomérations (Givors, Vienne, Roanne, etc.). Le prix de vente est tendanciellement à la baisse, que ce soit dans les fours ou en livraison, au plus bas à 50 voire 40 euros le gramme dans les villes principales (voire moins de 30 euros dès que la quantité dépassent 10 grammes), de 60 à 70 euros le gramme dans des secteurs plus excentrés et si elle est vendue directement en espaces festifs, et le prix peut néanmoins monter jusqu’à plus de 100 euros dans des contextes spécifiques de stations de ski, par exemple. Le prix de gros ou semi-gros est largement à la baisse également, le kilo étant mentionné par diverses sources policières et par des revendeurs comme pouvant passer sous la barre des 20 000 euros.
Les retours des personnes usagères sur la qualité de la cocaïne sont très erratiques, et ne permettent pas de définir une tendance notable. Les critiques concernent son aspect, la difficulté de la baser (transformer la cocaïne sniffable en version fumable) (trop « grasse » notamment), son odeur, et des effets non attendus (trop « amphétaminique », suspicion de coupe diverse, etc.). D’autres personnes usagères mentionnent au contraire sa puissance, et souvent une odeur caractéristique (de « kérosène », etc.). Les analyses réalisées montrent une constante quant à la forte concentration de la cocaïne en circulation et la faible présence de produits de coupe, qu’ils s’agissent des poudres saisies par les forces de l’ordre ou de celles achetées par les usagers-ères, quels que soient les modes d’approvisionnement. Sur l’année, la teneur moyenne des cocaïnes saisies et analysées par le LPS (laboratoire de police scientifique) était de 80 % avec une médiane à 86 %, et près des 2/3 d’entre elles n’étaient pas coupées avec des produits actifs. La majorité des échantillons analysées par SINTES et le dispositif ATP avaient une teneur comprise entre 75 % et 90 % avec une maximale à 98,7 %. Sur les 150 échantillons analysés par les dispositifs SINTES et ATP, il a été retrouvé huit arnaques.
L’héroïne, saisie en quantité bien moindre que le cannabis et la cocaïne, est vendue dans quelques fours de grandes villes. En région lyonnaise, c’est principalement à Vaulx-en-Velin que de nombreux fours sont répertoriés avec des horaires larges pour certains (8h-22h). Qu’elle soit vendue au gramme et parfois plus fractionnée pour 10 ou 20 euros, le prix de l’héroïne varie fortement selon les secteurs de la région, le type de réseau, et la qualité du produit, les chiffres énoncés par les personnes usagères variant de 10 à 60 euros le gramme.
La résine, plus marginalement l’herbe, reste classiquement en provenance majoritaire du Maroc, tandis que l’herbe provient principalement d’Espagne, mais aussi des Pays-Bas, et de plus en plus régulièrement des États-Unis (par fret postal en quantité plus restreinte) lorsqu’il s’agit de variétés les plus concentrées en THC. La tendance reste à la diversification des qualités et variétés de cannabis proposées. Les points de ventes fixes proposent a minima une ou deux sortes d’herbes, et plusieurs de résines avec des prix qui s’ajustent en fonction (cinq à dix euros le gramme pour les résines selon la qualité, dix euros pour l’herbe, avec des prix décroissants au-delà de dix grammes).
La kétamine continue de se diffuser dans des espaces et auprès de personnes aux profils toujours plus divers, et se trouve d’autant plus disponible à la vente via différents vecteurs. Elle est principalement vendue en livraison par des revendeurs personnellement connus des usagers-ères ou via des comptes sur applications, ou encore directement dans les espaces festifs. La kétamine circule encore principalement sous la forme de paillettes, que les personnes usagères « retravaillent » ou non par la suite (l’écrasent plus finement ou la cuisine afin d’en obtenir une poudre après évaporation) avant de la sniffer. Son prix est en baisse, le plus souvent alentours de 30 euros le gramme, voire régulièrement à 20 euros ou dix euros en fonction du mode d’approvisionnement et de la qualité supposée. Les analyses effectuées via les dispositifs SINTES et ATP montrent des taux de pureté relativement haut, régulièrement la kétamine est quasi pure, une majorité d’échantillons étant dosés entre 85 et 95 %, avec néanmoins un minimum à 44 %.
La MDMA circule sous forme de poudre ou cristaux, mais elle est également et majoritairement consommée sous forme de comprimés (ecstasy) dans les espaces festifs, et principalement saisie sous cette forme. Le prix de la MDMA reste stable, 30 à 40 euros le gramme et dix euros la pièce pour les ecstasys, avec un prix plus faible dès l’achat de deux ou trois comprimés.
Les personnes usagères rencontrées restent majoritairement des hommes, nés en France ou originaires d’autres pays, arrivés depuis plusieurs années, voire décennies, ou récemment exilés. Des femmes sont également présentes, et composent environ 20 % de la file active des Caarud dans les espaces d’accueil comme dans les rencontres lors de maraudes dans l’espace public. Pour autant, quasiment aucune femme exilée usagère de drogues n’a été rencontrée par les différents services d’accompagnement (Csapa, Caarud, etc.), exception faite des associations travaillant auprès de personnes travailleuses du sexe.
La tendance principale concerne la précarisation toujours plus importante de personnes consommatrices. D’une part, les usagers-ères ainsi que les professionnels-les qui les rencontrent indiquent des tensions et des violences de plus en plus régulières dans la rue comme dans les accueils de jour et les lieux d’hébergement, qui sont spécifiquement mises en lien avec des problématiques d’argent. Dans l’économie de la « débrouille » à la rue, il est également constaté que ce qui pouvait faire l’objet de dons ou de trocs auparavant (cachets de médicaments, matériel de consommation), est désormais fréquemment vendu pour quelques euros (notamment des pipes à crack et des seringues). Les demandes de biens de première nécessité sont par endroits particulièrement importantes, les équipes mobiles rencontrent des personnes totalement démunies, en demande de nourriture mais aussi de vêtements, de protections hygiéniques, etc. C’est particulièrement le cas de personnes exilées d’Afrique subsaharienne à Lyon et Grenoble. Certaines petites villes de la région ont connu également l’arrivée d’usagers-ères en très grande précarité en provenance de la région parisienne, après qu’ils-elles aient été délogés-es de la capitale à l’occasion des Jeux Olympiques. La précarité financière est augmentée pour certains-es usagers-ères par l’accumulations de dettes et d’amendes, notamment dû à la fraude des transports en commun, quand l’absence de droits ou leur précarité administrative (difficulté à réaliser les démarches nécessaires) ne leur permet pas toujours de bénéficier d’aides ou de tarifs allégés. La difficulté d’avoir accès à une place en hébergement, y compris d’urgence, (saturation des dispositifs et milliers de personnes en attente) et adaptés aux profils des usagers-ères (tolérance vis-à-vis des consommations, acceptation des animaux de compagnie, etc.) ainsi que les expulsions de logements et de squats, contribuent à rendre toujours plus difficile les conditions de vie sans logement fixe. Les placements en centre de rétention administrative (CRA) peuvent aussi nuire au peu de stabilité que certains-es usagers-ères avaient pu construire (par l’obtention d’un travail déclaré ou non, par l’occupation temporaire d’un logement), et qu’ils-elles perdent à l’occasion de ces enfermements, quand bien-même l’expulsion du territoire n’aurait pas lieu à l’issu de celui-ci.
En sommes, précaires parmi les précaires, les personnes usagères de drogues rencontrées dans l’espace public et par les dispositifs médico-sociaux, sont dans des difficultés financières et des difficultés de survie de plus en plus prégnantes. À Lyon, les personnes exilées en grande précarité et consommant des drogues, sont principalement des hommes issus des pays d’Europe de l’Est et du Maghreb, du moins pour ceux qui sont rencontrés par les Caarud, les accueils de jours et les centres d’hébergement, et dans le cadre des observations menées pour TREND. Les hommes originaires du Maghreb constituent également une part importante des usagers de drogues en situation de migration. Les très jeunes exilés maghrébins et principalement algériens, qu’ils bénéficient ou non du statut de mineur non accompagné, sont particulièrement présents dans certains secteurs du centre-ville de Lyon, plus marginalement à Grenoble et Valence. Les produits consommés sont similaires à ceux des années précédentes, bien que la cocaïne soit plus fréquemment citée en 2024, consommée sniffée mais aussi plus rarement fumée.
Quels sont les produits consommés par les personnes usagères en grande précarité ? Les tendances principales résident toujours dans la diffusion de la cocaïne et son usage sous forme fumée, mais aussi injectée. Les autres produits injectés sont toujours l’héroïne, le Subutex et la méthadone en gélule (plus fréquemment rapportée, cette année) mais les Caarud indiquent connaitre de moins en moins de nouveaux injecteurs de ces produits. La kétamine continue quant à elle de compter plus d’usagers-ères parmi les populations précaires, alors que le cannabis, la MDMA, les amphétamines et le LSD restent consommés de manière occasionnelle, sur des temps festifs ou au gré d’une disponibilité ponctuelle (ecstasy offert pour l’achat de cocaïne par exemple). Les médicaments sont d’usage constant (Subutex, méthadone, Skénan, Valium et Seresta), bien que le Lyrica soit de plus en plus cité, toujours principalement consommé par une population originaire des pays de l’Est ou du Maghreb, particulièrement demandé également en CRA.
L’accessibilité de la cocaïne continue de croitre, notamment pour les populations les plus précaires du fait de la vente de très petites doses. La forme fumée est devenue majoritaire depuis quelques années. Si elle reste injectée également (par des personnes qui peuvent aussi la fumer) l’ensemble des Caarud de la région continue de distribuer toujours plus de kit-base/pipe à crack. De nouveaux-elles usagers-ères sont rencontrés-es dans ce cadre, et s’adressent aux Caarud spécifiquement pour cette demande, parfois également à certains Csapa.
En milieu carcéral, l’usage de cocaïne fumée est également constaté, et à Valence un service de soin a mis en place la délivrance de pipes pour les personnes détenues. Face à la demande accrue de matériel, si de nombreux Caarud relataient déjà, depuis 2021, devoir restreindre son accès (quantité limitée par jour et par usager-ère), c’est désormais quasiment l’ensemble des Caarud de la région qui est concerné par ces restrictions, et même certains Csapa.
La consommation de kétamine par les personnes usagères en grande précarité est toujours mentionnée par la plupart des Caarud, et par les personnes usagères interrogées dans le cadre de TREND qui ne les fréquentent pas toujours, notamment à Lyon et Grenoble. Le faible prix du produit (alentours de 20 euros) et ses effets ajustables en fonction des doses et des modes de consommation, rendent la kétamine d’autant plus intéressante pour ces personnes souvent poly-consommatrices. La kétamine est majoritairement sniffée, mais certaines personnes usagères l’injectent, généralement en intramusculaire, pour obtenir des effets plus intenses. Pour certaines personnes, l’usage de kétamine vise aussi à réguler des troubles psychiques ou somatiques : dépression, angoisse, douleurs chroniques (dos, cervicales, règles, rage de dents…), aide au sevrage des opiacés ou de l’alcool, aide à la redescente des cessions de consommation de cocaïne… Des problématiques majeurs de dépendance et d’accoutumance sont rapportées, avec la nécessité d’augmenter rapidement les doses, et la difficulté d’arrêter la consommation lorsqu’elle devient quotidienne.
Les problématiques d’accès aux soins des personnes usagères résident toujours dans l’accessibilité des services de médecine, générale comme spécialisée et y compris psychiatrique, et sont également spécifiquement relevées dans le secteur de l’addictologie. D’une part du fait de l’éloignement des lieux de vie et de consommation des usagers-ères avec les dispositifs, Csapa comme Caarud, les deux types de structures étant trop peu nombreuses par département pour couvrir tous les besoins, et pour être accessibles à des distances praticables pour les « patients potentiels ». D’autre part du fait des délais souvent toujours très conséquents, notamment pour l’accès à un TAO par méthadone, certains Csapa indiquant être saturés par les demandes liées à la cocaïne. Les seuils d’accès ne sont pas toujours adaptés, et des usagers-ères et professionnels-les, de Lyon et Grenoble notamment, regrettent le manque de dispositif bas-seuil s’agissant de l’accès à la méthadone. Des usagers qui sortent de prison indiquent également n’avoir eu que peu, voire pas, d’orientation vers des services d’addictologie en mesure de reprendre leur suivi initié en détention, et sortent parfois sans les ordonnances nécessaires à la poursuite de leur traitement, notamment à cause des « sorties sèches », non anticipables par les services de soin. Ces usagers se heurtent également aux délais importants pour l’accès à des structures-relais à l’extérieur.
Par ailleurs, la stigmatisation et la crainte de conséquences judiciaires est également un frein dans l’accès aux soins. Déjà mentionnée pour les personnes exilées dans des situations administratives qui pourraient conduire à leur placement en CRA en cas de contrôle de police sur le trajet, cette crainte concerne aussi la détention de produits stupéfiants et le risque de mise en cause en cas de surdoses d’un proche. C’est ce qui conduit la plupart des usagers-ères à ne pas faire appel aux secours, notamment lorsqu’ils-elles ont à disposition de la naloxone par exemple, malgré les préconisations faites en ce sens lors de la délivrance de cet antidote aux opiacés. La crainte de contacter les secours est d’ailleurs également constatée s’agissant des usagers-ères plus insérés-es et pour d’autres types de consommation (notamment dans le cadre du chemsex et les surdoses au GHB/GBL) qui redoutent également des conséquences judiciaires à cet endroit.
Bordeaux et la région Nouvelle-Aquitaine, produits, tendances et consommations
Le rapport de l’OFDT concernant Bordeaux et sa région a largement traité de « l’évolution des conditions de vie des usagers-ères des Caarud. Sans que cela ne constitue une nouveauté par rapport aux éléments rapportés les années précédentes, l’accès à l’hébergement demeure complexe et l’accès au soin poursuit sa dégradation, note le rapport. L’accès à l’hébergement d’urgence et au logement social est saturé dans la plupart des villes investiguées dans l’enquête TREND.
À Poitiers et Pau néanmoins, les usagers-ères semblent davantage avoir accès à des logements (sociaux ou privés) que les personnes usagères de La Rochelle, Périgueux et surtout Bordeaux. Les temps d’attente pour accéder aux dispositifs se sont encore rallongés en 2024 ; la présence des animaux n’est toujours pas acceptée ; les critères d’inclusion peuvent être renforcés (abstinence, nécessité d’avoir un diagnostic de trouble psychiatrique), des services entiers ferment. De plus, le nombre de places créées ne correspond pas à l’augmentation des besoins du public en situation de précarité. Les expulsions semblent plus fréquentes à Bordeaux, souligne le rapport.
Solliciter le 115 à Bordeaux est très contraignant : il faut appeler tous les jours pendant sept à dix jours, pour une durée de séjour maximale de quinze jours. Il y a des horaires à respecter, les consommations sont interdites, et la vie en collectivité expose à des risques d’agressions et de vols, explique le rapport. Comme en 2023, des disparités dans les durées de séjour en centres d’hébergement d’urgence existent. Les durées de séjour en Csapa résidentiels peuvent être rallongées, car les usagers-ères n’ont pas de solution de logement à la sortie. Le rapport de l’OFDT note cependant un « travail » autour de l’acceptation des consommations, surtout d’alcool mais aussi parfois de substances illicites, dans certains dispositifs d’hébergement. Le chef de service d’un Caarud bordelais souligne ainsi qu’il « y a moins de stigmatisation et il y a une plus grande acceptation des consos dans les structures d’hébergement ». Ceci peut être lié à la mobilisation depuis plusieurs années des associations de réduction des risques pour former les équipes des dispositifs d’hébergement d’urgence et y assurer des permanences auprès des usagers-ères.
Autre élément, des « violences et maltraitances commises de manière répétée par des agents de sécurité ou des policiers envers les usagers vivant dans des parkings à Bordeaux sont rapportées ». Déjà en 2021, des consommateurs-rices avaient été violentés-es physiquement par des vigiles. Ce phénomène semble s’intensifier en 2024. Des « violences sexistes et sexuelles » sont également évoquées.
Un accès au soin qui poursuit sa dégradation. Les professionnels-les interrogés-es dans les villes investiguées soulignent la « toujours plus grande difficulté d’accès au soin » pour les usagers-ères en situation de grande précarité. Les délais d’attente pour les primo-consultations en Csapa, les séjours en hôpital psychiatrique et les sevrages sont rallongés, allant parfois jusqu’à quatre mois. Des services de soin ferment, le nombre de places dans les services résidentiels et hospitaliers diminuent, les critères d’inclusion sont de plus en plus stricts (avec, par exemple, le refus d’admission d’une personne ayant consommé des substances psychoactives, y compris des traitements de substitution aux opiacés, ou l’obligation d’être orienté par un-e médecin). En parallèle, les demandes d’hospitalisations pour sevrage ou détérioration de la santé mentale globale augmentent, engendrant des risques de passage à l’acte suicidaire. Un médecin en Csapa à Bordeaux rapporte, en janvier 2025, que « 14 personnes » sont en attente d’hospitalisation depuis avril [2024], ce qui ne lui était jamais arrivé auparavant. Le manque d’accès au soin est aussi lié à la difficulté, à Bordeaux, de développer de nouvelles antennes de Caarud et de Csapa, qui semblent liées à des problèmes de moyens, mais aussi au refus des riverains. Le projet de Halte Soins Addictions (HSA) a ainsi été bloqué par la mobilisation du voisinage.
Le manque de médecins généralistes et de psychiatres en libéral se poursuit également. Dans certaines villes investiguées, des Csapa ne font pas de prescription de TSO (traitement de substitution aux opiacés), ce qui peut générer des ruptures de traitement et la reprise de consommations de substances illicites ou achetées sur le marché noir. Les services hospitaliers se renvoient parfois la responsabilité : les pôles addictologie estimant qu’un-e patient-e devrait être pris-e en charge en psychiatrie, tandis que l’unité psychiatrique juge que l’usager-ère doit être accompagné-e par le pôle addictologie. Les professionnels-les évoquent également un rejet de leur patientèle aux urgences. Les spécificités des publics fréquentant les Caarud sont ainsi difficilement prises en compte.
« Sans que cela ne constitue une tendance nouvelle, les usagers font fréquemment l’objet de discriminations toxicophobes en milieu de soin, et les professionnels des Caarud doivent parfois les accompagner à l’hôpital ou aux urgences pour être sûrs qu’ils soient pris en charge ». Un chef de service en Caarud à Bordeaux met en avant « des discours des équipes soignantes qui ne sont pas entendables, [...] stigmatisants, très dénigrants ». Pour un médecin en CSAPA, les usagers-ères de drogues sont vus par certains comme des « toxicos sauvages ». Ceci peut conduire à des violences et de la maltraitance institutionnelle. Pour limiter les risques de stigmatisation, de violences institutionnelles et de refus de soin, certains-es professionnels-les de Caarud et Csapa recommandent aux usagers-ères qui se rendent aux urgences de ne pas se présenter comme consommateurs-rices et ne pas dire qu’ils-elles sont orientés-es par une structure d’addictologie ou de réduction des risques. Par ailleurs, les équipes des Caarud doivent gérer des situations de décompensation psychiatrique pour lesquelles elles ne sont pas forcément formées, ou des maladies courantes (angines, otites…) qui devraient être prises en charge en médecine générale.
Les usagers-ères des Caarud sont toujours, pour la plupart, des polyconsommateurs-rices ayant parfois des conduites d’usage opportunistes, c’est-à-dire qu’ils-elles prennent le produit qui se présente à eux-elles quand ils-elles le peuvent. L’alcool demeure la première substance à l’origine des prises en charge, suivi de la cocaïne et des opiacés, avec des pratiques d’injection. Les consommations de cannabis sont très présents, avec des motivations parfois auto-thérapeutiques. En 2024, sans que cela ne constitue une tendance majeure, davantage de consommations de cathinones sont rapportées en Caarud, en dehors des chemsexeurs qui fréquentent les structures. Différents publics des Caarud de la région expérimentent la 3MMC et ses dérivés, dans cette logique opportuniste. Les motivations à la consommation sont le faible prix, la disponibilité du produit, les effets euphorisants et la « montée rapide. »
Dans la continuité des éléments rapportés en 2023, les consommations de cocaïne, en particulier basée, sont toujours présentées comme une « tendance marquante » par l’ensemble des intervenants-es socio-sanitaires des cinq villes investiguées. Les professionnels-les évoquent dans un premier temps la disponibilité importante de la cocaïne chlorhydrate, et sa qualité, les niveaux de pureté dans les échantillons analysés étant élevés (souvent au-dessus de 90 %). Les Csapa, Consultations Jeunes Consommateurs (CJC) et pôles d’addictologie hospitaliers reçoivent de plus en plus de demandes de prise en charge liées à un trouble de l’usage de cocaïne sniffée. Les professionnels-les décrivent des trajectoires de consommation débutant en contexte festif, chez des publics insérés, et qui perdent le contrôle de leur consommation en subissant une dégradation de leur niveau socioéconomique (perte d’emploi, de logement). Ces usagers-ères peuvent présenter des perforations des sinus, des cardiopathies et des atteintes hépatiques.
Des consommations importantes de médicaments. Les professionnels-les du champ sanitaire rencontrés en 2024 rapportent d’importantes consommations de médicaments, en dehors du cadre thérapeutique, par les usagers des Caarud de Bordeaux, Pau et La Rochelle. Il peut s’agir de médicaments contenant de la kétamine, de la prégabaline (Lyrica), des opioïdes (Subutex, Skénan, Tramadol, Oxycodone), de la Ritaline et des benzodiazépines (Seresta). Les profils de ces consommateurs-rices sont diversifiés-es, majoritairement masculins, d’âges variés, français ou issus de pays d’Europe de l’Est. La modalité de consommation principale demeure l’ingestion, bien que des pratiques d’injection de médicaments opioïdes soient rapportées.
Les usages, notamment par voie injectable, de Skénan, méthadone et de Subutex sont décrits comme très présents par les professionnels-les en Caarud dans toutes les villes investiguées. L’injection de méthadone gélules semble très pratiquée par un public issu d’Europe de l’Est. Les consommations de médicaments opioïdes peuvent notamment s’expliquer à Bordeaux par la faible qualité de l’héroïne dans la ville, qui est le plus souvent brune, avec des taux de pureté allant en général de 5 % à 15 % et des coupes avec du paracétamol et de la caféine. L’héroïne est davantage présente dans les villes petites et moyennes de Nouvelle-Aquitaine, notamment en Dordogne.
Évolutions des conséquences sanitaires et des prises en charge. Les décès sont rapportés comme en augmentation en 2024 à Bordeaux et La Rochelle dans les Caarud investigués. Les causes de la mort sont parfois difficiles à identifier par les professionnels-les du fait des poly-consommations et de l’absence de transmission des résultats des autopsies aux Caarud. Les intervenants-es rapportent, par ailleurs, des arrêts cardiaques, mais aussi des décès liés aux conséquences de la vie à la rue (incluant les violences) et à la détérioration de l’état de santé global.
En termes de complications post-infection, les professionnels-les des cinq villes investiguées rapportent des cas d’abcès, de nécrose (notamment suite à des injections de 3-CMC), des thromboses veineuses, des poussières, des endocardites, des embolies pulmonaires, des transmissions virales (VIH et VHC, principalement) et bactériennes, notamment des cas de candidoses. Quelques surdoses létales liées aux opioïdes (Skénan et méthadone, en injection) sont rapportées en 2024 (trois à Bordeaux, une à Pau). D’autres sont également mentionnées, avec du Skénan ou de la méthadone. Les professionnels-les bordelais-es en dénombrent davantage en 2024 qu’en 2023. Les équipes des Caarud ont été régulièrement sollicitées pour distribuer de la naloxone. Certaines structures proposent ce médicament sous forme injectable et en spray, d’autres ne distribuent que l’une ou l’autre. Les usagers-ères semblent préférer le spray nasal, notamment les personnes usagères non-injectrices souhaitant en avoir en cas de surdose d’un membre de leur entourage. Cependant, le spray nasal est disponible en pharmacie, alors que la version injectable n’est pas accessible sans prescription. Du fait de cette moindre grande accessibilité, certains Caarud font le choix de ne distribuer que de la naloxone injectable. Du fait du coût élevé du médicament (30 euros la boîte de Prenoxad) ; certains Caarud ne disposent pas d’autant de stock qu’ils le souhaiteraient.
Les groupes d’usagers-ères présents en Caarud diffèrent peu de ceux décrits dans le précédent rapport. La part de personnes étrangères et/ou SDF est toujours plus importante à Bordeaux qu’à Pau, Poitiers et Périgueux. La majorité des files actives sont constituées de personnes françaises en situation de grande marginalité ayant entre 30 et 40 ans. Le rapport de l’OFDT se concentre, cette année, sur deux publics faisant partie de la « grande marginalité urbaine » : les femmes en situation d’addiction et le public LGBTQIA+ en situation de précarité. Des personnes issues d’Europe de l’Est sont toujours présentes dans la plupart des centres investigués, mais les pratiques rapportées (usages d’opioïdes et de Lyrica, situations administratives et de logement et difficultés d’accès au soin) au sein de ce public diffèrent peu de celles déjà mises en lumière dans le précédent rapport TREND. Les observations en Caarud de 2024 mettent en lumière des occupations des espaces différenciées entre les usagers et les usagères « en lien avec leur stigmatisation dans le monde des drogues », explique le rapport. Ce constat va également dans le sens des données issues de la littérature. Les consommatrices passent moins de temps que les hommes dans les espaces de sociabilité, utilisent peu le mobilier mis à disposition (chaises, canapés, comptoirs…), se posent et se reposent peu, prennent rarement le temps de boire un café ou de manger, ce qui peut aussi compliquer la création de liens avec les professionnels-les. Ces moindres occupations de l’espace et recours à la prise en charge peuvent aussi s’expliquer par un sentiment d’insécurité lié à la domination numérique des hommes et à la présence de potentiels ou d’anciens agresseurs. Ici encore, il ne s’agit pas d’une tendance nouvelle, mais les données recueillies en 2024 nous permettent d’étayer ce point, souligne l’OFDT.
Autre élément, il y a un public LGBTQIA+ de plus en plus visible dans les Caarud. En 2024, les professionnels-les rapportent la présence plus visible d’une population LGTBQIA+ au sein des Caarud, notamment d’un public transgenre assez jeune, ayant entre 16 et 30 ans. Ces personnes demeurent très minoritaires dans les files actives, mais présentent des spécificités qui méritent d’être abordées, estime l’OFDT. Une enquête de la Fédération des Acteurs de la Solidarité Île-de-France met en lumière que 20 à 40 % des personnes en errance sont LGBTQIA+, et que celles-ci subissent des violences physiques et sexuelles importantes. De fait, ces publics recourent moins à la prise en charge et occupent moins les espaces de Caarud, comme les femmes. Selon cette même étude, « les personnes LGBTIQA+ sont plus exposées que les personnes cisgenres et hétérosexuelles aux consommations de produits psychoactifs et aux conduites à risques en raison des LGBTIphobies et du stigmate lié à leur identité de genre et/ou leur orientation sexuelle. Pourtant, leur accès aux dispositifs de soin et d’addictologie est largement freiné par de multiples facteurs : des refus d’accompagnement dans les parcours de soin ; une exposition accrue aux actes ou propos discriminatoires ; une méconnaissance des caractéristiques de ce public par les professionnels-les de santé » Les intervenants-es rapportent notamment des modalités de consommation spécifiques, notamment un recours à l’injection visiblement facilité par l’expérience des traitements hormonaux par voie injectable chez les personnes transgenres. Les personnes LGBTQIA+ sont également plus exposées aux risques de ruptures familiales, qui augmentent les chances de connaître une trajectoire d’errance. Au sein des files actives des Caarud investigués, les personnes transgenres sont décrites comme recourant fréquemment au travail du sexe et/ou au chemsex. Durant des sessions d’observation en Caarud, des comportements et propos stigmatisants ont pu être constatés de la part de professionnels-les échangeant avec des personnes transgenres. Les personnes LGTBQIA+ peuvent également faire l’objet de propos et attitudes discriminants venant d’autres usagers-ères. Les travailleurs des Caarud soulignent ainsi l’isolement des personnes trans parmi les autres publics fréquentant les permanences.
Cette visibilité accrue de ce public au sein des espaces de la « grande marginalité urbaine » a donné lieu à un séminaire intitulé « Accueillir et accompagner les personnes LGBTQIA+ dans l’Accompagnement, l’Hébergement et l’Insertion (AHI) » en octobre 2024. Ces rencontres mettaient en lumière les difficultés des professionnels-les du médicosocial pour prendre en charge des personnes, dont ils-elles méconnaissent les problématiques et besoins. La transidentité n’est, en effet, pas abordée dans les formations de travail social ou en médecine. Les intervenants-es en addictologie doivent donc se former sur leur temps libre, dans un contexte de sous-effectif et d’épuisement des équipes des Caarud. Ils-elles se questionnent également parfois sur les réponses à apporter aux demandes de matériel d’injection des personnes transgenres susceptible de l’utiliser pour leur traitement hormonal.
Marseille et la région PACA, produits, tendances et consommations
Le rapport de l’OFDT sur Marseille et sa région a notamment traité des tendances de consommation des usagers-ères pauvres. Les usagers-ères en contexte de précarité urbaine consomment quasiment tous-tes de l’alcool, souvent en quantités importantes (jusqu’à 12 litres de bière forte quotidiennement). Leurs consommations d’autres produits peuvent être qualifiées d’opportunistes, car relatives en fréquence et en quantité à l’argent disponible permettant l’achat de produits (pour ceux et celles qui perçoivent des prestations sociales, les usages de cocaïne vont être plus fréquents en début de mois, par exemple), à l’accès à des prescriptions pour des consommations de médicaments ou à leur degré d’insertion dans un groupe de pairs susceptibles de partager les produits. Tous-tes les intervenants-es précisent que ces personnes usagères pauvres consomment toutes, occasionnellement ou régulièrement de la cocaïne – le plus souvent injectée ou fumée – et des benzodiazépines hors protocole médical, notamment du Rivotril et du Seresta. Nombre de personnes usagères en situation de précarité consomment aussi de la résine de cannabis peu onéreuse (l’herbe étant moins disponible et plus chère). Leurs consommations de médicaments hors cadre thérapeutique peuvent être aussi de Tramadol ou Skenan. Les usages de Ritaline sont désormais peu présents dans la région à l’exception de Nice où ce médicament est consommé en injection par une part importante des personnes usagères accueillies en Caarud.
En région PACA, les experts-es observent toujours la pratique d’injection par des publics en situation de marginalité, avec des spécificités. La très grande majorité des personnes injectrices consomme de la cocaïne. Ces consommations sont rendues possibles grâce à la grande accessibilité du produit à Marseille, Aix, Avignon ou encore Nice, où la cocaïne est proposée à la vente à des prix de 10 ou 20 €. La pratique d’injection d’opiacés s’est raréfiée en région PACA depuis les années 2000 (du fait aussi de l’absence de marché local d’héroïne).
En 2024, tous-tes les intervenants-es interrogés-es signalent spontanément les usages de cocaïne basée comme le phénomène marquant de l’année, et ce sur l’ensemble du territoire régional, y compris hors métropoles. En PACA, jusqu’en 2020, on observait quelques consommations occasionnelles de cocaïne basée en free party, quelques usagers-ères réguliers-ères, mais généralement de passage dans la région, peu de demandes de pipes ou de kits-base, de rares demandes de soin en CSAPA. Depuis 2021, la consommation de cocaïne basée s’étend considérablement, même si elle ne concerne encore que peu de personnes. Toutes témoignent baser elles-mêmes la cocaïne. On l’observe depuis l’été 2023 dans de nombreux espaces publics occupés par des usagers-ères en situation de précarité et, en 2024, tous les services de la région interrogés (Csapa, Caarud, hôpitaux et cliniques) signalent des demandes d’aide ou de soin liées aux usages de cocaïne basée. Si les services hospitaliers et les cliniques reçoivent des personnes insérées en demande de soin relative à leurs usages de cocaïne basée, les Csapa et les Caarud accueillent un profil de personnes que nous observons aussi en dans les espaces de marginalité urbaine : le plus souvent des hommes de 35 ans et plus, sans logement fixe et sans revenus ou très peu, anciens-nes injecteurs-rices de cocaïne et Ritaline ou qui alternent entre l’injection et la base. Ces personnes sont aussi très majoritairement consommatrices d’alcool et de benzodiazépines, et les intervenants-es signalent des comorbidités psychiatriques liées à des traumatismes. Mais pour les intervenants-es, la principale difficulté est d’engager avec les personnes usagères un parcours de soin, eu égard à l’importance des consommations et la rapidité de survenue des impacts sanitaires et sociaux.
La consommation et la vente de cathinones ont été plus fréquemment observées dans un large éventail de contextes festifs en 2024. Le prix des cathinones reste stable. Elles sont souvent achetées sur Internet. Ces produits sont quasi systématiquement vendus comme étant de la 3-MMC, alors que de nombreuses analyses révèlent des tromperies : 2-CMC, 2-MMC, 3-CMC, 3-MMC, 4-CMC, 4-MEC, 4-MMC, NEP, etc. Et les observateurs-rices, comme les intervenants-es en CSAPA, signalent davantage de personnes dont les consommations de cathinones débordent le contexte festif initial. La consommation de kétamine tend aussi à se diffuser depuis 2022.
Depuis 2021, les observateurs-rices signalent que la kétamine vendue et consommée se présente presque toujours sous forme de paillettes, à savoir de très fins cristaux allongés translucides tirant sur le blanc, d’un centimètre de long environ et dont l’épaisseur ne dépasse pas celle d’une aiguille à coudre. Cette forme de paillettes, consommée en sniff – bien que plus agressive pour les narines selon des usagers –, tend à supplanter la forme liquide à cuisiner ou la poudre vendue directement prête à l’usage. Et comme pour les cathinones, les intervenants-es en Csapa et Caarud signalent accueillir en 2024 davantage de personnes en demande d’accompagnement ou de soin pour des consommations de kétamine initiées en contexte festif. Des personnes jeunes (moins de 30 ans pour celles signalées), avec des positions socio-économiques diverses.
La cocaïne basée est aussi consommée par des publics insérés. Les intervenants-es en Caarud et en Csapa, mais aussi en services de sevrage hospitaliers et de cliniques, soulignent depuis 2022 des demandes de soin ou de matériel de consommation par des personnes qui ne fréquentent pas les « espaces de la marginalité urbaine ». Les intervenants-es évoquent des hommes et des femmes, le plus souvent de moins de 40 ans, insérés-es socialement et économiquement, certains en couple avec des enfants. La plupart de ces personnes qui viennent en Csapa ou Caarud chercher du matériel disent avoir des consommations occasionnelles en contexte collectif festif ou seuls-es après le travail, mais on observe aussi des personnes insérées consommant en espaces publics.
Lorsqu’elles viennent en Csapa pour un accompagnement, en hospitalier ou en clinique pour des sevrages, ces personnes ont alors des consommations quotidiennes voire pluriquotidiennes de cocaïne basée à la suite d’un parcours d’usagers-ères de cocaïne en sniff. Nombre d’entre elles connaissent un (début de) écroulement de leur situation sanitaire, mais aussi sociale et économique.
Toutefois, si les difficultés économiques et sociales apparaissent consécutivement à l’usage cocaïne basée, les intervenants-es notent aussi que ces consommations, pour des personnes insérées, interviennent souvent ou deviennent intenses à la suite d’événements traumatiques tels qu’un décès, une séparation, la perte d’un emploi… Ainsi, ces écroulements ne sont pas exclusivement liés à l’usage de cocaïne basée qui entraînerait inexorablement une addiction rapide, mais aussi au contexte intime et psychologique dans lequel ces consommations prennent place.
Toutes les équipes de Csapa et de Caarud interrogées cette année signalent avoir reçu davantage de femmes que les années précédentes. Certaines problématiques évoquées sont spécifiques aux femmes et/ou particulièrement préoccupantes. Le profil le plus fréquent est celui, connu de longue date, de femmes usagères d’antidouleurs en quantités abusives (notamment de Tramadol), de benzodiazépines et/ou d’antidépresseurs. Des consommations solitaires fréquemment associées à l’alcool. Les intervenants-es décrivent des parcours longs (trois à cinq ans) d’usage de médicaments avec un protocole médical initial, avant qu’elles ne demandent de l’aide face à des consommations dont elles ne peuvent plus se passer et qui envahissent leur vie quotidienne. D’autres profils sont aussi évoqués : ceux de personnes consommatrices de cocaïne, de kétamine ou de cathinones, dont la prise en charge s’avère parfois difficile. Avec, pour toutes (et ce, précisé par tous-tes les intervenants-es interrogés-es), des traumatismes importants, des violences sexuelles antérieures à leur entrée dans la consommation.
Plusieurs médecins ou psychiatres en Csapa ont évoqué, cette année, des demandes, nouvelles, d’aide et de soin par des jeunes femmes (moins de 30 ans) qui viennent consulter relativement à leurs consommations de kétamine. Des consommations initiées en contexte festif et qui, au fil du temps, se sont intensifiées et se poursuivent hors contexte festif, le plus souvent en sniff, mais parfois en injection. Les intervenants-es évoquent des profils de jeunes femmes insérées (étudiantes ou travailleuses, avec un logement), ayant souvent des poly-consommations (cannabis, alcool, cocaïne, kétamine, cathinones) contextualisées au sens où tous les produits ne sont pas consommés en même temps ni à la même fréquence ou dans les mêmes quantités.
Pour nombre de ces jeunes femmes, la kétamine est le produit principal, qui tient une place particulière dans leur consommation, car leur apportant des bienfaits sur le sommeil et l’anxiété, témoignant par là d’un usage autothérapeutique de ce produit. Les intervenants-es qui réalisent des maraudes dans les espaces urbains où se déploie le travail du sexe, ainsi que ceux du SPOT de AIDES, évoquent un phénomène d’intensification des consommations par des travailleuses du sexe sur les quatre dernières années, et notamment un passage à la cocaïne basée depuis 2022.
Paris et la région Île-de-France, produits, tendances et consommations
Le rapport de l’OFDT sur Paris et l’Île-de-France comporte un focus sur la consommation de cocaïne par des personnes usagères marginalisées à Paris. Il s’agit d’un phénomène désormais installé, associé à une disponibilité et accessibilité inédites. En Seine-Saint-Denis, le dispositif TREND rapporte des consommations de cocaïne chlorhydrate par des personnes usagères précaires et semi-inséré-es, principalement par voie intraveineuse. La cocaïne est très accessible et disponible dans plusieurs villes du département et des reventes de rue et en cités d'unités en dessous du gramme (au prix de 20 ou 30 € pour des unités de 0,3 à 0,4 g) facilitent encore l'accès au produit. À Paris, la diffusion de la consommation de cocaïne parmi les personnes usagères de la « marginalité urbaine parisienne » n'a été observée que récemment. En 2022, le dispositif TREND rapportait des consommations de cocaïne sous sa forme chlorhydrate, notamment en sniff, par des personnes usagères de la « marginalité urbaine parisienne », jusqu’alors consommée quasiment que par des personnes disposant de ressources financières plus importantes et plus insérées socialement. En 2023, la diffusion inédite des usages de cocaïne dans l’espace de la marginalité urbaine devient un phénomène notable, rapporté par les intervenants-es médico-sociaux, les personnes usagères et les observations ethnographiques. Elle est facilitée par un fait nouveau : la disponibilité du produit en marché de rue, dans le quartier de Barbès, à Paris. En 2024, la consommation de cocaïne chlorhydrate dans « l'espace de la marginalité urbaine parisienne » est une tendance qui se poursuit. Les vendeurs-ses proposent des unités inférieures au gramme pour s'adapter au budget des personnes usagères précaires. Les analyses révèlent des taux de pureté toujours très hauts. Dans toute l'Île-de-France, le phénomène d’amplification de l’accessibilité et de la disponibilité de la cocaïne se poursuit, facilité par un prix au kilo historiquement bas, s'élevant à 18 000 € selon les services d'application de la loi. En Seine-Saint-Denis, le produit reste cette année très disponible dans les « fours » (voir glossaire) des différentes communes du département, pour un prix courant de 50 € le gramme. On trouve également dans plusieurs communes des conditionnements correspondant à un tiers de gramme environ au prix de 20 €.
Différents profils de consommateurs-rices sont identifiés-es par l’étude de l’OFDT. Parmi les nouvelles populations s’ajoutant à celles déjà identifiées, on peut citer des « usagers-revendeurs de crack d’Afrique subsaharienne, consommateurs de cocaïne en sniff. » Arrivés mineurs sur le territoire, souvent au terme de parcours migratoires traumatiques, déboutés de leurs demandes d'asile, ils sont également consommateurs d'alcool et de benzodiazépines (Valium, notamment). L'autre mode de consommation de cocaïne documenté cette année est l'injection, seule ou en association avec des opioïdes (appelé speedball). Ce mode de consommation est notamment observé à la halte soins addiction, pratiqué par des personnes consommatrices aux profils variés : majoritairement des hommes, précaires et semi-insérés, polyconsommateurs, nés en France ou dans les pays d'Europe de l'Est et du Caucase. Selon les intervenants de la HSA, la forte disponibilité de la cocaïne chlorhydrate dans le quartier a profondément modifié les interactions sociales et l'atmosphère générale au sein de la structure. Le nombre d'injections de cocaïne a fortement augmenté. Elles représentaient 1,3 % des consommations en juillet 2023 contre 25 % en mars 2025, pour un même nombre d'usagers. Les professionnels-les évoquent une tension latente et une agressivité accrue en comparaison à l'ambiance induite par la consommation d'opiacés. Ils lient ce phénomène aux effets stimulants du produit et aux pratiques de cession et de revente entre personnes usagères. De plus, les professionnels-les observent des modifications des pratiques des personnes usagères : plusieurs d'entre elles multiplient les injections de cocaïne au cours d'une même session. Formées aux accidents liés à la consommation d'opiacés, les équipes sont mises en difficulté par la gestion des surdoses de cocaïne. Ces surdoses se présentent en effet sous des tableaux cliniques variés et on ne dispose pas d'antidote tels que la naloxone.
Poursuite de la diffusion des usages de kétamine. Utilisée en médecine humaine et vétérinaire depuis les années 1960, la consommation de kétamine à des fins récréatives a connu différentes phases et dynamiques de diffusion depuis les années 1990. En Île-de-France, les données collectées par le site TREND montrent que par deux fois lors de ces 20 dernières années les usages de kétamine sont « sortis » des espaces festifs alternatifs technos (free parties, teknivals) où ils étaient originellement observés. Une première période est identifiée du milieu à la fin des années 2000, lors de laquelle les consommations de kétamine s’étendent d’abord. Les observations mettent en évidence le développement depuis la fin des années 2010 d’une offre de kétamine caractérisée par une disponibilité et une accessibilité en fortes hausses, ainsi que par une baisse constante de son prix de vente depuis 2022 environ. Le produit est régulièrement proposé par les réseaux de revente en livraison et fait désormais partie des « menus » aux côtés des autres drogues telles que la cocaïne, le cannabis ou la MDMA. Le produit est également disponible auprès de « fours » dans plusieurs départements franciliens. En 2024, le prix de la kétamine a encore diminué. Les représentations liées à la kétamine ont évolué tout au long de la période, le statut d’anesthésiant vétérinaire aux effets puissants et incontrôlables laissant peu à peu la place à celui d’une drogue aux effets compatibles avec les pratiques et sociabilités festives. D’autres facteurs ont favorisé cette diffusion, notamment la faible durée des effets du produit, et le fait que cette substance ne soit pas détectable par les tests salivaires réalisés lors des contrôles routiers. Enfin, l’importante diffusion des usages de kétamine observée ces dernières années a été favorisée par une disponibilité et une accessibilité en forte hausse. Différentes appellations et variétés de kétamine sont en effet proposées par les revendeurs.
Sources :
TREND. Substances psychoactives, usagers et marchés tendances récentes à Marseille et en Provence-Alpes-Côte d’Azur en 2024. Par Claire Duport (Addiction Méditerranée), avec les contributions de Vincent Castelas, Arthur Durand et Baptiste Mercier.
TREND. Substances psychoactives, usagers et marchés tendances récentes à Lyon et en Auvergne-Rhône-Alpes en 2024. Par Nina Tissot (Oppelia-RuptureS).
TREND. Substances psychoactives, usagers et marchés tendances récentes à Paris et en Île-de-France en 2024. Par Justine Klingelschmidt, Mathieu Lovera et Grégory Pfau (Oppelia-Charonne).
TREND. Substances psychoactives, usagers et marchés tendances récentes à Bordeaux et en Nouvelle-Aquitaine en 2024. Par Sarah Perrin (CEID Addictions).
Glossaire
Les produits, les effets, les lieux
Cathinones : les cathinones sont une famille de substances de synthèse dérivées de la cathinone naturelle (un des principes actifs du khat). Les plus connues sont la 3-CMC, la 3-MMC, la méphédrone, la 4-MEC, la MDPV, et l’alpha-PVP.
Ecstasy : Le nom chimique de l'ecstasy est 3,4-méthylènedioxyméthamphétamine, abrégé en MDMA. La composition chimique et les effets de la MDMA sont similaires à ceux de l'amphétamine (un stimulant) et de la mescaline (un hallucinogène).
GHB/GBL : Le GHB (gammahydroxybutyrate) est à l’origine un anesthésiant utilisé en médecine pour ses qualités sédatives (calmant). Le GBL (gamma-butyrolactone), moins courant, est un produit chimique utilisé comme solvant-décapant. Il se transforme dans le corps, après absorption, principalement en GHB. C’est pourquoi on dit que le GBL un précurseur du GHB, et qu’ils ont les mêmes effets.
Kétamine : La kétamine est un psychotrope utilisé comme anesthésique injectable. Elle est aussi employée comme analgésique, sédatif, et en médecine vétérinaire.
Fours : Points de vente ou de deal.
G-hole : Un G-hole est un état de coma (trou noir, perte de mémoire, de connaissance comme si l'on était sous anesthésie) provoqué par un surdosage de GHB/GBL qui dure généralement une à deux heures. On ne se réveille pas toujours d'un G-hole.
Les structures et la prise en charge
Caarud : Centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers-ères de drogues.
Cegidd : Centre gratuit d'information, de dépistage et de diagnostic des infections par le VIH et les hépatites virales et les infections sexuellement transmissibles.
Csapa : Centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie.
HSA : Haltes Soins Addictions, anciennement salles de consommation à moindre risque, SCMR.
OFDT : Observatoire français des drogues et des tendances addictives
RdRD : Réduction des risques et des dommages.
TAO : Traitements par antagonistes opioïdes.
TREND : Tendances récentes et nouvelles drogues, un dispositif d’observation de l’OFDT.