L’Actu vue par Remaides : « Fonds mondial : "Il y a eu des avancées immenses dans la lutte contre le VIH, et on ne peut pas reculer" »
- Actualité
- 04.08.2025
Ines Alaoui, responsable des politiques internationales de santé
à la direction du Plaidoyer de Coalition PLUS. DR.
Par Jean-François Laforgerie
Fonds mondial : "Il y a eu des avancées immenses
dans la lutte contre le VIH,
et on ne peut pas reculer"
Alors que la France s'apprête à renégocier sa contribution au Fonds mondial de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme, Coalition PLUS appelle l'État à endosser un véritable leadership international en matière de santé mondiale. Dans cette interview accordée à Remaides, Ines Alaoui, responsable des politiques internationales de santé à la direction du Plaidoyer de Coalition PLUS, rappelle les enjeux, alors que la lutte contre le sida est ébranlée au plan international par le désengagement américain : elle plaide pour des financements innovants, indispensables pour tenir la promesse d'une santé mondiale solidaire et efficace.
Remaides : Dans quelques mois aura lieu la reconstitution des ressources du Fonds mondial de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. Quel geste demandez-vous à la France ?
Ines Alaoui : Dans le travail que nous menons en commun, c’est AIDES [association cofondatrice et membre de Coalition PLUS] qui porte la demande sur l’engagement financier de la France. Elle est de deux milliards d’euros pour trois ans [2026-2028]. Le Fonds mondial se fixe, lui, un objectif global de 18 milliards de dollars. Cet objectif a été fixé il y a plusieurs mois, bien avant les décisions sur les coupes de l'aide américaine. De plus, c’est un montant minimum. En effet, pour atteindre véritablement la cible que s'étaient fixés les États pour une fin de l'épidémie à échéance de 2030, il faudrait un investissement beaucoup plus important, de l’ordre de 29 milliards de dollars. Et encore une fois, ce montant a été pensé à un moment où le Pepfar, l'initiative américaine de lutte contre le sida, était encore le premier bailleur mondial dans la lutte contre le VIH. L’enjeu autour de l'investissement français est particulièrement fort, puisque la France est le deuxième bailleur du Fonds mondial. La demande portée par AIDES et que nous soutenons, est celle d’un montant qui, s’il est accepté, traduirait l’ambition française concernant le Fonds mondial, l’atteinte des objectifs de développement durable dont la fin de l'épidémie de sida d'ici 2030, l'ambition française en santé mondiale et cela dans la continuité des engagements du président ces dernières années.
Remaides : Quel engagement la France avait-elle pris lors de la reconstitution précédente ?
Ines Alaoui : Il me semble que la demande portait sur 1,8 milliards sur trois ans, soit déjà une augmentation de 20 % comme c’est le cas cette année. L’engagement français comprend une partie qui est réservée à l’Initiative 5 % [L’Initiative est une facilité française, complémentaire du Fonds mondial, qui accélère la lutte contre les grandes pandémies et accompagne les pays pour améliorer l’accès des populations à des services de santé de qualité]. Il s’agit d’un fonds qui permet d'intervenir de manière catalytique autour des programmes du Fonds mondial, mais c’est de l'aide bilatérale [la France et un autre pays]. Il s’agit d’une aide française à destination d'un certain nombre de pays dont la liste est fixée, contrairement au Fonds mondial, qui est une aide multilatérale. Le Fonds mondial est une instance où la France n'a, a priori, pas de pouvoir sur la direction des fonds au-delà du Conseil d'administration.
Remaides : Cela signifie qu'en termes de financement de la santé mondiale ou de lutte contre le VH, la tuberculose et le paludisme, nous avons à la fois des financements qui sont bilatéraux via l'initiative, et des financements multilatéraux via le Fonds Mondial. ?
Ines Alaoui : Il existe une multitude de canaux pour le financement bilatéral. Il y a une « initiative » qui est accolée au Fonds Mondial. Via l'aide publique au développement, il y a d'autres canaux de financement qui bénéficient à la lutte contre le VIH et au renforcement des systèmes de santé dans les pays. Et après, il y a l'investissement au niveau du Fonds Mondial, qui est donc un fonds multilatéral.
Remaides : Comment interprétez-vous la coupe de 40 % du budget de l'aide publique au développement et la remise en cause du principe de solidarité internationale qui a été actée par la fin de la location du développement sur les taxes, sur les transactions financières et sur les billets d'avion ?
Ines Alaoui : Nous sommes dans un contexte global où il y a beaucoup de discours qui prônent l'austérité budgétaire et la nécessité de faire des économies. Il est important de rappeler que nous sommes aussi dans un contexte de hausse des mouvements réactionnaires, des mouvements anti-droits, des mouvements anti-genre, etc. De fait, les politiques austéritaires, les coupes budgétaires, ne sont pas juste des choix mathématiques. Lorsqu’on coupe le budget pour la santé mondiale, pour la solidarité internationale, pour la lutte contre le VIH, on renforce une politique de mouvements anti-droits, anti-choix, anti-genre. Elle bénéficie de l'affaiblissement économique des programmes qui sont pourtant efficaces et qui permettent de lutter contre les épidémies dans les pays à revenus limités. C’est davantage un choix politique qu’un impératif budgétaire. Et cela nous paraît être une rupture par rapport à l'ambition française portée depuis plusieurs années en matière de santé mondiale et par rapport à l'engagement français historique dans le Fonds mondial. La France a été à l'initiative de la création du Fonds mondial et d'autres initiatives en santé mondiale ; je pense à Unitaid. Il y a une rupture idéologique très forte dans la conception française actuelle de la solidarité internationale et des droits humains.
Remaides : Comment l’expliquez-vous ?
Ines Alaoui : On peut noter que la coupe est beaucoup plus importante au niveau de l'aide publique au développement que sur d'autres postes de dépense de l'État. Il y a eu un ciblage. On n'a d'ailleurs pas appliqué le même pourcentage à l'ensemble des programmes de l'État. On a choisi d'être plus sévère avec la solidarité internationale qu'on ne le serait avec d'autres secteurs. Dans un contexte de montée de l'extrême droite, certains ont tendance à penser que la population serait réticente à la solidarité internationale. Ce n'est pas le cas. Nous avons fait un sondage qui est paru il y a quelques semaines sur les Français et la santé mondiale. On se rend bien compte que les épidémies, la lutte contre le VIH, la solidarité internationale sont des sujets qui restent importants pour une écrasante majorité de la population. En revanche, effectivement, il y a les décideurs publics qui se positionnent différemment. Beaucoup ont tendance à penser que c'est quelque chose n'affectant pas la population française qui serait plus intéressée par ce qui se passe à l'intérieur de ses frontières. C’est une fausse idée. On peut considérer ce ciblage de coupes budgétaires comme un mélange d'opportunisme politique et d'ignorance, à tout le moins d’une mauvaise compréhension des volontés de la population.
Des militants-es de AIDES et de Coalition PLUS protestent lors d'une manifestation à Paris
contre les coupes budgétaires américaines dans la lutte contre le sida au niveau mondial.
Remaides : Y voyez-vous le résultat des pressions de l'extrême droite, très active ces derniers mois, pour une remise en cause de l'aide française au développement ?
Ines Alaoui : Oui, absolument. Ces pressions ont été très fortes dans les derniers mois notamment sur l'aide publique au développement. Mais comme je le disais, cette pression-là de l'extrême droite sur l'aide publique au développement, sur les programmes de santé mondiale… elle n'est pas tant liée à une volonté d'économie dans le budget de l'État, qu’à une volonté d'attaquer les programmes de lutte contre le VIH, d'attaquer les communautés les plus touchées, d'attaquer les droits des personnes LGBTI et les droits humains en général. L’extrême droite cherche à imposer l’idée que les associations de santé, via leurs programmes, essaient d’exercer une influence sur des enjeux qui n'ont rien à voir avec ceux qui sont revendiqués. Derrière cela, il y a précisément une volonté de l'extrême droite d'avoir une destruction du tissu associatif dans les États, une destruction du tissu social, la destruction d’une idée forte : si l’on veut mettre fin aux épidémies, on a besoin que les personnes puissent faire valoir leurs droits et d’affirmer que les politiques répressives en matière de droits humains ne fonctionnent pas. Depuis 25 ans, un certain nombre de choses ont fait leur preuve sur le terrain et scientifiquement, notamment sur le terrain du Fonds mondial.
Remaides : La prochaine conférence de reconstitution s’inscrit dans un contexte particulier, notamment marqué par le désengagement américain des programmes internationaux de lutte contre le VIH/sida et le gel de Pepfar. C’était compliqué avant, ça l’est encore plus. Aujourd’hui, les besoins financiers du Fonds mondial sont de 29 milliards, le Fonds mondial demande 18 milliards ; soit 11 milliards de décalage. Comment l’expliquez-vous ?
Ines Alaoui : Il y a comme une forme d’autocensure de la part du Fonds mondial sur les demandes qu’il devrait faire. La demande de AIDES est une réponse à cette stratégie du Fonds mondial : nous refusons d'être dans cette posture d'autocensure. De toute façon, nous n’occupons pas la même fonction dans la société. Nous faisons partie de la société civile, nous ne sommes ni une instance multilatérale, ni un gouvernement. Nous sommes tout à fait à notre place lorsque nous demandons un investissement qui est à la hauteur des besoins réels des populations que nous connaissons, des besoins qui sont documentés, etc. C’est certain que les coupes du Pepfar entraînent des conséquences absolument tragiques à l'échelle mondiale pour la lutte contre le VIH. Le Pepfar était le premier bailleur mondial de la lutte contre le VIH au niveau international. Il finançait des traitements pour quelques 20 millions de personnes. Il finançait de la Prep, des programmes pour prévenir la transmission de la mère à l’enfant. Il finançait de nombreux éléments structurels dans les États qui permettent de piloter la réponse à l'épidémie : la collecte de données, les chaînes d'approvisionnement de diagnostics, celles de médicaments. Du jour au lendemain, des pays entiers se sont retrouvés sans possibilité d'approvisionnement en tests de dépistage, par exemple. D’autres se trouvent aujourd’hui complètement aveugles sur le pilotage de l'épidémie à l'échelle de leur pays… les données ne sont plus là, les ingénieurs qui les traitent non plus. L’impasse est complète. D’ici la fin de l’année, ce sont 100 000 morts (pourtant évitables) d'adultes et 50 000 d'enfants qui devraient se produire. C'est absolument tragique.
Un autre effet pervers pourrait se produire. Le financement de la lutte contre le sida dans les États se construit aussi en fonction de ce qui existait déjà. Lorsque le Fonds mondial, par exemple, vient investir dans un pays dans lequel le Pepfar finançait déjà le système d'approvisionnement en médicaments ou le pilotage des données épidémiologiques, le Fonds finançait autre chose, mais lorsque le Pepfar se désengage, cela crée un déséquilibre majeur qui a des répercussions sur l'investissement des États
dans leur propre santé publique, les investissements du Fonds mondial ou les aides bilatérales. C'est l'ensemble de l'écosystème de la lutte contre le VIH du pays qui se trouve complètement déréglé.
Remaides : quel est l’impact de ce phénomène sur la reconstitution qui est en cours ?
Ines Alaoui : Le dérèglement actuel modifie les besoins de réallocation [réaffectation ou transfert] des fonds, la priorisation des actions à financer, etc. Pour le cycle en cours, celui dont la reconstitution a eu lieu en 2022, une réallocation jusqu’à hauteur de 30 % du montant des subventions est demandée aux États pour s’adapter à la nouvelle réalité de terrain et combler les besoins qui n'existaient pas et qui sont apparus du fait des coupes récentes. Nous parlons de la prochaine reconstitution [2026-2028], mais il y a aujourd’hui des incertitudes concernant des promesses des États pour le cycle actuel. Par exemple, la France accuse un retard de quelque 100 millions d’euros pour cette année. Leur versement devrait être décalé à l'année prochaine. Mais toujours rien des nouvelles promesses pour la nouvelle reconstitution.
Remaides : L’objectif de fin de l’épidémie de sida en 2030 est-il toujours atteignable ?
Ines Alaoui : La période se prête indéniablement aux doutes là-dessus. Je pense qu'il faut garder un discours fort sur le fait que cet objectif est atteignable. En fait, ce qui manque, c'est de la volonté politique. Et n’oublions pas que l'objectif de 2030 n'a pas été décidé par des acteurs de la lutte contre le VIH complètement utopistes. Il a été fixé et accepté par les États eux-mêmes. C'est un engagement ferme qui a été pris en sachant alors que nous avions tous les outils nécessaires pour l'atteindre. Puis, un certain nombre de décisions politiques nous ont fait prendre du retard. Et voilà que surviennent les coupes du Pepfar dont les séquelles vont s'inscrire sur le long terme. Il faudra beaucoup de temps pour y pallier. Quand bien même, il y aurait un complet rétablissement de l'investissement américain, de l'aide étrangère américaine, les dommages sont déjà là et sont très élevés. Effectivement, l'objectif de 2030 semble difficilement atteignable, mais il faut qu'on garde un objectif, celui d’un horizon très proche pour la fin de l'épidémie, puisqu'il n'y a aucune raison acceptable qu'on ne l'atteigne pas.
Aujourd’hui, des modélisations sur ce qu’il pourrait se passer d'ici 2030 sans rétablissement de l'aide étrangère américaine estiment à six millions le nombre de nouvelles contaminations, qui occasionneraient quatre millions de décès supplémentaires. Quand on a ces chiffres en tête, on ne peut décemment pas avoir un discours qui condamne à la mort quatre millions de personnes dans les cinq prochaines années.
Remaides : Dans les contacts que vous avez avec les pouvoirs publics, votre analyse est-elle partagée et comment réagissent-ils aux chiffres que vous avancez ?
Ines Alaoui : Ils sont surpris. Les chiffres surprennent parce qu'ils sont impressionnants. Depuis un certain temps, les pouvoirs publics et même certains acteurs de la société civile avaient peut-être oublié l'impact de l'épidémie, le nombre de morts qu'il pouvait y avoir au début des années 2000 et l'ampleur que cela avait. Les décideurs avec lesquels nous parlons ne prennent pas toujours la mesure de cet impact. Lorsqu’on énonce ces chiffres, on voit que cela a un effet. En revanche, on a aussi des décideurs face à nous qui nous disent qu'ils ne sont pas là pour combler les coupes engagées par Donald Trump et que ce n'est pas leur responsabilité en tant qu'État français de venir se substituer à Donald Trump. Une logique qui ne tient pas du tout en termes de santé mondiale. C’est simple à comprendre, s’il y a des besoins [accès aux médicaments, vaccins, etc.] et que personne ne vient les combler, il y aura des conséquences très concrètes sur l’épidémie, même sur le territoire français.
Remaides : On pourrait être tenté d’établir un parallèle entre le climat et la santé mondiale. Dans les deux cas, les problèmes sont importants, les conséquences connues et pourtant, les décisions attendues ne sont pas prises. Qu’en pensez-vous ?
Ines Alaoui : Au-delà du parallèle, la lutte contre les épidémies est, elle aussi, concernée par la crise climatique. Celle-ci a des conséquences très concrètes sur le terrain pour les populations. Dans le cas précis de l'investissement français en santé mondiale, nous avons des mécanismes de financements. Ils existent depuis quelques années, ils sont à disposition et permettraient de répondre à la cible que AIDES a fixée : les deux milliards d’euros. Ce sont la taxe sur les transactions financières et la taxe sur les billets d'avion. Aujourd’hui, ces deux taxes ne sont pas suffisamment efficaces et ne sont pas collectées correctement. Si elles l’étaient, on pourrait sans problème augmenter la contribution française au Fonds mondial sans « charges supplémentaires » pour l'État. L’équation est simple : nous avons des faits, des arguments, une ambition pour la continuité de l’engagement français, des mécanismes de financement dont le principal, la TTF, est bloquée par manque de volonté politique. Et ce manque de volonté, on le retrouve aussi dans la façon de traiter les enjeux climatiques. Nous avons donc deux outils opérationnels qu’il suffirait d’améliorer pour qu’ils génèrent les ressources dont on a besoin aujourd’hui.
Remaides : Quand vous demandez cela, que vous répond-on ?
Ines Alaoui : Les réponses traduisent une méconnaissance et même un doute. Il faut bien comprendre que les arbitrages financiers sont faits d'une manière où on traite les sujets les uns après les autres. On doit consacrer peut-être deux minutes au Fonds mondial dans une réunion interministérielle où on décide des budgets qui seront coupés. C’est un exercice ingrat où tout le monde essaye aussi de maintenir ses budgets parfois au détriment des autres. Pourtant, il y a peu d'investissements comme ceux faits dans la santé qui ont un tel niveau de retour sur investissement. C’est particulièrement vrai pour le Fonds mondial : un dollar investi représente un retour sur investissement de 19 dollars. Cela devrait marquer les décideurs. C'est toute de même une preuve de la très haute efficacité du dispositif. Investir dans le Fonds mondial, ce n’est pas perdre de l’argent. C'est un des meilleurs investissements qu'on puisse faire en tant qu'État.
Remaides : Sur les enjeux de financements de la santé mondiale, que disent les pays donateurs aux pays qui sont bénéficiaires de l’aide ?
Ines Alaoui : Les pays donateurs ont tendance à dire de plus en plus qu'il faudrait que les pays à ressources limitées engagent un plus grand investissement domestique dans la santé. Au niveau de Coalition PLUS, c'est une revendication que nous portons depuis très longtemps. Il faut que les États investissent plus dans leur santé, il n'y a aucun doute là-dessus. Mais, il faut prendre en compte un élément clef : on parle, ici, d'États qui sont moins riches que la France, largement moins riches, qui ont des espaces fiscaux qui sont beaucoup plus limités [quasiment pas d’impôts dans certains pays], qui ont des dettes, parfois colossales. Prenons l’exemple du Mozambique. Le pays est le cinquième pays dans le monde en termes de fardeau VIH ; avec une prévalence chez les adultes qui est autour de 12 %. Le Mozambique est endetté à hauteur de 50 % de son produit intérieur brut [PIB]. Comment un pays comme celui-là, endetté à ce niveau auprès d'autres États qui d’ailleurs s'enrichissent de cette dette, peut-il concrètement investir dans la santé, sans qu’aucune aide extérieure ne vienne alléger ce fardeau ? C’est impossible.
La situation actuelle est celle de pays ne pouvant pas investir dans leur santé qui font face à des pays refusant de continuer à investir dans la santé mondiale ; domaine où ils ont pourtant investi pendant des années, pas par bonté d’âme, mais parce qu’il s’agit d’un investissement efficace, qui a aussi un impact concret favorable sur leur population.
Bien sûr, c’est une bonne chose que tous les États investissent dans leur santé. En revanche, pour certains, cela ne peut pas se faire du jour au lendemain. A fortiori, quand les mesures prises, des coupes brutales par exemple, affaiblissent les États et leurs systèmes de santé. Et n’oublions pas qu’on considère qu’aujourd’hui l'extraction des richesses du Sud vers le Nord, représente trente fois l'aide publique au développement mondial. Autrement dit : la solidarité internationale telle qu'on l'appelle, est trente fois inférieure à l'ampleur de l'enrichissement que le Nord tire des pays du Sud.
Remaides : Quels sont vos trois arguments pour les décideurs-ses politiques, afin de les inciter à répondre favorablement aux demandes qui sont faites concernant les financements en matière de santé mondiale, dont celui du Fonds mondial ?
Ines Alaoui : Le premier, et surtout dans ce contexte, c'est que l'argent est là et que les outils pour l’obtenir existent. Il suffirait d’un meilleur rendement et d’une meilleure collecte pour que cela fonctionne. Le deuxième, c'est l'argument de rationalité économique : un dollar investi dans le Fonds mondial et dans la santé mondiale en général, c'est 19 dollars de retour sur investissement. Cet investissement a un impact réel. Nous avons des quantités de données scientifiques qui le démontrent. Le troisième, c’est qu’il y a eu des avancées immenses dans la lutte contre le VIH dans les 20 dernières années, et on ne peut pas reculer. On ne peut pas condamner, encore une fois, quatre millions, voire six millions de personnes à la mort et à la maladie, alors que c'est évitable.
D’ailleurs, cela ne sera pas sans conséquences pour les pays du Nord, y compris la France. La formule est connue et tellement vraie : les épidémies n'ont pas de frontières.
Remaides : Vous mentionnez un impact en France, lequel ?
Ines Alaoui : Un défaut d'investissement dans la solidarité internationale peut aussi entraîner des conséquences sur le système de santé français. Aujourd’hui, des personnes qui avaient accès à un traitement ARV, n’y ont plus accès ou en tout cas, elles ne peuvent plus payer un traitement qui, du fait de l’aide américaine, était gratuit auparavant. Beaucoup doivent désormais faire des choix : moins prendre leur traitement, voire l’arrêter complètement ; ce qui pose des risques pour leur santé individuelle, et représente aussi des risques au niveau collectif en termes de résistance qui peuvent se créer et le risque de potentielles transmissions si la charge virale redevient détectable. Aujourd'hui, on arrive quand même à traiter la majorité des personnes qui vivent avec le VIH avec des médicaments qui sont globalement accessibles, parce que les brevets sont tombés, parce que ce sont des médicaments plutôt anciens. Mais, on risque à moyen terme de se retrouver avec des résistances qui augmenteront mécaniquement le coût de la prise en charge du VIH pour les systèmes de santé. Par ailleurs, nous avons des innovations qui permettraient de faire des économies structurelles. On a beaucoup parlé des injectables à longue durée d'action. Très concrètement, un injectable qu'on doit prendre tous les deux mois ou tous les six mois, ça demande moins de camions pour approvisionner en médicaments, cela demande à moyen et long termes moins de rendez-vous médicaux. Cela peut faire baisser les coûts au niveau des systèmes de santé. Mais l’absence d’argent éloigne l’accès aux approches innovantes. L'enjeu est trop grand pour qu'on refuse cet horizon-là. Tant pour les États-Unis que pour la France, si nous prenons la mauvaise direction en termes d’investissement dans la santé mondiale, très rapidement les conséquences vont se faire sentir. Et malheureusement, cela coûtera plus cher aux États, ce qu’on peut déplorer, mais surtout très cher aux personnes et en vies humaines. Et ça, c’est inacceptable !