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    Générations positives : Marie-Pierre et Malik, un dialogue autour de la vie avec le VIH

    • Remaides
    • 18.12.2023

    Par Fred Lebreton

    © Fred Lebreton

    Générations positives :
    Marie-Pierre & Malik, un dialogue intergénérationnel autour de la vie avec le VIH

    Aujourd’hui, 6 octobre 2023, j’ai rendez-vous avec deux personnes vivant avec le VIH de deux générations différentes. Marie-Pierre a 56 ans. Elle a été diagnostiquée séropositive en 1988. Malik, de son côté, a 38 ans. Il a été diagnostiqué en 2014. Ils ne se connaissent pas et, pour Remaides, ils ont accepté de se prêter à l’exercice de l’entretien croisé. 

    marie-pierre malik générations positivesRemaides : Dans quelles circonstances avez-vous découvert votre séropositivité et quelles ont été les répercussions sur votre vie, les premiers temps ?

    Marie-Pierre : Je l'ai appris en 1988 à l’âge de 20 ans. J’avais fait le test VIH et je n'étais pas allée chercher les résultats car j'étais persuadée qu'on m'appellerait si c'était positif. Je suis allée voir mon médecin qui a tourné autour du pot avant de m’annoncer que je résultat était positif. J’ai pris une grosse claque. Le ciel m’est tombé sur la tête. Je ne m'y attendais pas. J’étais une ancienne consommatrice d’héroïne, mais j'avais arrêté la drogue et mon test précédent était négatif. J’ai demandé au médecin : « Vous me donnez combien de temps à vivre ? ». Il m’a répondu : « Si vous menez une vie saine, deux ans ! ». À l’époque j’étais en couple depuis six mois avec un homme sans papier et j’avais très peur de lui avoir transmis le virus. Je l’ai accompagné faire un test anonyme chez Médecins du Monde. Heureusement, son test était négatif. Nous nous sommes mariés très vite en janvier 1989. C'était le grand amour. J’ai vite déchanté. J’ai subi des violences conjugales. Cela a commencé par une baffe puis des violences régulières. Je suis tombée enceinte, mais j’étais tiraillée entre mon désir d’enfant et la peur de transmettre le VIH à mon enfant. On me disait que les enfants séropositifs ne vivaient pas plus de deux ans…

    Malik : Je pense que derrière, il y a des discours culpabilisants du genre : « T'as pas honte de penser à faire un enfant alors que tu sais que tu peux lui transmettre ? »

    Marie-Pierre : Oui, c’est totalement ça. On traitait les mères séropositives de « meurtrières » ! Rongée par la peur et la culpabilité, j’ai fait un avortement thérapeutique. En salle de réveil, on m’a dit qu’un médecin viendrait me voir. J’ai attendu pendant des heures,  personne n’est venu. J’ai fini par quitter la clinique alors que je saignais encore. J’étais complètement déprimée. Quelques mois après mon mariage, j’ai quitté mon conjoint à cause des violences conjugales. Toute cette période reste très traumatique pour moi. 

    Malik : Moi, j’ai découvert ma séropositivité en 2014, j’avais 29 ans. J’avais perdu du poids et je me sentais très fatigué. Un matin, je m’en souviendrai toute ma vie, j'étais chez moi dans mon appartement à Marseille, je me suis levé, j’ai pris mon petit déjeuner et dans les trois minutes qui ont suivi, j’ai couru aux toilettes et tout est ressorti. J’ai appelé mon médecin qui m’a demandé de faire une prise de sang. Le VIH faisait partie des tests et le résultat est revenu positif. Je le savais au fond de moi. Je pense que je l'ai su pendant des mois, mais que je me voilais la face car j’avais peur. Je suis retourné à mon travail et je me suis effondré en larmes. J’ai été dépisté à un stade très avancé de l’infection. Mes défenses immunitaires étaient à plat. J’avais fait une gastrite et je n’arrivais plus à m’alimenter. On a dû me mettre sous Bactrim pour éviter l’apparition de maladies opportunistes, le temps de remonter la pente. Heureusement, la prise en charge VIH à Marseille m’a sauvé la vie. J’étais en pleurs devant mon médecin et je lui ai demandé ce que j’allais devenir maintenant que j’étais malade. Il m’a répondu : « Je vous interdis de dire que vous êtes malade, vous vivez avec un virus, ça n’est pas la même chose ». Cette phrase, je m'en souviendrai toute ma vie. Mon seul regret, quand j’y repense, c’est que je suis passé tout près de la Prep [autorisée en France en 2016, ndlr]. Mais je suis content quand je vois des potes à moi qui peuvent avoir une vie sexuelle épanouie sans la peur de contracter le VIH.

    Marie-Pierre : Tu sais à quel moment tu l’as contracté ?

    Malik : Tu sais, j’ai grandi dans les quartiers Nord de Marseille dans une culture musulmane où l'éducation sexuelle n'existait pas. On ne m’a jamais appris l’importance d’utiliser des préservatifs, donc tous mes rapports se faisaient sans préservatifs. J’ai été extrêmement malheureux pendant mon adolescence parce que grandir homo dans les quartiers, c’est subir l’homophobie et le rejet. Je me sentais très seul et malheureusement, la communauté gay de Marseille n’a pas été tendre avec moi. Heureusement ma famille ne m’a jamais rejeté en raison de mon homosexualité ou de ma séropositivité. J’étais très proche de ma mère qui est décédée d’un cancer des os. C’était le diamant de ma vie.

    Marie-Pierre : Moi, c’était compliqué avec ma mère. Elle n’arrêtait pas de dire : « Marie-Pierre, elle est malade ». Je lui disais : « Arrête de dire que je suis malade, je ne suis pas malade ! ». Elle me voyait déjà morte et ça m'a empêchée d'avancer, parce qu'à 20 ans, quand on te dit que ça n’est pas la peine de chercher du travail, c’est compliqué de se projeter.

    Remaides : Avez-vous connu des actes ou des paroles sérophobes dans votre parcours de vie avec le VIH ?

    Malik : J'ai surtout eu droit à des paroles maladroites. L’année dernière par exemple, un pote gay avec qui je vais boire des verres dans le Marais m’a dit : « Toi, tu vis avec le sida ». C'est violent et c'est dur comme phrase ! J’étais en colère qu’il ne connaisse pas la différence entre VIH et sida. Je suis quelqu'un d'extrêmement gentil, mais de manière générale, je ne tolère pas la bêtise et l'ignorance. Surtout dans la communauté gay où l’information et la prévention autour du VIH sont de partout. La sérophobie, je l’ai aussi connue sur les applis de drague comme Grindr. Je me suis retrouvé face à des mecs de la communauté gay qui me disaient : « Jamais de la vie, je te touche ; tu as le sida ! » ou encore : « Déjà, que t'es gros,  en plus, t'es séropo ! ». Le rejet de la communauté gay m’a tellement isolé que je suis tombé dans la drogue. Ce n’est pas le VIH qui m’a emmené à la drogue, ce sont les réactions des membres de la communauté gay. Heureusement, ces dernières années les choses évoluent. Je pense que l'arrivée de la Prep dans la communauté a éduqué énormément de personnes sur le VIH.  

    Marie-Pierre : J’ai eu droit à un dentiste qui a paniqué dès que je lui ai dit que j’étais séropo. Il a mis deux paires de gants. Il tremblait. Il y avait du sang partout et il m’a charcuté ! Mais la pire expérience de ma vie est arrivée à mes 27 ans [en 1995, ndlr]. J’ai été hospitalisée car on m’a dit que j’avais des kystes aux ovaires qu’il fallait retirer. Au réveil de mon opération, on m’a appris qu’on m’avait fait une hystérectomie totale [ablation chirurgicale de l'utérus, ndlr]. Parce que j'étais séropo et toxico,  je n'avais pas le droit d'avoir d'enfant ! J’ai demandé des explications, mais c’était le silence total. Quand j’ai vu mon infectiologue plus tard, je lui ai demandé si j’avais eu un cancer de l’utérus, il m’a répondu avec beaucoup de gêne : « Non, je suis désolé. C'est trop tard ». 

    Malik : C’est hyper violent ! Est-ce que tu as porté plainte ?

    Marie-Pierre : Je suis allée voir des personnes du service juridique à AIDES pour envisager de porter plainte, mais ma mère m’a découragé par peur d’un scandale. Plus tard, j’ai essayé de récupérer mon dossier médical, mais je n’ai jamais réussi. Cette stérilisation forcée a gâché ma vie. 

    « Si la peur protégeait de quelque chose, ça se saurait. Avoir peur d'aimer, ça ne protégera pas de souffrir de l'amour. Avoir peur d'une maladie, ça n'empêchera pas de l'avoir. La peur n'a jamais protégé de rien et au contraire, elle t'empêche de vivre des choses. »

    Remaides : Comment avez-vous découvert la notion I = I (Indétectable = Intransmissible) et qu’est-ce que cela a changé dans votre vie ?

    Malik : C'est mon médecin à Marseille qui m'en a parlé. Ma charge virale est devenue indétectable au bout de six mois alors que j’avais été dépisté en stade avancé et que ma CV était très élevée. Je me suis mis à pleurer quand j’ai su que j’étais au stade indétectable et que je ne pouvais pas transmettre le virus. J'avais mis ma vie sexuelle entre parenthèses. Je l'ai reprise, mais avec beaucoup de prudence. Pas parce que j’avais peur de transmettre le VIH, mais plus par peur de contracter une hépatite ou une autre IST.

    Marie-Pierre : Mon infectiologue ne m’a jamais rien dit sur Indétectable = Intransmissible. Je l’ai su au Comité des Familles [association basée à Paris qui accompagne les familles concernées par le VIH, ndlr]. J’étais en colère car j’étais en couple depuis huit ans avec un homme séronégatif et j’avais la peur au ventre de lui transmettre le VIH. Plus tard, j’ai dû batailler pour rentrer dans le protocole pour passer au traitement injectable tous les deux mois. Mon infectiologue hésitait, mais j’ai réussi à le faire et ça m'a changé la vie. Je n’ai plus la crainte d’oublier de prendre mon cachet et surtout je n’ai plus cette charge mentale quotidienne qui me rappelait tous les jours mon statut sérologique. Je suis sous traitement injectable depuis deux ans et je revis !

    Malik : J’aimerais le faire aussi, mais je crois qu’il y a une histoire d’indice de masse corporelle à ne pas dépasser. Le traitement injectable est grossophobe ! [rires de Marie-Pierre et Malik, ndlr].

    Remaides : Comment vous voyez-vous dans dix ans et quels sont vos projets, envies et espoirs ?

    Marie-Pierre : Mon rêve depuis deux, trois ans, c'est de quitter Paris et de monter un refuge pour m'occuper des animaux maltraités ou abandonnés. Sur le plan de la santé, toute ma vie, j’ai eu peur de transmettre le VIH. Aujourd’hui, je sais que ce n’est pas possible, mais j’ai des craintes face aux risques de cancers. Pendant des années, j’ai refusé de faire une mammographie par peur du résultat, mais récemment je suis allée à des ateliers chez Actions Traitements [association basée à Paris qui accompagne les personnes vivant avec le VIH, ndlr] et j’ai évolué sur cette question. Maintenant, je suis décidée à faire une mammographie et une coloscopie.

    Malik : Si la peur protégeait de quelque chose, ça se saurait. Avoir peur d'aimer, ça ne protégera pas de souffrir de l'amour. Avoir peur d'une maladie, ça n'empêchera pas de l'avoir. La peur n'a jamais protégé de rien et au contraire, elle t'empêche  de vivre des choses. Je pense que la peur, c'est la pire conseillère qui puisse exister, parce qu'elle te tétanise. Et quand tu as peur, tu ne fais rien. Comme moi, j'ai eu peur de faire mon test VIH et il a fallu que je sois presque en stade sida pour que je fasse une prise de sang. Je ne serais peut-être pas là aujourd'hui pour en parler avec toi si j'avais continué  à avoir peur.

    Marie-Pierre : Tu as raison et j’ai compris tout ça grâce aux ateliers d’Actions Traitements.

    Malik : Moi, mon rêve, c'est la petite maison au bout du chemin, en Normandie, au bord de la falaise avec mon mec qui est l’homme de ma vie et que je veux épouser. Le VIH, je n’y pense presque plus. Je me lève le matin. Je prends mon cachet et je fais ma journée. En revanche, je pense de plus en plus à m’engager dans le milieu associatif VIH ou LGBT. J’ai envie de rendre ce qu'on m'a donné et j'ai surtout envie de donner ce que moi,  je n'ai pas trouvé à certains moments de ma vie. Faire quelque chose qui nourrisse un peu l’âme.

    Un grand merci à Marie-Pierre et Malik.