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    Conférences AIDS 2018 : le bilan

    • Actualité

    Quelques jours après la fin d’une conférence internationale sur le sida riche en annonces et en mobilisations, c’est l’heure pour AIDES de dresser le bilan sur les thématiques phares portées par l’association : en finir avec les politiques migratoires indignes en Europe, agir sur le prix des médicaments et changer les politiques des drogues dans le monde.

    En finir avec les politiques migratoires indignes qui gangrènent l’Europe

    Comme le rappelle Jacqueline Welker de l’Organisation internationale pour les migrations lors d’une session, le monde connaît une ère de migrations sans précédent, qu’il s’agisse de déplacements entre pays, voire entre continents ou à l’intérieur mêmes des frontières, souvent sous la contrainte économique ou pour fuir des violences. Or les situations de déplacement (et les lois qui les entourent) exposent de manière disproportionnée les personnes aux risques pendant le transit, dans les camps de réfugiés-es, les centres de rétention ou les prisons. Pour les migrants-es vivant déjà avec le VIH, le grand défi est la continuité des soins. Et John F. Ryan, de la Commission Européenne, ne dit pas autre chose quand il appelle les états membres à avoir une approche holistique de la santé des personnes migrantes, en leur offrant, à leur arrivée, une prise en charge sociale, médicale, éducative, de quoi se nourrir et se vêtir…

    Pourtant l’Europe donne un bien mauvais exemple sur les questions migratoires pour Marc Biot de Médecins sans Frontières, et des pays comme l’Afrique du Sud s’en inspirent pour faire régresser les droits des personnes migrantes, notamment sur l’accès au traitement contre le VIH. On peut aussi se tourner vers les Amériques pour constater les dégâts des politiques migratoires répressives sur la santé des personnes. La présentation de Beatriz Suro Maldonado pendant une autre réunion le montre : de nombreuses personnes ne disposant pas de titre de séjour aux Etats-Unis se privent d’utiliser des service publics (notamment en santé) de peur que ça ne mette en danger leur situation ou celle de leurs proches. Il peut également y avoir une crainte d’être fiché-e, que ses informations de santé soient transmises à d’autres pays, etc… Autant de freins à l’accès ou à la continuité des soins qui pourraient être évités avec des législations plus accueillantes et un travail sur les mentalités de la population générale aussi : les personnes migrantes ne sont pas un problème, elles font partie de la solution ! Malheureusement, peu d’avancées ont pu être constatées sur cette question, et le vote définitif ce mercredi de la « loi asile-immigration » en France laisse peu de place au doute quant à la tendance générale en Europe… Toujours plus de répression envers les migrants-es, au mépris de leurs droits fondamentaux, dont celui à la santé !

    Agir sur le prix des médicaments

    Sur la question, vitale, du prix des médicaments, le militantisme battait son plein mercredi en marge et au sein de la conférence internationale, avec un « Bad Pharma Tour » qui s’est fini en apothéose… Plusieurs organisations internationales réunies proposaient ces visites d’un genre un peu particulier pour sensibiliser aux enjeux du prix du médicament, en dénonçant les pratiques abusives des laboratoires pharmaceutiques. Plusieurs dizaines de participants-es suivaient donc ce petit groupe d’activistes sur les stands, généralement très grands et très beaux, des industriels du médicament, et découvraient par exemple que la laboratoire Roche, qui génère des milliards de profits chaque année, avait vendu à prix d’or aux gouvernements un médicament contre la grippe H1N1 dont ils savaient depuis plusieurs années l’inefficacité. Deuxième arrêt de ce tour, le laboratoire ViiV, qui par ses pratiques de prix freine l’accès aux antirétroviraux VIH notamment en Afrique du Sud. Le laboratoire avait par ailleurs promis de vendre à prix coûtant ses médicaments contre le VIH à formulation spéciale pédiatrique, mais ne l’a toujours pas fait. En conséquence, 40% des enfants vivant avec le VIH dans le monde utilisent encore des dosages adultes, avec les effets indésirables qu’on peut imaginer, qui compromettent l’adhérence au traitement et menacent donc leurs vies.

    Last but not least, l’arrêt au stand Gilead est l’occasion pour les activistes de dénoncer les prix exorbitants auxquels est vendu le traitement contre l’hépatite C, et qui a permis au laboratoire de générer 66 milliards de profits depuis 2004, pendant que les personnes atteintes meurent faute d’accès au traitement. Le laboratoire pratique également une politique des brevets abusive qui empêche l’arrivée de génériques et l’accès universel aux traitements. Et quand un pays prend des initiatives pour protéger sa population, comme la Malaisie qui a instauré une licence obligatoire qui lui permet de produire elle-même le fameux traitement contre l’hépatite C, les dirigeants-es sont « convoqués » par les représentants-es de Gilead « Non seulement les laboratoires mentent, mais ils menacent et intimident, ils sont complices de la mort » dénonce une activiste locale. Mais une IMMENSE nouvelle a permis de lancer les cotillons et confettis sur le stand, puisqu’on venait d’apprendre que le laboratoire avait perdu son certificat complémentaire de protection sur le Truvada au niveau européen, une manœuvre qui lui permettait de bloquer l’arrivée des génériques dans 28 pays pour le traitement du VIH et la Prep.

    Changer en profondeur les politiques des drogues partout dans le monde

    Des Philippines de Duterte où les exécutions extrajudiciaires ont déjà coûté la vie à plusieurs milliers de personnes usagères de drogues (ou soupçonnées de l’être) aux dizaines de pays où les consommateurs-trices sont arrêtés-es, envoyés-es vers du « soin » forcé (en Chine, sur la foi d’un simple test d’urine, on peut être enfermé-e pour un an ou plus, avec sevrage sauvage et… travail gratuit !), la répression qui s’exerce sur cette population ne semble pas faiblir, d’autant qu’elle s’appuie sur de solides traités internationaux. En réalité, l’objectif premier de cette « Guerre à la Drogue » lancée il y a environ un siècle, ce n’est évidemment pas de nuire à la santé et aux droits fondamentaux des usagers-ères de drogues, non, le but, le rêve d’une partie des politiciens-nes et décideurs-euses, c’est un monde sans drogue (sauf l’alcool et le tabac, bien sûr), où l’offre s’amenuiserait en même temps que la demande s’éteindrait. Mais des décennies plus tard, force est de constater l’échec cuisant des politiques répressives : la consommation comme le trafic de drogues ne se sont jamais si bien portés, et celles et ceux que l’on voulait supposément protéger sont les premières (mais pas les seules) victimes de cette croisade.

    Pour Ruth Dreifuss, ancienne présidente de la Suisse et directrice de la Commission globale sur les politiques des drogues, les politiques répressives représentent un plus grand risque que les substances contrôlées elles-mêmes. Un propos rejoint par l’ensemble des intervenants-es dans le domaine, dont Anya Sarang, militante russe et l’une des porteuses du projet de plaidoyer vidéo « Drug Reporter » : « On n’arrivera pas à zéro contamination sans zéro criminalisation ». C’est d’ailleurs ce qui fonde la campagne portée par Coalition Plus et AIDES pendant la conférence : Just Say No to the War on Drugs, pastiche de campagne antidrogue étatsunienne des années Nixon et Reagan. L’autre pendant de cette campagne, c’est « Just Say Yes » : dites oui aux mesures favorisant l’accès aux droits et à la santé des usagers-ères de drogues ! Il faut dire que les politiques de réduction des risques (programme d’échange des seringues, traitement de substitution aux opiacées, etc), dont on sait l’efficacité incroyable pour infléchir les épidémies de VIH et d’hépatite C, mais aussi diminuer les overdoses, ne sont toujours pas en place de manière suffisante dans la plupart des pays. On estime d’ailleurs que seul 1% des personnes qui injectent des drogues dans le monde ont un accès convenable à la réduction des risques… Le tout dans un contexte où les financements pour la réduction des risques sont en baisse, et les infections au VIH en hausse de 33% chez les injecteurs-trices ! « Chase the virus, not people ! » réclamaient donc les activistes, menottes au bras et colère dans la voix lors d’un « die-in » devant la conférence le jeudi matin. Affaire à suivre en 2019, où de nouvelles grandes lignes de conduite internationales devraient être votées et pourraient nous éloigner, ENFIN, d’un modèle qui a prouvé ses terribles échecs et coûté des milliers de vies.