AIDS 2024 : DoxyPrep, nouvelle stratégie de prévention des IST
- Actualité
- 24.07.2024
© Fred Lebreton
Par Fred Lebreton, Thierry Tran, Lucas Vallet, Solenn Bazin et Célia Bancillon-Casanova
AIDS 2024 : DoxyPrep, nouvelle stratégie de prévention des IST
Chaque été, tous les deux ans, a lieu la grande conférence mondiale sur le VIH, organisée par l’IAS. AIDS 2024, se déroule, cette année, à Munich (Allemagne) du 20 au 26 juillet. Au programme, deux jours de pré-conférence, cinq jours de conférences et un grand village associatif avec des activistes venus-es de toute la planète, dont AIDES. La rédaction de Remaides est sur place pour une couverture des moments forts. Troisième épisode sur la journée du mardi 23 juillet 2024.
DoxyPrep : prendre un antibiotique avant un rapport sexuel non protégé par un préservatif
Non, il ne s’agit pas d’une faute de frappe. On connaissait la DoxyPep, voici maintenant la DoxyPrep, une nouvelle stratégie de prévention des IST présentée lors du premier jour de conférence AIDS 2024 à Munich.
Rappel : DoxyPep veut dire Doxycycline post-exposure prophylaxis (en français : prophylaxie post exposition à base de doxycycline). Cette stratégie de prévention des IST consiste à prendre un antibiotique (la doxycycline, en deux comprimés de 100 mg) après un rapport sexuel non protégé par un préservatif (entre 24 heures et 72 heures au maximum après le rapport).
DoxyPrep veut dire doxycycline pre-exposure prophylaxis (en français : prophylaxie pre exposition à base de doxycycline) et donc vous l’avez compris il s’agit ici de prendre un antibiotique (la doxycycline, un seul comprimé de 100 mg par jour, tous les jours) AVANT un rapport sexuel non protégé par un préservatif.
Un essai mené au Canada auprès d'hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, vivant avec le VIH et ayant des antécédents de syphilis, a montré, grâce à cette stratégie (DoxyPrep), des réductions de 79 % de la syphilis, 92 % de la chlamydia et 68 % de la gonorrhée dans le groupe recevant la doxycycline par rapport au groupe recevant le placebo. L'analyse a inclus 52 hommes à Toronto et Vancouver, avec un âge moyen de 43 ans. Ils ont été répartis dans deux groupes, au hasard, pour recevoir 100 mg de doxycycline orale quotidiennement ou un placebo une fois par jour, pendant 48 semaines.
Une autre étude menée au Japon auprès de travailleuses du sexe a montré une baisse significative de l'incidence des IST. L'analyse a inclus 40 femmes asiatiques ayant commencé la DoxyPrep à raison de 100 mg de doxycycline par jour. L'âge moyen des participantes était de 29 ans. Plus de 80 % prenaient déjà la Prep contre le VIH, et près de 90 % utilisaient des pilules contraceptives. Lors de leur première visite, 18 % avaient une chlamydia et 15 % avaient une gonorrhée. Pendant le suivi, les IST ont diminué, après le début de la DoxyPrep. Le taux global d'incidence des IST a chuté de manière significative, passant de 108 à 18 nouveaux cas, soit une réduction de 67 %. Il y a eu une réduction importante de la chlamydia, passant de 74 à 13 cas. La gonorrhée a diminué de 26 à cinq cas, soit une réduction de 55 %. La syphilis est passée de huit à zéro nouveau cas. Selon l'équipe de l'étude, ces résultats soutiennent l'introduction de la DoxypPrep dans les populations très exposées aux IST comme les HSH multipartenaires et les travailleurs-ses du sexe.
Comment choisir entre DoxyPep et DoxyPrep ? Dans une interview accordée à NBC News, le Dr Troy Grennan, médecin en chef du programme VIH/IST de Vancouver, explique que c’est un choix qui revient avant tout aux personnes concernées. Il a lancé il y a un an, une étude comparant la DoxyPep à la DoxyPrep. L'étude a recruté environ 150 des 560 participants-es prévus-es. Pour le médecin, d'une part, certaines personnes peuvent avoir des partenaires sexuels suffisamment fréquents pour qu'il soit plus logique de prendre de la doxycycline quotidiennement en tant que Prep. De plus, une exposition constante plutôt qu'intermittente aux antibiotiques peut réduire le risque d'émergence de résistance aux médicaments. Et pour certaines personnes, notamment celles qui prennent déjà des traitements quotidiens (Tasp ou Prep VIH, par exemple), il est plus facile de se rappeler de prendre une pilule quotidienne que de programmer les doses en fonction du moment des rapports sexuels récents. En ce qui concerne l'inquiétude la résistance aux médicaments, « la tendance n'a pas vraiment été convaincante dans un sens ou dans l'autre ». Des recherches visant à répondre à cette question sont en cours.
DoxyPep chez les femmes cisgenres
Les taux d'IST chez les jeunes femmes utilisant la Prep en Afrique centrale, orientale, australe et occidentale sont élevés. Des essais montrent que la DoxyPep prévient efficacement les IST chez les hommes cisgenres et les femmes transgenres, mais pas chez les femmes cisgenres, en raison de la faible utilisation de la DoxyPep, avec des obstacles tels que les effets indésirables, la charge mentale d’avoir à prendre des pilules, la stigmatisation et la crainte de la réaction des partenaires. Une étude sur la DoxyPep chez les jeunes femmes au Kenya a montré que l'observance pourrait être mieux soutenue en diminuant la fréquence et l'urgence des doses pour permettre un choix optimal du lieu et du moment de la prise.
Des militants-es en blouse blanche sur scène
Le rendez-vous a été donné à huit heures du matin, mardi 23 juillet. Les blouses blanches sont dans les sacs à dos. Des activistes de plusieurs pays, dont des militants-es de AIDES et de Coalition PLUS, se sont réunis-es la veille au soir pour préparer l’action. L’idée est de remettre au centre l’expertise communautaire encore trop absente, ce matin, lors d’une plénière intitulée « Putting People First » ( « Placer les personnes au premier plan ») et montrer que l’expertise des personnes concernées est aussi importante que celle des scientifiques. La conférence IAS a beau réserver un bel espace aux communautés au Global Village, les personnes concernées par le VIH ne sont pas nombreuses à prendre la parole en plénière.
© Fred Lebreton
Le signal est donné vers 9h à la fin de la première présentation. Une trentaine de militants-es, tous-tes habillés-es en blouse blanche se lèvent et s'alignent devant la scène, sans monter dessus. Cinq personnes déjà identifiées montent sur scène pour prononcer une courte intervention de trois minutes. La sécurité de l’IAS a été prévenue de l’action. Tout se passe dans le calme et le respect. « Communities are experts ! » « Les communautés sont expertes ! », scandent les militants-es. Au même moment, le compte officiel de IAS publie ce tweet : « Des manifestants montent sur scène lors de la première séance plénière de #AIDS2024, scandant « Les communautés sont des experts ! ». La protestation est bienvenue à la conférence ». L’action terminée, la plénière reprend son cours dans une ambiance très calme, peut-être trop…
Les personnes comme priorité numéro un, plus facile à dire qu’à faire
Cette plénière avait pour titre « Putting People First » qui est aussi le mot d’ordre de cette édition du congrès IAS dont la portée devait être explicitée par les trois intervenants-es. Pourquoi ériger les personnes comme priorité absolue et à la place de quoi comme le sous-entend ce titre ?
La première intervenante, Anna Turkova est chercheuse clinicienne à l’Université de Londres. Elle a débuté sa présentation avec le message suivant : « N’oubliez pas les enfants ». Spécialisée en pédiatrie des enfants vivant avec le VIH dont la population est estimée à 1,4 million d’enfants, elle rappelle que ses patients-es sont avant tout des enfants et des adolescents-es. Au-delà des bilans CD4 et des charges virales, ils-elles partagent les mêmes besoins en offre de santé, notamment en santé mentale. Les progrès ont permis de faire baisser de moitié les nouvelles infections et les décès liés au VIH entre 2013 et 2023. Anna Turkova explique que 18 pays sont en voie d’une triple élimination de la transmission verticale (transmission de la mère à l’enfant) du VIH, de la syphilis et de l’hépatite B, parmi lesquels la Namibie, le Botswana ou le Mozambique. Toutefois, ce résultat est à nuancer car il existe de fortes disparités selon les régions du monde, avec les résultats les plus positivement marqués en Asie et en Afrique subsaharienne en contraste fort avec une régression observée au Moyen Orient et en Afrique du Nord. L’allaitement (en l’absence d’accès aux tests et aux traitements antirétroviraux des mères) est identifié comme cause principale des transmissions. Le manque de moyens, de volonté politique et la stigmatisation des mères sont responsables de la forte mortalité globale des enfants infectés-es par le VIH : un-e sur cinq ne survit pas au-delà de son deuxième mois de vie. Il est donc urgent d’agir en direction des enfants, et particulièrement dans la poursuite de l’objectif d’élimination du sida. Sur les trois « 95 » nécessaires pour y parvenir, il existe un gap important entre enfants et adultes pour deux d’entre eux : seuls, 66 % des enfants connaissent leur séropositivité contre 91 % des adultes, et 84 % des enfants sont en situation de suppression virale (charge virale indétectable) contre 94 % des adultes. L’enjeu de rattraper ces retards de tests et de couverture de traitements ARV auprès des mères et des enfants est donc capital dans la lutte contre l’épidémie. En soulignant que « les antirétroviraux seuls ne suffisent pas à traiter le VIH », la scientifique évoque le rôle incontournable des communautés dans la réponse contre le VIH en termes de soutien, d’éducation, et d’accès à la santé.
Le caractère essentiel de l’action communautaire a été d’autant plus appuyé dans la présentation efficace et habitée de Richard Angell, le directeur général du Terrence Higgins Trust. Ce dernier a remplacé Kate Nambiar, dont le vol a été annulé. Le nom du Terrence Higging Trust ne vous est peut-être pas inconnu puisqu’il s’agit d’une des associations caritatives britanniques les plus importantes d’Europe. Fondée en 1982, le Terrence Higgins Trust a joué un rôle primordial en tant que première association britannique créée en réponse au VIH. Elle tient son nom de Terrence Higgins, une des premières personnes décédées des suites du sida au Royaume-Uni. Aujourd’hui, cette structure lutte activement contre le VIH à travers ses actions de plaidoyer au sein de groupes de travail parlementaires, et d’actions sociales. Selon Richard Angell, la plus-value et l’efficacité des actions reposent sur l’identification des déterminants sociaux conditionnant l’accès aux soins et à de bonnes conditions de vie pour les personnes. Cette connaissance fine des populations clés explique aisément l’importance de l’approche communautaire, mais elle appelle surtout à une intersectionnalité de la lutte. Ainsi, de nombreux partenariats forment un terreau d’innovation, comme un service d’aide alimentaire aux PVVIH (The Food Chain), des consultations en santé initiées par intelligence artificielle ou bien à la création d’un service de santé par et pour les personnes transgenres. À la fin de son intervention, Richard Angell rejoint le constat d’Anna Turkova : la lutte contre l’épidémie, victime des mesures d’austérité, est sous financée et cela concerne particulièrement les activistes et les travailleurs-ses sociaux-les.
L’intervenante suivante Olga Gvozdetska directrice générale du Centre de santé publique d’Ukraine, démontre que les difficultés matérielles ne sont toutefois pas une fatalité. La présentation commence avec le lourd bilan matériel et humain causé par la guerre d’invasion menée par la Russie depuis 2022. Les dommages causés à l’Hôpital National sont estimés à sept milliards de dollars. Les conséquences sont multiples sur la population avec la restriction des libertés, d’accès à l’énergie et à la nourriture et à la santé. En ce qui concerne, l’accès aux ARV, la population concernée y ayant accès est passée de 130 000 à 118 000 en quelques semaines du fait de la destruction ou de l’occupation des centres de santé dédiés au VIH et de l’absence de stocks. En termes de santé publique et en particulier concernant le VIH, la tuberculose et les hépatites virales, l’Ukraine a frôlé la catastrophe. Cependant, le soutien de la communauté internationale (notamment par le programme d’urgence américain PEPFAR et le Fond Mondial) et la réaction politique ont permis une réponse rapide et efficace qui s’est traduit par un véritable sursaut en termes de santé publique. Les chiffres sont évocateurs : de deux centres de santé localisés dans les grandes villes, la délocalisation a permis de déployer 344 centres répartis sur l’ensemble du territoire. Cette mesure a permis de rétablir une continuité de délivrance des antirétroviraux et de limiter les ruptures de traitements. L’amélioration de la couverture a permis de limiter les cas de transmissions de la mère à l’enfant au niveau d’avant la guerre (entre 8,8 et 11,7 cas pour 100 000 naissances annuellement) et de maintenir le taux de succès virologiques au-dessus de 95 % entre 2021 et 2023. Le suivi médical des Ukrainien-e-nes migrants-es a été évoqué et a donné l’occasion pour Olga Gvozdetska de remercier les pays ayant accueilli massivement les personnes concernées tels que l’Allemagne et la République Tchèque. L’action des communautés n’est pas ressortie particulièrement lors de cette intervention officielle. Cela interroge d’autant plus que l’association ukrainienne 100 % Life (membre de Coalition PLUS), est présente à la conférence et que son action pour le maintien de la délivrance des traitements ARV dans le pays a déjà été récompensée d’un prix à la conférence AIDS 2022 de l’IAS à Montréal. C’est finalement davantage la résilience de la société ukrainienne au sens large qui a été mise en avant ici. Sur l’ensemble des présentations, il est indéniable que la plus-value de l’action communautaire ait été mise en avant et argumentée. Toutefois, il semble que le contenu des interventions n’a pas fait justice au titre de la session, tant les personnes qui composent ces communautés semblaient absentes ou seulement évoquées de manière assez abstraite.
En revanche ce qui ressort, c’est que les communautés sont tout autant une force d’action que la solution même de la lutte contre l’épidémie. Ce principe trouve sa force dans les résultats de la coopération avec la société civile, les leaders-ses politiques et les chercheurs-ses, mais son plein potentiel ne peut être atteint lorsque les moyens sont insuffisants. Cela a d’ailleurs été brillamment illustré lorsque, suite à l’intervention d’Anna Turkova, un groupe d’activistes a investi la scène en blouse blanches afin de réaffirmer l’expertise des communautés, palliant ainsi au sentiment de manque de visibilité des personnes engagées dans la lutte (voir plus haut). Même si les crises politiques et climatiques nous éloignent de l’objectif d’élimination du sida pour 2030, la lutte contre le VIH ne saurait être défaite grâce à la résilience des communautés. Et comme l’a souligné le modérateur Atul Gawande (USAID) en clôturant cette plénière, c’est la raison pour laquelle les personnes doivent être la priorité numéro un et non pas les virus, car elles sont bien plus que leur dossier médical et ont un rôle principal à jouer.
« La cupidité de Gilead tue ! Brisez les brevets ! »
Une certaine effervescence règne dans le Global Village. Une cinquantaine de militants-es du monde entier se sont donné rendez-vous à midi, munis-es de pancartes. On peut lire « La cupidité de Gilead tue ! Brisez les brevets ! » ou encore « Lénacapavir en générique maintenant », « Accès au lénacapavir pour tous-tes », « 40 dollars », etc.
L’action est en lien avec l’annonce d’hier : le fameux lénacapavir de Gilead (Prep en deux injections par an) qui coûte 40 000 dollars par personne, chaque année, devrait tomber autour de 40 dollars en version générique, selon une estimation calculée par des chercheurs-ses. Au moment de l’action, un communiqué est envoyé à la presse : « Aujourd'hui, lors de la conférence AIDS 2024, une coalition d'activistes a appelé à une action mondiale immédiate pour briser le monopole de Gilead sur le lénacapavir. Cette action est en réponse à de nouvelles données montrant que le lénacapavir générique peut être produit à un prix mille fois inférieur au prix de Gilead de 42 250 dollars par an. Avec la production de masse, les coûts pour le lénacapavir générique sont estimés à 100 dollars par an au départ, avec des réductions supplémentaires à 40 dollars par an à mesure que la demande augmente. Une efficacité de 100 % exige un accès de 100 % », a déclaré Asia Russell de Health GAP, une organisation mondiale de plaidoyer contre le VIH. « Le lénacapavir pour la prévention du VIH est une intervention potentiellement capable de mettre fin à l’épidémie de VIH. Gilead a une longue histoire dans le fait de saper l'accès mondial, en excluant les pays à revenus intermédiaires des accords de licence volontaire et en restreignant artificiellement les pays licenciés. Par conséquent, nous appelons les gouvernements à briser le monopole de Gilead en émettant des licences non volontaires partout où les brevets de Gilead constituent une barrière ». « Le lénacapavir pourrait changer la vie des personnes à risque de contracter le VIH et pourrait inverser l'épidémie s'il est rendu abordable dans les pays ayant le taux le plus élevé de nouvelles infections », a déclaré Dr Helen Bygrave (Médecins sans frontières).
© Michael Kessler et Fred Lebreton
« Honte ! Honte ! Honte ! », « Les personnes au-dessus des profits », scandent les militants-es, en arrivant au stand de Gilead. Malheureusement, aucun responsable de la firme américaine n’est présent pour leur répondre. Les quelques salariés-es présents-es sur le stand filment la scène avec leurs téléphones portables et semblent presque amusés-es de la situation… Et pourtant, c’est une page importante de la lutte contre le VIH qui se joue sous nos yeux en ce moment. Avec deux injections par an, le lénacapavir en Prep est ce qui se rapproche le plus d’un vaccin VIH. Faire pression sur l’industrie pharmaceutique pour donner un accès équitable aux traitements à tous-tes a toujours fait partie intégrante de l’ADN de l’activisme sida. L’action d’aujourd’hui est donc non seulement légitime mais nécessaire.
Innovative RandD for the future of women’s prevention
Dans le monde, 44 % des nouvelles infections au VIH concernaient des femmes et des filles (toutes tranches d’âge confondues) en 2023. En Afrique subsaharienne, cette population représentait 62 % des nouveaux diagnostics de VIH. Des réalités biomédicales, mais aussi des inégalités sociales systémiques et des stratégies d’implémentation déficientes sont à l’origine de cette situation épidémique.
Lors d’une session sur la recherche et le développement d’innovations de prévention pour les femmes, la chercheuse sud-africaine Thesla Palanee-Phillips a présenté le programme MATRIX (Microbicide R&D to Advance HIV Prevention Technologies through Responsive Innovation and eXcellence), porté par l'USAID (l’Agence des États Unis pour le développement international). Alors que l'Afrique représente 18 % de la population mondiale et 25 % de la charge mondiale de morbidité liée au VIH, moins de 3 % des essais cliniques de phase précoce se déroulent en Afrique. Le programme vise à remédier à ces lacunes en déployant des essais de phase 1 dans les pays du sud sur des sujets concernant les femmes. En plus d’un recueil de données cliniques essentiel pour le développement de produits adaptés aux particularités biologiques des femmes, MATRIX permet aux chercheurs-ses des pays concernés et à leurs équipes d'acquérir de l'expérience dans la conduite de ces études complexes.
La recherche et le développement de nouveaux produits de santé constituent un maillon essentiel de la lutte contre le VIH/sida. Pour autant, Sharon Hillier, médecin directrice de la recherche sur les maladies infectieuses reproductives à l’hôpital pour femmes de Pittsburgh (États Unis), a rappelé qu’une démonstration de la sûreté et de l’efficacité du produit n’est pas suffisante pour déployer un nouvel outil de prévention. En fonction de leurs parcours de vie, les femmes ont différents besoins et préférences : double action (protection IST/VIH et contraceptif), facilité et discrétion d’usage, prise à la demande, produit à longue-durée d’action, etc.
Aujourd’hui, un éventail d'options de prévention du VIH sont disponibles sur le marché ou ont vocation à l’être (très) prochainement : la Prep orale, les anneaux vaginaux, les Prep injectables long-acting. Pourtant, là encore d’autres critères que la disponibilité sur le marché sont à prendre en compte afin d’en permettre un accès effectif aux femmes vivant dans des pays du sud ou qui en sont originaires et vivent ailleurs. Le prix, la disponibilité, les modalités de distribution du médicament impactent également son accessibilité (matérielle, géographique, sociale). Nous avons besoin de données sur les choix, les perceptions, les compréhensions des personnes que nous souhaitons atteindre avec un nouvel outil. Cela fait écho à notre plaidoyer pour la mise en place de stratégies d’implémentation de la Prep injectable à longue durée d’action.
Les intervenants-es de la session concluent ainsi sur le besoin de davantage de collaboration entre la recherche, l’industrie et les autorités (administratives législatives et politiques). C’est ensemble que ces protagonistes peuvent penser de nouvelles approches visant à accélérer la recherche, le développement et le déploiement de nouvelles options de prévention du VIH. Il reste des efforts à fournir pour identifier et développer des options prometteuses, pour impliquer stratégiquement toutes les parties prenantes, pour décoloniser la R&D et pour impliquer les utilisateurs potentiels dans toute leur diversité tout au long du processus.
Un Positive lounge pour les PVVIH
Depuis 20 ans, l’IAS et sa conférence AIDS proposent aux personnes vivant avec le VIH un espace qui leur est dédié. Le Positive lounge, accessible pour toutes PVVIH, propose un espace de détente, de relaxation. On peut y trouver des séances gratuites de massages, ainsi qu’un espace de boissons/rafraichissements avec de la musique relaxante pour prendre soin de soi durant la conférence. Cet endroit régit par des règles simples, mais essentiels (respect de la confidentialité, partage et temps chill) propose aussi des ateliers créatifs et un espace photo. Le positive Lounge est chaleureusement animé par des volontaires activistes de la lutte contre le VIH à même de comprendre les besoins spécifiques des personnes vivant avec le VIH.
Quand les démocraties s’endettent envers les femmes trans
Le rapport « La deuda de la democracia » (la dette de la démocratie), coordonné par le Centre de documentation et situation des personnes trans en Amérique Latine et dans la Caraïbes (CeDoSTALC) tend à « refléter les violations de droits humains dont souffrent les personnes trans en Amérique Latine et dans la Caraïbe », selon Marcela Romero, coordinatrice régionale de la RedLacTrans (Le Réseau Latino-Américain et de la Caraïbe des personnes trans). Depuis 2016, cinq rapports se sont succédé pour mettre en exergue les difficultés en termes de droits subies par les femmes trans dans la région. Pour l’année 2023, les chiffres font froid dans le dos : 36,55 % des cas de violations de droits enregistrés concernent des discriminations ; 19,03 % des assassinats ; 15,63% des coups reçus ou des agressions physiques et 10,51 % des intimidations ou des menaces.
Construits sur la base d’une compilation de données nationales puis régionales collectées par des organisations défendant les droits des personnes trans, ces rapports permettent de comprendre dans quelle mesure les contextes sociopolitiques dans lesquels elles évoluent leur sont préjudiciables. Pourtant, la CIDH (Cour Interaméricaine des Droits humains) a rendu en 2017 un avis consultatif (OC-24/17), affirmant que l’orientation sexuelle, l’identité et l’expression de genre ne pouvaient constituer des motifs justifiant un traitement différencié en termes d’accès aux droits. Malgré cette décision, de nombreux pays du sous-continent, pourtant signataires de la Convention, continuent d’opposer aux personnes trans des lois et des pratiques profondément discriminantes. Ces contextes sociopolitiques sont largement défavorables à la santé, et notamment la santé mentale, des personnes trans. Selon la cohorte TransCITAR (effectif de 480 personnes, dont 404 femmes) en Argentine, 32,9 % des femmes interrogées présentent des symptômes dépressifs, 25 % ont fait des tentatives de suicides et 25,2 % présentent des signes d’automutilation.
Stacy Velasquez Vásquez, directrice exécutive de OTRANS-RN, référente nationale au Guatemala pour RedLacTRANS et experte du Fond mondial pour les populations clés, est revenue lors de la session « Naviguer dans l'intersectionnalité de la santé des personnes transgenres » sur ces chiffres et plus particulièrement sur le cas des pays d’Amérique Centrale. Au Guatemala, la marche des Fiertés, initialement prévue le 28 juin dernier, a été interdite par la Cour constitutionnelle au motif de ne pas « exposer les enfants » et de « faire appel aux valeurs morales et spirituelles ». Aussi, alors qu’un plan spécifique relatif aux soins à destination des personnes trans (Estrategia de Atencion Integral y Diferenciada en Salud para Personas Trans en Guatemala 2016-2030) a été adopté, le niveau de discriminations et rejets subis reste important. Chez le voisin hondurien, le gouvernement a enchaîné les promesses suite aux sanctions de la Cour Interaméricaine des Droits Humains après l’assassinat de Vicky Hernandez, jeune femme trans, séropositive, TDS et activiste en faveur des droits des personnes trans. Pourtant, 93 personnes LGBTQ+ ont été assassinées entre 2022 et 2023. De nombreux cas de licenciements de personnes issues de ces communautés, sans justification, sont également dénoncés, même au sommet de l’État. Enfin au Salvador, le ministre de l’éducation nationale, José Mauricio Pineda, se targuait que « toute utilisation ou toute trace de l'idéologie du genre a été supprimée des écoles publiques ». Il va sans dire que l’ensemble de ces restrictions et la persistance de ces discriminations constituent un climat particulièrement hostile à l’égard des personnes trans.
Le chemin vers l’accès effectif aux soins et aux droits, sans discrimination fondée sur l’identité de genre est encore long. Cependant, grâce à l’expertise des personnes issues des communautés, de leur capacité à s’organiser à l’internationale, de documenter les cas de violations de droits subies par elles-mêmes et leurs paires, nous savons où et comment agir. À l’image du thème de cette conférence, il est plus que nécessaire de continuer à valoriser, soutenir et financer les expertises communautaires qui s’organisent de toute part pour faire valoir leurs droits.
DOSSIER À SUIVRE DANS LE QUATRIEME EPISODE JEUDI 25 JUILLET 2024
Discours de Camille Spire, présidente de AIDES, à l’inauguration du stand France
En ce mardi matin, le stand France était inauguré à la conférence de Munich. À cette occasion, Camille Spire, présidente de AIDES, a prononcé un court discours. Le voici en intégralité :
« Madame l’Ambassadrice pour la santé mondiale, Anne-Claire Amprou, Monsieur le représentant du ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités, Bertrand Millet, Monsieur Éric Fleutelot, directeur technique de L’Initiative, Monsieur Yazdan Yazdanpanah, directeur de ANRS-MIE. Je voudrais tout d’abord vous remercier Mme l’ambassadrice pour votre présence à cette conférence.
En tant qu’association représentant les intérêts des PVVIH et des personnes vulnérables à l’infection à VIH, nous sommes heureux-ses de pouvoir participer à l’inauguration de ce stand France. Par notre présence, nous voulions souligner l’intérêt de toujours associer les communautés concernées. Les communautés ont du s’octroyer une place aux conférences de l’IAS. Une place qui n’était pas automatique. Une place qui n’a pas été facile à revendiquer. Une place qui nécessite encore qu’on se batte pour la conserver.
L’édition 2024 de l’IAS a pour thème « Putting People First ». Bien sûr, mais pas pour faire de la figuration. Pour ne pas que ce « slogan » reste théorique, cela implique le financement de la santé communautaire, des personnes qui mettent en œuvre la démarche communautaire en santé. « Show me your budget and i’ll show you your priorities », rappelait Joe Biden. Non pas pour financer des organisations, mais parce qu’il est nécessaire que les personnes qui mettent en œuvre la démarche communautaire en santé sur le terrain, aussi bien en France qu’à l’international, soient correctement rémunérées et ne vivent pas dans la misère.
Parce que la co-construction des politiques publiques avec les acteurs-rices qui mettent en œuvre la démarche communautaire en santé est une approche efficace qui a fait ses preuves. Nous pouvons d’ailleurs nous féliciter de cette collaboration dans le cadre du travail sur le Fonds mondial, sur la stratégie française en santé mondiale ou également avec l’expérimentation des CESSAC (centres de santé sexuelle d’approche communautaire). Nous garderons ce même niveau d’exigence en termes d’inclusion des communautés.
Notre rôle en tant qu’association, c’est de garantir que les communautés soient entendues et de défendre leurs intérêts. É ce titre, je suis très fière des EGPVVIH que nous avons organisés avec Sidaction et la participation de nombreuses autres associations et dont la première restitution a été présentée dans la foulée au ministère de la Santé. Nous veillerons à ce que la parole collective des PVVIH qui s’est exprimée lors de ces états généraux ne soit pas ignorée.
Afin de s’assurer que les PVVIH, que les personnes vulnérables à l’infection à VIH ne soient pas oubliées, que les financements en direction des communautés soient délivrés, je ne peux m’empêcher de relever, Madame l’Ambassadrice, que le chancelier Olaf Scholz, dans son discours, hier, a déclaré que l’Allemagne maintiendrait son niveau de contribution au Fonds mondial (contrairement à ce que le gouvernement allemand avait indiqué auparavant). Alors qu’en est-il de la France, Madame l’Ambassadrice ? La France sera-t-elle à la hauteur ? Car de grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités, un formule au choix d’Harry Potter ou Spiderman. »