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    Remaides 106 : disponible

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    couverture remaides 106Les uns-es parlent de « prostitution » ; les autres de « travail du sexe ». Le choix des termes, lui-même, en dit déjà long sur la différence de conception que l’on peut se faire d’un même sujet et du traitement qu’on entend lui appliquer. Cette différence n’est pas si anecdotique, elle est au cœur même du débat, ouvert depuis les années 2000 entre les partisans-es de l’abolition de la prostitution et celles et ceux qui s’y opposent. Le 13 avril 2016, la France adoptait, au terme de très longs débats, une proposition de loi (PS) « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ». Un texte très critiqué en amont de son adoption et qui l’est encore aujourd’hui. La responsabilité en incombe au gouvernement et à la majorité d’alors qui - en dépit des mises en garde et des arguments – n’ont vu dans le travail du sexe qu’un tout homogène auquel il fallait proposer une solution unique : l’abolition. Et au moyen d’une seule et unique stratégie : la pénalisation des clients-es. L’idée étant que pour tarir l’offre, il fallait interdire la demande. Plus de clients, plus de prostitution ! La loi comportait, en outre, des mesures d’accompagnement de sortie de la prostitution à l’ambition très mesurée.  Au final, la France se dotait d’une loi profondément déséquilibrée, peu regardante sur les droits des personnes, obtuse quant aux conséquences sur la santé, surtout pour ce qui  concerne la lutte contre le VIH et les hépatites virales. Deux ans plus tard, plusieurs associations (1) collaborent avec deux chercheurs-euses (2) pour dresser le bilan de cette loi. « Tous les voyants sont au rouge », indique leur enquête nationale (3) menée directement auprès des premières et premiers concernés : les travailleurs-euses du sexe. Augmentation des violences, exercice de l’activité de plus en plus dangereux, détérioration des relations avec les forces de police, stigmatisation du travail du sexe, amplification des prises de risque pour la santé, plus grande difficulté à négocier la prévention, recul du préservatif, etc. On croule définitivement sous les mauvaises nouvelles. Cet état des lieux collectif, s’appuyant sur une méthodologie rigoureuse, est contesté par les partisans-es de l’abolition ; lesquels, à grande renfort de caricature, s’efforcent d’en faire passer les auteurs-es pour les bénéficiaires du « système prostitutionnel ». Ils parlent même de nous comme d’associations « prétendument de santé » !
    Mais quel bilan dressent-ils eux-mêmes de cette loi ? Mystère. L’État, lui-même – alors que la loi Prostitution le prévoit explicitement (4) – n’a toujours pas publié son propre bilan. Pas de chiffres officiels ; aucune analyse, rien ! A partir de nos observations de terrain, nous disons que cela va mal. Eux se taisent.

    Au regard de ces constats accablants, il est décidé collectivement (5) de former un recours devant le Conseil d’État. Il vise à transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel, au sujet de cette loi. Le 12 novembre dernier, nous avons donc eu le feu vert de la haute juridiction administrative, qui accepte que la QPC soit transmise au Conseil constitutionnel. Ce dernier doit rendre son avis fin janvier 2019. Il dira si une partie de la loi adoptée en avril 2016 est conforme, ou non, aux droits et libertés garantis par la Constitution et si la pénalisation des clients-es doit être abrogée. Cette démarche – que le droit permet -lancée à l’initiative de travailleurs-euses du sexe, d’associations de santé et de défense des droits des travailleurs-euses du sexe fait l’objet de critiques (6). Elles sont le fait de certains-es parlementaires. Ces critiques sont, une fois encore, caricaturales et outrancières et, c’est assez logique, marquées du sceau de l’idéologie coercitive qui sous-tend la loi actuelle. Une fois encore, les parlementaires qui en sont à l’initiative font de la prostitution un tout homogène, nécessairement criminel. Les opposants-es à l’abolition – dont nous faisons partie -  n’ont jamais ignoré, ni minoré l’existence d’une prostitution subie pouvant être liée au trafic d’êtres humains. D’ailleurs, nous demandons que les moyens soient mis pour une lutte effective contre la traite et l’exploitation des êtres humains. Mais pour important, dramatique et grave qu’il soit, le phénomène ne résume pas la réalité et la diversité du travail du sexe tel qu’il existe. C’est l’État lui-même qui s’est enferré dans une vision monolithique, posant un mauvais diagnostic, apportant les mauvaises réponses, ignorant les conséquences néfastes de ses choix. Il a souvent été dans l’incapacité de dénommer très simplement la réalité des choses. Il n’a pas entendu, encore moins écouté les premiers-ères concernés, les cantonnant toutes au rang de victimes. Il a balayé et souvent méprisé leurs demandes. Les arguments de la raison n’ont eu aucun effet. Restent désormais ceux du droit. Nous serons fixés fin janvier.
    Aurélien Beaucamp, président de AIDES

    Notes de bas de page :
    (1) : Médecins du Monde, Grisélidis, Cabiria, Paloma, Les Amis du bus des femmes, Collectif des femmes de Strasbourg Saint-Denis, Acceptess-T, le Planning familial, AIDES, le Strass, Arcat.

    (2) : Hélène Le Bail et Calogero Giametta.

    (3) : Que pensent les travailleurs-euses du sexe de la loi prostitution ? Enquête sur l’impact de la loi du 13 avril 2016 contre le « système prostitutionnel ».

    (4) : Article 22 : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032396046&categorieLien=id

     

    (5) : Médecins du Monde, Fédération parapluie rouge, Strass, Les Amis du bus des femmes, Cabiria, Griselidis, Paloma, AIDES, Acceptess-t, et des travailleurs et travailleuses du sexe.

    (6) : « Parce qu'il n'y a pas de prostitution heureuse, la loi doit continuer de la combattre », par Laurence Rossignol, Annick Billon, etc. Huff Post, 12 décembre 2018.
     

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