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    Le numéro 122 de REMAIDES est disponible en ligne !

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    Remaides magazine VIH AIDES numéro 122HACHÉES !

    Contestée, la précédente réforme des retraites — celle du gouvernement d’Édouard Philippe, en 2019 —, avait pour ambition de proposer une refonte systémique, en instaurant la retraite par points. La crise sanitaire de la Covid-19 a eu raison du projet. Il a été définitivement abandonné par l’actuelle majorité. Trois ans plus tard, à la suite d’une élection présidentielle et de législatives chahutées, l’exécutif remet l’ouvrage sur le métier. Cette fois, la réforme est paramétrique. C’est-à-dire qu’elle fait uniquement bouger les paramètres des différents régimes pour réduire les déficits et trouver des financements complémentaires. Il est possible de jouer sur la durée de cotisation (ce qui a été fait quatre fois entre 1993 et 2014), sur l’âge légal de départ (une fois en 2010) ou sur les taux de cotisation (trois entre 2003 et 2014). Au total, entre 1993 et 2014, le système a changé huit fois ; comme quoi ce pays n’est pas si immobile que cela sur la question.

    La dernière réforme en date, celle proposée par le gouvernement d’Élisabeth Borne, entend reporter de deux ans, à 64 ans, l’âge légal de départ à la retraite.
    Elle vise aussi à accélérer le relèvement du nombre de trimestres nécessaires à une retraite à taux plein — la nouvelle réforme exige 43 ans de cotisation, soit 172 trimestres. Elle envisage également un certain nombre de mesures d’accompagnement social visant à compenser l’effort demandé aux Français-es ; effort dont le gouvernement ne disconvient pas. On connaît désormais l’état des forces en présence et les arguments de soutien et d’opposition au texte, encore que ceux-ci évoluent au gré des interventions des uns-es et des autres. Ces dernières semaines, réactions, analyses, tribunes, propos d’estrade et points de vue, individuels ou collectifs se sont multipliés, dessinant une ambition et un objectif : celle d’un exécutif estimant tenir, là, le Graal de sa volonté réformatrice, et celui d’une opposition y voyant une chance d’en finir avec l’équipe gouvernementale actuelle. Le schéma n’est pas nouveau. Et l’on peut avoir l’impression de revoir (revivre !) la même pièce, avec un nouveau casting.

    Pourtant, il y a un autre changement… cette fois, côté dialogues. On le voit à la multiplicité des réactions de collectifs qui mettent en avant les spécificités de certains groupes de personnes ; spécificités qu’une réforme paramétrique peine manifestement à prendre en compte. Le 18 janvier, Politis publie une tribune signée par des artistes et intellectuels-les qui estime, entre autres griefs, que la future réforme pénalise les femmes « qui ont les carrières les plus aléatoires, suspendues, contraintes aux temps partiels, souvent imposés ». Quelques jours plus tard, le ministre Frank Riester admet que les femmes seront « un peu pénalisées » par la réforme. C’est ensuite la première ministre, elle-même, qui explique le contraire, estimant que la réforme réduira « les inégalités inacceptables entre les femmes et les hommes au moment de la retraite ». « Nous protégeons les femmes qui ont des carrières incomplètes et hachées, les femmes qui ont commencé à travailler tôt, les femmes qui ont des petites pensions », a-t-elle défendu à l’Assemblée nationale. Quelques jours avant, le collectif « Les inverti.e.s », large panel d’organisations et de personnalités LGBTQI+, publie sur Mediapart et sur le site tetu.com, un texte qui appelle à une « retraite radieuse des LGBTI ». Le texte, opposé à la réforme, entend mettre en évidence le caractère « néfaste pour les LGBTI » de la réforme, car les LGBTI sont « encore plus vulnérables que le reste de la population face à la vieillesse ». Les causes en seraient multiples : isolement à cette étape de la vie, rejet de la part des familles, longue privation du droit de créer une famille, d’adopter, de se marier, hostilité du monde du travail aux personnes LGBTI, etc. Cette tribune souligne la superposition de discriminations qui seraient autant d’entraves ; comme le fait d’être femme et lesbienne, par exemple. Le texte mentionne le VIH, rapidement, pour expliquer que l’épidémie a empêché de nombreuses personnes d’arriver à la retraite.

    C’est dans la tribune des Actupiennes, publiée en marge des manifestations du 19 janvier, que sont exposées les craintes qu’inspirent la nouvelle réforme pour les personnes vivant avec le VIH ou d’autres pathologies chroniques graves. Le texte rappelle que certains parcours professionnels ont été hachés ; que des personnes ont été « trop souvent en arrêt de longue maladie », parfois « orientées vers des dispositifs de remplacement financier inadaptés ». « Nous n’avions pas pensé aux ruptures de droits dans le maquis de la protection sociale », expliquent les auteurs-rices du texte. La perspective pour nombre de ces personnes est connue. « C’est l’ASPA [allocation de solidarité aux personnes âgées, ndlr] qui se profile jusqu’à la fin de notre vie, soit 953 euros/mois, nous sommes et serons en dessous du seuil de pauvreté », affirment-ils-elles.

    Ces différentes tribunes — toutes n’ont pas été évoquées, ici — illustrent la complexité du débat, révèlent les angles morts du texte actuel, soulignent la limite technique d’une réforme paramétrique qui aura, inévitablement, ses gagnants-es et ses perdants-es. En février, le travail parlementaire battra son plein. Il est à espérer que les spécificités des parcours et des situations seront prises en compte, afin d’instaurer une réforme qui soit considérée par le plus grand nombre comme juste et équilibrée. Faute de cela, il est à craindre que les personnes oubliées ne finissent comme leurs carrières, hachées !
     

    Jean-François Laforgerie,
    Coordinateur de REMAIDES

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