Je fais un don

    Yassin Chekkouh : « C’est le silence autour du VIH qui fait qu'on donne une arme aux autres pour nous frapper »

    • Remaides
    • 18.12.2023

    yassin chekkouh portrait

    © Nina Zaghian

    Par Fred Lebreton

    « C’est le silence autour du VIH qui fait qu'on donne une arme aux autres pour nous frapper »

    20 juin 2023, c’est en cette veille d’été et sous une chaleur orageuse que nous retrouvons Yassin Chekkouh au parc des Buttes-Chaumont dans le nord-est de Paris. Coach sportif, mannequin et activiste dans la lutte contre la sérophobie, le jeune homme de 31 ans impressionne par son physique d’athlète. Reprendre le contrôle sur son histoire avec le VIH. Reprendre le contrôle sur son physique. Yassin est fier de son parcours, qu’il partage aujourd’hui avec nous. 

    Remaides : Revenons en arrière, avant le VIH. Quelle a été votre expérience de l’homophobie dans votre jeunesse ?

    Yassin Chekkouh : J’ai grandi à Stains, une ville de la banlieue parisienne dans le 93. Très jeune, j’ai réalisé que j’étais gay et ce n’était pas facile dans mon environnement familial. J'avais trois frères très hétéros qui adoraient le foot, les jeux de combats, etc. Et moi, dès l’enfance, je me sentais différent d’eux, plus doux, plus sensible. Mes parents sont algériens. Ils ont grandi en Kabylie et ils ont immigré en France, quand ils avaient 18 ans. Ils sont musulmans pratiquants et au moment où j’ai fait mon coming out, mon père était imam. L'homophobie, avant même de la ressentir dans la vie ou à l'école, je l'ai ressentie dans mon foyer. Mon grand frère, avec qui j'ai dû arrêter toute relation pendant de nombreuses années après mon coming out, était très homophobe. Il me harcelait au sujet de l’homosexualité avant même que je réalise mon attirance pour les garçons. La véhémence de l'homophobie de mon frère, c'est surtout ça qui m'a marqué quand j'étais jeune. Il parlait de mon homosexualité avec des mots extrêmement crus et violents. Il disait « tafiole », « pédé », « tarlouze ». Cette homophobie intra familiale m’a beaucoup marqué, à tel point que, quand j'ai fait mon coming out auprès de ma mère, je n’ai pas réussi à prononcer le mot « gay ». Je lui ai juste dit que mon frère avait raison sur moi. Heureusement, aujourd'hui, ça s'est un peu adouci avec le temps. Mon frère a muri et de toute façon, on s'est tellement éloignés qu'on a pris plus de distance par rapport à tout ça. Mais plus jeune, je me demandais vraiment comment j'allais pouvoir grandir. À quoi allait ressembler mon avenir ou si j'allais avoir un avenir tout court ? C'était très angoissant. Je me disais même que le plus simple serait de mentir, me trouver une femme et mener une double vie. Parce que pour moi, c'était impossible de faire mon coming out et que mes parents l'acceptent. 

    Remaides : Comment a réagi votre famille suite à votre coming out gay ?

    À 20 ans, après ma séparation d’avec mon premier mec, j'étais au fond du trou, dans ma chambre, dans le noir. Je ne parlais pas. J'étais vraiment mal. Ma mère, avec qui j'étais très proche, a voulu comprendre ce qui se passait. Elle me disait : « Parle-moi, dis-moi ce qui ne va pas ». J'étais dans un état second. Je me disais que c'était le meilleur moment pour le faire. En réalité, je ne sais pas s’il y a vraiment UN meilleur moment. Ma mère était choquée par cette annonce et elle est restée longtemps dans le déni, puis elle l’a dit à mon père. Et lui m'a dit une phrase que je n'oublierai jamais : « Il y a deux solutions. Soit, on trouve un remède pour te guérir de ce mal qui t'habite (parce qu'il voyait vraiment l’homosexualité comme un mal démoniaque ou une maladie) ; soit, tu pars de chez moi ». Je suis parti de chez mes parents pendant deux ans. J'ai vécu un peu à droite à gauche. Je n’étais pas SDF, mais je n'avais pas non plus de foyer fixe. J'étais chez des amis. Au final, c'était quand même un mal pour un bien puisque c'est à ce moment-là que j'ai rencontré les personnes qui sont devenues mes meilleurs amis, « my chosen family » [ma famille choisie, ndlr], en quelque sorte. Des personnes queers, avec lesquelles j'ai tout de suite connecté et qui m'ont fait comprendre qu'il n'y avait rien d'anormal chez moi. Quand je suis parti de chez moi, j'étais encore dans une forme de culpabilité où je me disais que ma famille avait peut-être raison. Deux ans plus tard,  mon père m'a recontacté pour que je revienne. Je suis revenu. Mais depuis, c'est toujours un sujet très tabou dans ma famille et encore aujourd’hui, dix ans plus tard, on n'en parle jamais. 

    Remaides : Quelles étaient vos connaissances ou représentations autour du VIH avant votre diagnostic ?

    Comme beaucoup, je pense que j'avais une image datée des années 80, très dramatique et tragique. Ce qu'on peut voir dans certains films. Je ne connaissais pas la différence entre VIH et sida, par exemple. Et pour moi, être séropo, c'était synonyme de mort. À cette époque-là, j'étais presque dans le déni de ma propre homosexualité, alors le VIH/sida, c'était encore autre chose. Je ne me sentais pas concerné et j'étais un peu inculte à ce sujet. Je le dis sans gêne aujourd'hui et je pense que beaucoup de personnes sont encore ignorantes sur le VIH. Mais l’ignorance n’est pas une fatalité, le plus important, je pense, c’est de vouloir apprendre et s'éduquer.  

    Remaides : Comment avez-vous vécu l’annonce de votre séropositivité en 2014 ?

    J’avais 23 ans et je revenais d’un séjour en Thaïlande avec quelques amis. La dernière semaine, j’avais rencontré un Brésilien via Grindr [appli de drague gay, ndlr]. À l'époque, je ne pratiquais pas du tout de sexe sans préservatif et c'était le début de ma sexualité. Mais là, j'étais en vacances, donc en vacances, on se laisse un peu plus aller. Bref, du coup, il se passe ce qui se passe et on le fait sans préservatif. Après coup, je commence à stresser et, de retour en France, le premier truc que je fais c’est de prendre rendez-vous pour faire un dépistage au Checkpoint [centre de santé sexuelle LGBT+ à Paris, ndlr]. J'y vais avec un pote et là, on m'annonce que je suis séropositif. Cette annonce, je ne m’y attendais pas et c’est le drame absolu ! Je m'effondre par terre, je hurle, je pleure. J'avais les cheveux longs à l’époque et la première question que j'ai posée au docteur, c'est « est-ce que je vais perdre mes cheveux ? » Je pensais vraiment que j'allais perdre mes cheveux, que j'allais maigrir ou que j'allais mourir deux ou trois ans plus tard. Heureusement, les médecins m'ont rapidement calmé et m'ont expliqué qu'il y avait des traitements efficaces, mais tout rentrait dans une oreille et sortait par l'autre. Je me disais, mais comment est-ce possible ?  Ça faisait juste deux-trois ans que je venais de faire mon coming-out. Je ne me voyais pas retourner vers mes parents et leur dire que j’étais séropo ! Ça aurait été comme leur donner raison. Donc, le premier truc que j'ai pensé, c'est pourquoi est-ce que ça m'arrive à moi ? Peut-être que mes parents ont raison et que c’est une sorte de punition… J’ai ressenti une forte culpabilité et une honte. Les dix premiers jours qui ont suivi l’annonce, j’ai enchainé les crises de larmes et les insomnies. J’ai vécu la période la plus sombre de ma vie. Et puis, ça te fait prendre dix ans dans la gueule en dix secondes. Moi, j'avais 23 ans à ce moment-là. Tu as un rapport à la mort plus imminent, même si tu sais que tu ne vas pas mourir. On t'annonce que tu as quand même une maladie grave. 

    Remaides : Comment rebondir après une telle épreuve ?

    Heureusement, je connaissais dans mon entourage un mec séropositif qui était un peu plus âgé que moi, qui a commencé à m'emmener dans des conférences, à me présenter à des personnes, à me faire dédramatiser de ce que je vivais, en me disant : « Écoute. Moi, je suis passé par là aussi. Tu n'es pas seul, ça va aller ». Et puis j’ai bien toléré mon traitement et au bout d’un mois ma charge virale était déjà indétectable. Je pense que le fait de m’être fait dépister quelques jours après mon infection a joué dans cette rapidité. Et là, j’ai eu un déclic. Je me suis dit que j’allais devoir apprendre à vivre avec ce virus et que c’était peut-être un signe. Une petite voix intérieure m’a dit : « Reprends-toi en mains ; profites-en pour être quelqu'un de meilleur ». C'est à ce moment-là que j'ai commencé à faire du sport. C'est à ce moment-là que j'ai arrêté de fumer. C'est à ce moment-là que j'ai un peu fait le tri dans les personnes que je fréquentais dont certaines pouvaient être toxiques. Je pense qu'il y avait deux voies à prendre.  Je connais des personnes séropositives qui sont dans l'autodestruction et le déni du VIH. Et l'autre voie, pour moi, c'était de réfléchir un peu à la situation, dédramatiser, élaborer un plan d'action et essayer de tirer le meilleur de cette épreuve. Au final, quand j'y repense aujourd'hui, presque dix ans plus tard, si c'était à refaire, je pense que je referais exactement les choses, de la même façon. Devenir séropositif m'a permis de prendre soin de moi, d’apprendre beaucoup sur moi et sur les autres. L’expérience du VIH m’a rendu militant.

    Remaides : Vous avez déclaré dans plusieurs interviews que les pires insultes sérophobes que vous avez reçu venaient de la communauté gay. Quel impact cette sérophobie a-t-elle eu sur votre vie et votre santé mentale ?

    C'était horrible en fait, parce que moi, quand j'ai fait mon coming out gay, j'avais vraiment cet espoir, un peu naïf peut-être, de rejoindre une nouvelle communauté  acceptante, aimante, tolérante, aux antipodes de ce que j'avais pu connaître dans ma famille, en banlieue ou en Algérie. Et en réalité, j'ai déchanté parce j’ai réalisé que les gays que je croisais, que ce soit sur les applis ou des amis d’amis, étaient souvent les personnes les plus malveillantes par rapport au VIH. Je commençais à être visible sur Instagram. Je fréquentais le milieu de la nuit queer et je pense que cela a attisé une forme de jalousie et de méchanceté. Certains mecs ont su que j’étais séropo et ont commencé à parler dans mon dos. Ils utilisaient mon statut sérologique pour me nuire littéralement. À l’époque, je n’étais pas out en tant que séropo. Sur les applis, je disais que j’étais sous Prep. Il y a tellement de sérophobie sur les applis que c’était une façon de me protéger. Et puis, je n’avais pas envie de déballer mon passé, mon vécu et mon histoire à un plan cul et de toute façon ma charge virale était indétectable. Un jour, un mec vient me parler sur Grindr et quand je lui ai dit que je prenais la Prep, il m’a répondu : « Ah bon, t'es sûr ? Laisse-moi te raconter une histoire… C'est l'histoire d'un mec qui part en Thaïlande, qui rencontre un Brésilien sur une plage… ». Non seulement le mec savait que j’étais séropo, mais il connaissait tous les détails de mon histoire ! Je me souviens que j'étais au travail et j'ai dû m'asseoir car je faisais une crise d'angoisse. J’ai réalisé que ma séropositivité était devenue un sujet de commérage alors que j’essayais désespérément de contrôler qui était au courant ou pas. Une autre fois, j’étais en soirée avec mon ex, qui était un chanteur un peu connu. On discute avec un mec super sympa et à peine partis, le mec en question va voir le manager de mon ex et lui dit : « Il faut absolument que tu préviennes ton artiste, que Yassin a le sida et qu’il est dangereux ». Autre exemple, quand je postais une photo de moi avec un mec sur Insta, une fois sur deux le mec recevait un message privé du genre : « Fais gaffe, il a le sida ! ». On me collait une étiquette « sida » sur le front sans avoir le courage de m’en parler en face et sans même utiliser les bons termes. J’en étais arrivé à un stade où c'était devenu vraiment trop lourd à porter et je commençais à devenir parano. Je n’osais même plus faire de nouvelles rencontres, parce que je me disais que rencontrer quelqu'un, ça veut dire potentiellement me faire outer, retraverser des trucs que je n'ai pas envie de revivre. J’ai subi une forme de chantage au VIH de la part de certains mecs gays. Ils utilisaient mon VIH comme une arme de nuisance. J’aurais aimé avoir plus d’empathie et plus d’humanité de la part de ma propre communauté. 

    « J’avais deux options : soit, j’étais out et fier et je pouvais vivre heureux et libre ; soit, je restais dans le placard de la honte et du secret et je plongeais dans la plus grande des dépressions. J’ai choisi de bomber le torse, de me battre et d’être fier !  »

    Remaides : Le 15 juin 2020, vous postez un long message sur Instagram pour « sortir le VIH du placard ». Qu’est-ce qui a motivé ce coming out VIH public ?

    Plusieurs raisons. Il y avait d’abord ce poids du secret qui me rongeait et cette forme de chantage dont j’étais victime. J'avais des rapports qui étaient de plus en plus compliqués  quand je rencontrais de nouvelles personnes. Parce que je me fermais, je n'étais pas vraiment moi-même. Avec le temps, je ne savais plus à qui je l’avais dit ou pas. Je me perdais dans mes mensonges. J’étais dépassé et je sentais que je perdais le contrôle de la situation. Et puis un jour, un évènement assez cocasse m’a donné le déclic. On avait un chat dans ma famille qui s'appelait Stuart. Ce chat s’est perdu pendant quelques jours et quand on l’a retrouvé, le pauvre était dans un piteux état. On l'emmène chez le vétérinaire et là, on nous annonce qu'il a le FIV [virus de l'immunodéficience féline, ndlr], le « sida » du chat ! Et en fait, quand le vétérinaire a commencé à parler de ça, je ne sais pas pourquoi, j'ai eu un flashback de l’annonce de ma séropositivité et j'ai commencé à pleurer. J'étais face à ma mère, qui n'était pas au courant de mon statut sérologique et je me suis dit qu'il n'y avait vraiment qu'une seule façon pour moi d'appréhender le futur plus sainement, c'était de le dire au plus grand nombre. Le fait de l’annoncer publiquement me retirait ce poids de l'annonce à chaque nouvelle rencontre. Cette espèce de cérémonie où tu as toujours les mêmes questionnements : À quel moment faut-il le dire ?  Pourquoi faut-il le dire ? À qui faut-il le dire ?  En fait, toutes ces questions qui, au final, te polluent l’esprit. Une autre raison qui m’a poussé à prendre la parole, c’est que j’avais plus de 30 000 followers sur Instagram. Je me suis dit que si, via mon témoignage, je pouvais aider certaines personnes à se sentir un peu moins seules, ça me donnerait un but et ça rendrait mon expérience d’Instagram un peu moins superficielle.  

    Remaides : Suite à cette annonce, quelles ont été les réactions de votre entourage et les répercussions sur votre vie privée et professionnelle ?

    J’ai appelé ma mère avant de faire ce post sur Insta. Sa réaction a été un peu la même réaction que quand je lui ai dit que j'étais homosexuel, c'est-à-dire over dramatique… Suite à mon post, les répercussions étaient hyper positives et j'ai reçu énormément de messages de soutien.  Il y a clairement eu un avant et un après coming out VIH dans ma vie. Je recevais beaucoup moins de messages sérophobes car ce n’était plus un secret. Les personnes malveillantes peuvent t'atteindre parce qu’elles ont une information que les autres n'ont pas, mais quand tu donnes cette information à tout le monde, elles ne peuvent plus l'utiliser contre toi. C’est le silence autour du VIH qui fait qu'on donne une arme aux autres pour nous frapper. En reprenant le contrôle sur mon histoire avec le VIH, je leur ai retiré cette arme. Beaucoup de personnes séropositives m’ont contacté suite à ce post. Parfois, je reçois des messages sur Insta et on me dit : « On vient de m'annoncer que je suis séropositif.  Je n'arrête pas de pleurer.  Je suis par terre roulé en boule. Qu'est-ce que je dois faire ? ». C’est là que tu réalises que les gens te contactent vraiment quand ils sont au fond du trou. D'un côté, je trouve bien que les gens sachent qu’ils ne sont pas seuls. Mais d'un autre côté, c'est quand même un poids et une responsabilité personnelle. Cette visibilité m’a aussi ouvert des portes professionnellement. L’équipe de Jean-Paul Gaultier [ambassadeur du Sidaction, ndlr] m’a contacté et c’est pour eux que j’ai fait mon premier témoignage vidéo à visage découvert. Il y en eu pleins d’autres par la suite. Pendant longtemps, j’ai vu le VIH comme un frein, comme quelque chose qui m'écrasait et qui m'empêchait d'avancer. Aujourd’hui, j'accepte complètement le fait que le virus fasse partie de moi et de mon histoire. J’ai appris à me dire que je n’étais pas une personne qui vivait avec le VIH, mais que c’était plutôt le VIH qui vivait avec moi.

    Remaides : Le sport a pris une place importance dans votre vie, est-ce une revanche autour des représentations souvent associées au VIH ?

    Complètement ! Et pas seulement le VIH, mais l’homosexualité aussi. Quand j'étais plus jeune, j'étais extrêmement mince et j'avais les cheveux assez longs. On m'appelait « le coton-tige ». On m'appelait aussi « la calculette », car j'avais beaucoup d'acné. Mon physique était source d'insultes que je pouvais recevoir de la part de mon frère ou de personnes qui me traitaient de faible. Le fait de faire du sport, c'était un peu une revanche par rapport à ça. Et puis, dans le sport, il y avait aussi cette sensation d'avoir de la force, de la puissance. C'était hyper satisfaisant, en fait. J'avais vraiment l'impression de reconquérir un peu mon corps que j'avais laissé un peu à l'abandon. Et quand j'ai su que j'étais séropositif ; là vraiment, le sport est devenu carrément thérapeutique. Si je n'avais pas eu le sport, je ne sais pas comment j'aurais pu m’en sortir. Après l’annonce de ma séropositivité, j’ai commencé à faire du sport à fond et aujourd‘hui, j’en ai fait mon métier puisque je suis coach sportif. J’aime bien le message que ça renvoie. On ne s'imagine pas du tout qu’une personne vivant avec le VIH puisse être coach et aider les autres à atteindre leurs objectifs sportifs. 

    Remaides : Vous avez déclaré que votre combat était la lutte contre la sérophobie. Que reste-t-il à faire selon vous ?

    Pour moi, aujourd'hui, le vrai combat autour du VIH, en tout cas en France, où les traitements sont accessibles, il n'est plus vraiment médical, il est surtout sociétal. Les gens ont surtout peur de toutes les représentations autour du VIH plus que du VIH en soi. Trop de personnes séropositives souffrent en silence. Souffrir en silence, ça veut dire que tu n'en parles pas à tes meilleurs amis, tu n'en parles pas à ta famille, tu n'en parles pas à tes amants. En fait, c'est un poids que tu dois traîner tout seul pendant de nombreuses années. C'est une charge mentale énorme. La sérophobie ordinaire, c'est plein de micro-agressions au quotidien que tu dois avaler sans pouvoir en parler. Il faut banaliser le fait de vivre avec le VIH. C'est vraiment fondamental que le plus de personnes possible en parlent. Il faut plus de représentations aussi dans les médias et les fictions. La plupart des fictions sur le VIH/sida se passent dans les années 80/90 et ce sont des œuvres importantes, mais qui ne montrent pas la réalité du VIH en 2023, en Occident. Il faut donner de l’espoir et montrer des personnes séropositives qui vont bien pour qu’un jour, une personne qui découvre sa séropositivité se dise : « Oh, mais, c'est pas grave ; regarde, il y a ce mec qui est séropo et il a l'air de vivre bien sa vie ». Il est temps que la société change de regard sur les personnes séropositives, mais aussi urgent que les personnes séropositives changent de regard sur elles-mêmes. Il faut aussi rappeler l’importance du dépistage. Les personnes séropositives dépistées et traitées sont la solution et non le problème pour éradiquer l’épidémie. 

    Remaides : En juin 2021, le jour de la Pride de Paris, vous écrivez ce message sur votre compte Instagram : « Gay, algérien, séropo, queer et je n’ai jamais été aussi fier ! ». Que mettez-vous derrière cette notion de fierté ?

    La fierté, c'est une notion qui a mis beaucoup de temps avant de prendre forme chez moi. Avec le temps, c’est devenu une évidence. Cette fierté est une réponse à une vie de brimades. J’ai cumulé tous les stigmates et toutes les étiquettes, on a critiqué ma façon de m’habiller, mon physique, ma voix, ma sexualité, ma séropositivité, etc. Et puis, il y a aussi un racisme et une fétichisation au sein même de la communauté gay. En tant que mec rebeu ou racisé, certains te collent des étiquettes : tu dois être le dominateur de service et tu deviens un fetish sexuel sur les applis. En grandissant, je n'avais pas vraiment de représentation ou de modèle. Donc, il y a un peu ce truc où j'avais vraiment l'impression d'être une minorité dans une minorité. J’avais deux options : soit, j’étais out et fier et je pouvais vivre heureux et libre ; soit, je restais dans le placard de la honte et du secret et je plongeais dans la plus grande des dépressions. J’ai choisi de bomber le torse, de me battre et d’être fier !