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    Fusion ANRS/REACTing : la lutte contre le VIH et les maladies émergentes méritent mieux que des effets d'annonces

    • Publication

    Le 1er janvier 2021, l’Agence Nationale de Recherche sur le Sida et les Hépatites virales (ANRS) et le consortium REACTing agissant sur les maladies émergentes ont officiellement été fusionnés pour créer l’ANRS Maladies infectieuses émergentes. Ce projet, qui porte la marque de l’excellence de la France dans le domaine de la recherche et notamment de la recherche contre le VIH et de ses acquis, a pour objectif à la fois d’animer, de coordonner et de financer la recherche sur ces maladies, afin notamment de permettre de préparer la réponse en temps de « paix » pour mieux déployer, de façon immédiate et coordonnée, les réponses adaptées en temps de crise.

    La mise en place d’une agence dédiée à la lutte contre les maladies infectieuses est une excellente nouvelle pour les acteurs impliqués et les personnes concernées, mais les financements prévus aujourd’hui sont insuffisants. Nous, chercheurs, professionnels de la santé et acteurs associatifs, nous inquiétons du manque d’anticipation budgétaire de l’exécutif qui ne permettra pas, en l’état, de répondre aux ambitions affichées. Pour une réponse efficace et rapide aux épidémies actuelles et à venir, cette nouvelle agence requiert selon des estimations conservatoires 76 millions d’euros de subvention d’Etat dès 2021, soit 36 millions de plus que l’enveloppe dont bénéficiait l’ANRS pour la recherche sur le sida et les hépatites en 2020.

    Sur ces 36 millions d’euros, seulement 2 millions ont été prévus au budget 2021, laissant entendre que le reste du budget devra être trouvé via des financements exceptionnels ou des partenariats publics/privés. Nous savons pourtant, et la crise actuelle nous le rappelle quotidiennement, l’importance de la recherche publique pour l'anticipation et l’accès à des politiques de santé favorables aux populations. Ces approximations dans la construction budgétaire de cette nouvelle agence laissent entrevoir un manque de préparation politique qui nous interpelle à plusieurs titres.

    Les engagements financiers demandés sont pourtant dérisoires comparés aux efforts consentis — et nécessaires — par d’autres pays : en Allemagne, 105 millions d’euros sont engagés chaque année pour la recherche sur les maladies infectieuses, aux États-Unis, plus de 5 milliards de dollars  ! Autre point de comparaison, l’augmentation de budget demandée correspond à une journée d’aides aux entreprises en France dans le cadre de la crise sanitaire.

    Les modalités prévues pour abonder le budget de l’agence sont tout à fait antinomiques avec le fonctionnement même de la recherche en situation de crise sanitaire due à des infections émergentes. Pour favoriser un travail de qualité, coordonné et répondant aux besoins spécifiques de ces urgences de santé publique par définition peu ou pas prévisibles, il est fondamental de mettre en place une administration financière efficace pour une agence réactive, et un investissement au long cours qui soit cohérent avec le temps de la recherche. Une véritable prévisibilité des montants disponibles est la garante d’une dynamique de la recherche qui s’engage sur plusieurs années.

    L’insécurité budgétaire dont souffrira, si rien ne change, cette nouvelle agence ne peut qu'être néfaste à l'efficacité de la recherche. Un non-sens tant 2020 nous montre que le temps perdu face à une pandémie ne se rattrape pas.

    Enfin, nous craignons que ces limitations budgétaires ne permettent tout simplement pas de continuer à pratiquer une recherche de qualité sur le VIH/sida et les hépatites virales tout en finançant de manière efficace celle sur les maladies infectieuses émergentes qui est le socle de notre préparation contre les futures émergences. Si les financements dédiés à la lutte contre le VIH/sida et les hépatites virales semblent sanctuarisés pour cette année 2021, les épidémies futures viendront grever ce budget, mettant ainsi à mal les acquis de ces dernières années. Si toutefois ce budget alloué au VIH était pérennisé, alors la déduction nous forcerait à constater que seulement 2 millions d’euros sont consacrés aux maladies émergentes. Le budget de REACTing étant déjà d’un million d’euros en 2019, cela signifie que seulement un million d’euros supplémentaire serait dédié à la lutte contre les épidémies émergentes. Or, les recherches d'amont ont fortement manqué dans la crise du Covid. Sans financements supplémentaires, elles manqueront lors de prochaines crises sanitaires et c’est de facto l’incapacité à répondre à une nouvelle épidémie qui serait organisée.

    Ce sont finalement les luttes contre toutes les épidémies et maladies émergentes qui risquent d’en souffrir, en France et bien au-delà dans un monde globalisé.

    Comme le déclarait le Président Emmanuel Macron lors de son intervention à l’Institut Imagine le 4 décembre dernier : « Sous pression et en crise, on sait inventer des choses formidables. (…) La clé pour nous c’est, hors crise, de garder cette capacité à décloisonner, aller vite, innover et rester focalisés sur un même but ». Et la clé réside notamment dans les moyens qui sont mis à la disposition de ces innovations.

    Les défis à relever en matière de recherche face aux épidémies actuelles et à venir ne sauraient souffrir d’un manque d’ambition et d’anticipation politique. Nous demandons donc au Président de la République de garantir les 36 millions supplémentaires de subvention annuelle d’Etat nécessaires au bon fonctionnement de cette nouvelle agence.

    Pr Françoise Barré Sinoussi, Lauréate 2008 du Prix Nobel de Médecine et Présidente de Sidaction
    Aurélien Beaucamp, Président de AIDES
    Pr Pascale Cossart, Professeur à l’institut Pasteur, Membre de l’Académie des Sciences
    Mme Dominique Costagliola, Directrice de Recherche à l’INSERM, Membre du CA de AIDES
    Pr François Dabis, Professeur d'Epidémiologie et Santé Publique, Université de Bordeaux, ex-Directeur de l'ANRS
    Pr Marie-Paule Kieny, Directrice de recherche à l’INSERM
    Pr Xavier de Lamballerie, Aix-Marseille Université – IRD – INSERM – APH de Marseille
    Pr Gilles Pialoux, Infectiologue
    Pr Christine Rouzioux, Présidente de l’association Arcat / Le Kiosque et membre des Académies de Médecine et de Pharmacie, Membre du CA de Sidaction
    Pr Philippe Sansonetti, Professeur émérite à l’Institut Pasteur et au Collège de France, Membre de l’Académie des Sciences
    Pr Guido Silvestri, département of Pathology and Laboratory Medicine, Emory University School of Medicine
    Pr Stefano Vella, Adjunct Professor, Global Health, Catholic University, Rome

     

    Sources :

     

     

    Cette tribune a initialement été publiée sur Le Monde.