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    Remaides 113 : disponible

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    Le 23 mars dernier   ̶  il restait alors 283 jours avant la fin de l'année   ̶ , nous n’imaginions sans doute pas, où nous en serions aujourd’hui. Depuis, le démarrage de cette crise sanitaire mondiale, nous vivons, en France, entre confinements (déjà deux et un troisième semble s’annoncer) et couvre-feux (deux aussi !). La situation d’état d’urgence sanitaire quasi permanente que nous subissons est inédite par sa durée et sa dureté pour nombre d’entre nous. Elle se manifeste par des mesures limitant notre liberté d’aller et venir, celle d’entreprendre et de travailler, notre liberté de réunion, notre liberté de nous cultiver, de nous divertir avec la fermeture prolongée des bars et restaurants, des clubs et des musées, des théâtres et des cinémas, etc. Elle entrave nos actions, même si elle nous conduit à innover.

    La période que nous connaissons a ouvert de nombreux débats, dont celui de la proportionnalité des mesures adoptées eu égard aux risques sanitaires et sociaux encourus, n’est pas le moindre. Si les scientifiques restent en tête dans les réflexions, les juristes ne sont pas en reste. Ils nous invitent à penser aux conséquences à long terme des décisions mises en œuvre aujourd’hui… dans l’urgence. Récemment, l’avocat Patrice Spinozi alertait sur la somme des « lois sécuritaires » adoptées, craignant que nous fussions en train de « construire [aujourd’hui] les outils de notre asservissement de demain » (1). Un de ses confrères se demandait, quant à lui, si la volonté de protéger la santé, érigée en droit, pouvait éviter le téléscopage avec les libertés individuelles (2). Qui pensait qu’un tel sujet se poserait à nous avec une telle acuité et que nous serions collectivement invités-es à nous demander : qu’est-ce qu’être citoyen-ne face à la crise sanitaire en cours ? (3) Pour faire court, on pourrait dire que c’est notamment se montrer responsable pour soi-même et vis-à-vis des autres. Le gouvernement nous y a d’ailleurs souvent invités-es. Reste qu’il faut en créer les conditions. Pour nous, cela passe par la concertation citoyenne, dont la démocratie sanitaire   ̶  que la lutte contre le sida a contribué à mettre en place   ̶  est une incarnation.

    La récente publication de notre Rapport 2020 VIH et hépatites, la face cachée des discriminations (voir en page 16) montre à quel point la crise liée à la Covid-19 crée de nouvelles inégalités tout autant qu’elle aggrave celles qui préexistaient. Nous l’avons appris avec l’épidémie de VIH ; nous en avons la confirmation avec la Covid-19 : les épidémies se nourrissent de la précarité, de la fragilité, des discriminations et de la stigmatisation. Elles s’en repaissent et les renforcent.

    Et les problèmes sont loin d’être résolus. Récemment, un article (4) expliquait que les cas de Covid-19 se sont multipliés, ces derniers mois, dans les centres de rétention administrative. Pourquoi ? Parce que l’administration a décidé de ne pas les fermer comme lors du premier confinement, et d’y maintenir leurs occupants-es alors que la promiscuité qui y prévaut empêche les gestes de protection, dont la distanciation physique. Pas de solutions non plus apportées aux travailleurs-ses du sexe qui doivent faire face à une plus grande précarité et à une augmentation des violences. Le récent rendez-vous (5) avec Élisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, apporte peu de réponses. En somme, nous sommes renvoyés avec les autres associations de TDS à un jeu de balle interministériel et à une non réponse fnancière pour gérer l’urgence de la précarité d’une population qui paye un large tribut à la crise que nous traversons.

    Au fil des pages, notre rapport donne la parole aux premiers-ères concernés-es. Avec leurs mots, leur vérité, ils et elles racontent les conséquences de deux pandémies aux impacts cumulatifs. Notre rapport dessine aussi, en creux, la crise de confiance qui se fait jour désormais. Elle n’a certes pas démarré le 23 mars dernier, mais s’est singulièrement intensifiée ces derniers mois. Une crise de confiance dont le défaut de concertation qui a longtemps prévalu sur cette période, est un des ressorts. Et ce n’est sans doute pas l’assemblée citoyenne qui va « conseiller » le gouvernement sur la vaccination anti-Covi-d-19 qui va y pallier à elle seule. Cela reste d’ailleurs un mystère de voir que les principaux enseignements de la lutte contre le VIH auront été si peu utilisés par les pouvoirs publics pour gérer la nouvelle crise et que les associations qui en sont les dépositaires auront été si peu sollicitées et prises en compte. Ainsi, l’attention aux personnes les plus exposées et les plus vulnérables (personnes trans, travailleurs-es du sexe, personnes en détention, personnes usagères de produits, etc.) n’aura pas toujours été au rendez-vous et l’implication des personnes concernées dans la réponse à la crise, oubliée. Tout s’est passé comme si les pouvoirs publics n’avaient pas eu confiance en ces principes, voire même une forme de défiance envers celles et ceux qui les promeuvent et les appliquent.

    Notre rapport fait ce constat, mais il n’en constitue pas pour autant une somme de dénonciations. Il propose des pistes d’actions, des mesures concrètes construites avec les personnes concernées. Il défend une façon de procéder qui a fait ses preuves dans la lutte contre le VIH en France, comme à l’étranger. Une façon de faire qui s’appuie sur la nécessaire confiance que nous nous devons collectivement. Dans le contexte que nous connaissons, la confiance dans les institutions publiques est essentielle. On le voit avec la vaccination, par exemple. Sans cette confiance, nous ne parviendrons pas à une sortie réussie de ce marasme.

    Devant la crise actuelle, la confiance de l’État dans les citoyens-nes et la société civile est indispensable. Seule, cette symétrie peut nous permettre de relever ce challenge collectif, auquel nous n’étions pas suffisamment préparés. Nous ignorer, c’est aller vers l’échec !  La pandémie façonne la confiance et la solidarité entre nous. Elle les jauge façon « crash test ». Elle nous oblige à une réponse concertée, nourrie par l’intelligence collective, une confiance restaurée et réciproque. C’est crucial pour nous-mêmes, pour les autres, pour nous tous-tes ! Alors que 2021 se profile, je forme le vœu que nous tenions pour nous-mêmes, pour les autres ; ensemble !

    Le 23 mars… 1975, sortait « Que la fête commence », un des films les plus connus de Bertrand Tavernier. Que la fête (re)commence… c’est vraiment ce que je nous souhaite au plus vite. Question de confiance !

     

    Aurélien Beaucamp, président de AIDES

     

     

    Notes de bas de page : (1) : Entretien au Monde, 25 novembre 2020. (2) : Figarovox, 1er décembre 2020. (3) : Lire à ce propos, la tribune publiée par Emmanuel Hirsch, Marie-Françoise Fuchs et Didier Sicard, Le Monde, 4 décembre 2020. (4) : Crise sanitaire : situation alarmante dans les centres de rétention administrative, par Richard Schittly et Juliette Bénézit, Le Monde, 15 décembre 2020. (5) : 17 décembre 2020.

     

     

    *Champs obligatoires