L’Actu vue par Remaides : « Migrantes, trans et séropositives : Arianna Lint défend les oubliées d’Amérique du Sud »
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- 07.11.2025

Crédit Photo : POZ MAGAZINE
Par Fred Lebreton
Migrantes, trans et séropositives : Arianna Lint défend les oubliées d'Amérique du Sud
Exilée du Pérou et diagnostiquée séropositive aux États-Unis, Arianna Lint a transformé son parcours personnel en activisme pour défendre ses paires. Fondatrice d’Arianna’s Center, la militante œuvre pour la dignité, la santé et les droits des femmes trans, migrantes et séropositives, dans un contexte politique américain qui leur est de plus en plus hostile. Le magazine américain Poz lui consacre sa Une du numéro d’octobre/novembre 2025.
D’un rêve d’enfant à l’activisme trans et VIH
Enfant de la ville côtière de Chimbote, au Pérou, Arianna Lint grandit dans une famille de la classe moyenne. Elle est fascinée par les concours de beauté télévisés. Son modèle s’appelait alors Roberta Close, actrice et mannequin trans brésilienne, présentée dans les années 1980 et 1990 comme « la plus belle femme du Brésil ». « Mon rêve était de partir aux États-Unis pour participer à des concours », confie-t-elle, aujourd’hui, au magazine Poz. Elle finira par s’installer en 2000 dans le New Jersey (États-Unis), parmi d’autres femmes trans péruviennes qui, faute d’opportunités, survivaient grâce au travail du sexe. C’est là qu’elle assiste à sa première marche des Fiertés new-yorkaise et découvre une communauté LGBT+ qui l’adopte, bien que la précarité, l’exclusion et le VIH fauchent la vie de nombre de ses « sœurs » trans.
En 2006, son propre diagnostic VIH change radicalement sa trajectoire. Pensant à l’époque que cette annonce équivalait à une condamnation à mort, elle s’oriente vers les services du département de santé d’Orlando. « Je voulais au moins mourir dignement », raconte-t-elle. Une rencontre décisive bouleverse son destin : Gina, une employée devenue son amie proche, l’encourage à mettre ses compétences juridiques et politiques au service de la lutte contre le VIH. Peu après, Arianna s’engage comme paire éducatrice (une éducatrice en santé qui intervient auprès et avec sa propre communauté) et obtient un premier poste rémunéré. « Pour beaucoup de personnes trans, notre premier véritable emploi, c’est dans le champ du VIH », explique-t-elle. Elle commence alors un parcours professionnel et militant qui ne s’arrêtera plus.
Un autre moment clé survient en 2008, lorsqu’elle croise la militante Linda Scruggs, qui l’invite à « rejoindre les femmes » et lui répète : « Avec ton histoire et ta vie, tu peux aider à changer celles des autres. » Ces encouragements l’amènent à s’investir toujours davantage, participant à des conférences nationales et développant des programmes spécifiques pour les personnes trans.
Peu à peu, son approche entrepreneuriale s’impose. Pourquoi ne pas créer sa propre structure ? En 2015, avec 5 000 dollars d’économies, elle fonde Arianna’s Center, première organisation en Floride dédiée aux femmes trans et migrantes vivant avec le VIH. Les débuts sont précaires : elle accueille les bénéficiaires depuis sa propre maison, qu’elle perd ensuite, se retrouvant sans logement. Mais les financements commencent à arriver, d’abord modestes, puis plus conséquents. « L’une de mes plus grandes fiertés fut d’offrir des services de dépistage du VIH et surtout d’accompagner les démarches de changement d’état civil, souvent coûteuses », souligne-t-elle. À ce jour, plus de 2 500 personnes trans ont pu changer légalement leur état civil grâce à l’accompagnement proposé par son centre.
Arianna’s Center : un refuge pour les femmes trans
Situé à Fort Lauderdale (Floride) et depuis 2019 également à Porto Rico, Arianna’s Center compte aujourd’hui plus de 800 bénéficiaires. L’organisation constitue un repère unique pour les femmes trans hispanophones en Floride, souvent isolées ou méfiantes vis-à-vis des structures institutionnelles. Arianna Lint ne se contente pas de diriger : elle prend parfois sa voiture pour conduire des usagères à des rendez-vous médicaux, jusqu’à trois heures de route, certains jours. « Souvent, les gens me contactent via les réseaux sociaux. Ils me disent chercher un logement, mais derrière, il y a aussi la nécessité de les intégrer dans un parcours de soins VIH », explique-t-elle. La mission va bien au-delà de la santé : aide financière pour les changements d’état civil, soutien juridique, orientation vers des cliniques accueillant les personnes sans papiers, appui face aux discriminations dans l’emploi. La situation des migrantes trans s’est considérablement dégradée avec le durcissement des politiques migratoires et les rafles visant les sans-papiers. « Certaines usagères m’appellent désespérées après avoir perdu leur travail et leur assurance santé », confie-t-elle. Son centre devient alors un filet de sécurité indispensable.
Mais ces missions s’inscrivent dans un contexte politique tendu. Le climat national américain, exacerbé par les discours transphobes et racistes de responsables politiques de premier plan, dont Donald Trump, met en péril la survie de telles initiatives. En juin dernier, le centre a perdu un financement essentiel de la part de l’agence fédérale HRSA (Health Resources and Services Administration), qui finançait depuis trois ans un hébergement temporaire pour les femmes trans séropositives sortant de détention. « Ce programme était vital car il permettait aux femmes de rester en charge virale indétectable », insiste Arianna. Elle cherche désormais de nouvelles sources de financement pour pallier cette perte. Reste que les difficultés s’accumulent : suppression de subventions de l’État de Floride, baisse du budget annuel de 500 000 à 200 000 dollars, licenciements de personnel. Aujourd’hui, l’organisation fonctionne avec une équipe réduite : Arianna elle-même, une assistante à temps partiel, une coordinatrice à Porto Rico et deux volontaires. Malgré tout, Arianna’s Center continue de proposer des services concrets qui changent des vies, en s’appuyant sur des financements ponctuels de fondations privées et de laboratoires pharmaceutiques.
« J’ai vaincu la stigmatisation liée au VIH »
À 52 ans, Arianna Lint est aujourd’hui directrice du concours Miss Trans Star International, organisé en décembre à Porto Rico. L’événement mêlera durant trois jours des ateliers sur la prévention et la prise en charge du VIH avant une finale de concours glamour. « Les gens pensent que les concours de beauté sont superficiels, mais j’en fais un outil d’éducation et d’empowerment » (capacité d’agir), insiste-t-elle. Cette stratégie d’allier glamour et messages de santé publique l’a conduite en Une de la version espagnole du magazine américain People avec ce slogan : « J’ai vaincu la stigmatisation liée au VIH. » De la même manière, elle a su dialoguer avec des responsables politiques peu sensibilisés aux réalités des personnes trans, gagnant parfois leur respect à force de pédagogie et du fait de son charisme personnel. « Elle a toujours pris la voie du dialogue, même quand j’ai dit des choses maladroites », reconnaît Chris Caputo, maire adjoint de Wilton Manors (ville de Floride).
Arianna Lint est sur tous les fronts. Elle apporte un soutien aux associations trans qui se développent dans le Sud des États-Unis, comme celle de Tania Jimenez en Caroline du Nord, qu’elle a même financée de sa poche. Elle participe au Deep South Coalition pour produire des données sur l’impact du VIH chez les personnes trans. Son engagement témoigne d’une vision plus large : faire reconnaître la place des femmes trans latinas dans la lutte contre le VIH. Lorsqu’on lui demande ce qu’elle dirait à l’enfant fascinée par les reines de beauté qu’elle était au Pérou, Arianna réfléchit puis sourit : « Je lui dirais : je crois qu’on y est arrivé. Nous avons eu un impact positif sur notre communauté. Et nous sommes en Une des magazines ! »