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    L’Actu vue par Remaides : « Je n’arrive plus à envisager des rapports sexuels sans consommation de chems : que dois-je faire ? »

    • Actualité
    • 01.09.2025

     

    PATRICK PAPAZIAN2 CREDIT XAVIER HERAUD.jpg

     

     Le Dr Patrick Papazian photographié par Xavier Héraud

    Par Patrick Papazian

    "Je n'arrive plus à envisager des rapports sexuels sans consommation de chems :
    que dois-je faire ?"

    Médecin sexologue hospitalier en maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Pitié- Salpêtrière et à l’hôpital Bichat (AP-HP, Paris), le Dr Patrick Papazian tient la rubrique sexo de Remaides. Il partage, dans chaque numéro, les questions qu’on lui pose le plus souvent en consultation, les pistes de réflexion et solutions qu’il a préconisées. Cette fois, il est question de chemsex.
     

    Je n’arrive plus à envisager des rapports sexuels sans consommation de chems : que dois-je faire ? 
    L’usage de drogues en contexte sexuel est universel et remonte sans doute à la nuit des temps : pour relâcher les inhibitions, les hommes et les femmes ont vite compris qu’un peu d’alcool, de fumée ou de poudre (selon les us et coutumes du lieu et de l’époque) pouvait aider.
    Dans cette grande famille d’usage sexualisé de substances, se situe le chemsex, dont les causes et les modalités sont intimement liées à l’histoire de la communauté gay ou HSH (hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes).
    Dans les « hot spots » (lieux de pratique intensive du chemsex, par exemple : Paris, Nice, Montpellier en France), et dans des sessions sexuelles qui durent de quelques heures à quelques jours et réunissent un nombre de partenaires généralement supérieur à deux, le recours à différents types de drogues (dont les cathinones, famille qui comprend de nombreuses molécules apparentées à la fameuse « 3-MMC ») est habituel. Beaucoup de profils, sur les applications de rencontre gay type Grindr, Scruff ou autres, affichent la prise de ces substances, qui devient indissociable des pratiques sexuelles.

    À force d’être normalisé, le chemsex peut finir par remplacer la sexualité plutôt que l’accompagner. Au point que certains hommes n'envisagent plus d’avoir des rapports sexuels sans être « perchés » (sans avoir consommé de substances)… ou n’y arrivent plus. C’est le point de bascule vers le « 100 % chemsex ».  

    « C’est tellement moins bien sans consommer », « On ne trouve personne si on ne prend pas de chems », « De toute façon, je gère. Je ne consommerai plus si je trouve le mec de ma vie », sont des phrases que j’entends régulièrement en consultation, de la part d’hommes qui viennent me voir parce qu’ils n’arrivent plus à avoir d’érection sans aide médicamenteuse (Viagra, par exemple) , quand ils ont pris ces produits.
    Ils ne consomment plus pour se libérer sexuellement de temps à autre, ils consomment pour avoir du désir devenu impossible sans substances. Voilà ce qui me pose souci.

    En tant que soignants, nous sommes à l’écoute des désirs de nos patients ; non seulement je ne serai jamais jugeant sur la consommation de produits en contexte sexuel, mais je ferai tout pour leur permettre d’être bien, tout en réduisant les risques pour leur santé. Bref, éclatez-vous, votre corps n’est pas un temple, mais un parc d’attraction.

    Mais une situation est ma hantise : quand des patients me disent qu’ils n’ont plus aucun rapport sexuel sans chems, ou, pour certains jeunes, qu’ils n’ont connu que le chemsex et quasiment jamais une sexualité sans consommer. Dans ces cas, je tire le signal d’alarme sexologique ! Je vais tâcher de vous expliquer pourquoi je suis particulièrement inquiet face à ce type de situations, de manière concrète et illustrée :

    - Les études montrent qu’une dysfonction sexuelle était présente chez un grand nombre d’hommes avant qu’ils découvrent le chemsex. Par exemple, un sur trois souffrait déjà de problèmes d’érection. L’un des leviers motivationnels de cette conso, c’est aussi « soigner » un complexe sexuel : une éjaculation qu’ils jugent trop rapide, un désir poussif en raison de représentations négatives qu’ils ont développé sur la sexualité gay, une érection qui ne tient pas bien et les conduit à explorer davantage leur passivité malgré l’envie d’être versatile… Forcément, la prise de substances peut aider à « dissimuler » (surtout à leurs propres yeux) ces difficultés, en retardant (ou inhibant le plus souvent) l’éjaculation, en libérant leur libido, en favorisant leur réceptivité anale. Mais fonctionner 100 % du temps en mode « assisté » par des substances n’enlève rien au problème de fond, on pousse juste la poussière sous le tapis. Les drogues, ici, ne sont pas un outil de plaisir : elles sont un pansement sur une plaie qu’on n’ose pas regarder. Et tant qu’on ne l’explore pas, on ne peut pas la soigner ;

    - Ne pas conserver une activité sexuelle sans drogue les empêche (et m’empêche donc, en tant que sexologue) de s’attaquer aux racines du problème. Dommage, car des solutions souvent simples et efficaces existent. Sous chems, l’érection est difficile, tous les consommateurs vous le diront. La prise de médicaments type Viagra et compagnie est la norme, et le risque est de presque oublier ce qu’est une érection déclenchée par le désir pour un autre, vous brouillez les pistes neuronales des réactions sexuelles. Et quand vous essayez d’avoir une érection sans drogue et sans médicament facilitateur, c’est souvent la cata : beaucoup d’hommes en développent une souffrance psychique, une mauvaise estime d’eux-mêmes et n’arrivent plus à « reconnecter » désir et érection ;

    - Le désir, parlons-en : lui-aussi est artificiellement boosté par la chimie qui est consommée. Le caractère empathogène et entactogène (connexion psychique et physique avec les autres facilitée) des drogues stimule le désir, et donne même parfois l’impression de tomber amoureux. Mais tomber amoureux sous chems, ce n’est pas tomber amoureux : c’est tomber dans le piège d’une illusion bien orchestrée par votre cerveau sous influence. Si votre cerveau conserve cette habitude en permanence, pas facile pour lui de revenir à un processus spontané, sans assistance, de lien sensuel et amoureux ;

    - L’éjaculation est généralement très longue voire impossible à obtenir sous substances ; elle survient parfois après plusieurs dizaines d’heures, par masturbation ou efforts démesurés. Or, le réflexe éjaculatoire s’accompagne physiologiquement d’un apaisement. Quand vous n’avez « que » des plans perchés, vous ne bénéficiez plus de ce relâchement de l’excitation, et de cette phase « de résolution » qui remet les compteurs à zéro et vous prépare au prochain passage à l’acte sexuel. La sexualité n’est qu’une grande excitation, certes très agréable, mais sans « descente » contrôlée, et, de nouveau, vous habituez votre corps et votre esprit à fonctionner en mode « hamster dans sa roue » sans repos ni digestion émotionnelle ;

    - Enfin, les patients me le disent bien en consultation : ils ne savent plus comment « aborder » l’autre, dans la vraie vie. Toutes les rencontres se font en mode « ultra-direct » et la consommation est au centre des échanges. Quand le chems devient le facilitateur unique de la rencontre, on finit par ne plus savoir comment juste… draguer. Pas facile de retrouver des habiletés sociales (on ne parle pas d’un diner aux chandelles mais d’un simple échange verbal, même en plan direct sur Grindr, et d’une improvisation sympathique dans les combinaisons des corps, en étant vigilant à son plaisir et à celui des autres).

    J’ai dressé un tableau bien sombre du « 100 % conso » et, vous l’avez compris, aucune morale ni volonté d’aller contre les envies et styles de vie de mes patients, qui sont sacrés. Simplement l’envie d’alerter sur les dangers, pour votre vie sexuelle, de ne prendre que l’autoroute du chemsex, sans jamais emprunter les nationales, chemins forestiers, routes côtières et autres trajets alternatifs du sexe. Oui, l’ivresse est grisante, mais elle ne doit pas être le seul carburant du plaisir.

    En consultation, nous (les soignants impliqués dans la santé gay) nous battons souvent pour que les hommes conservent une sexualité sans substance, en parallèle de leurs plans avec conso. Parfois, les échanges sont mêmes cocasses, invitant nos patients à « fantasmer, se masturber, regarder du porno, aller dans tel sauna ou backroom plutôt sympa où il n’y a pas trop de conso », parce que votre corps et votre esprit conserveront l’empreinte d’un cheminement sexuel qui n’est pas en pilotage automatique sous drogues.

    Oui, ce n’est pas toujours simple de conserver une sexualité sans consommer quand on a goûté aux chems, mais nous sommes là pour vous y aider : par de l’information, de la motivation, de la prévention et de la prescription si besoin.

    Autant nous nous battrons toujours pour permettre aux HSH de s’amuser sous chems s’ils le souhaitent, en leur apprenant à réduire leurs risques pour leur santé, autant nous ne lâcherons rien sur le maintien, en parallèle, d’une sexualité sans conso des drogues spécifiques du chems (ce n’est pas un joint ou une ou deux bières qui vont m’affoler : on n’est pas non plus obligés de vivre d’amour et d’eau fraîche).
    Nos sexualités entre hommes sont incroyablement belles, riches, créatives, elles se réinventent en permanence au gré de nos blessures et de nos fiertés, ne l’oublions jamais. Le chemsex fait partie d’elles, ne la renions pas, ne la jugeons pas ; mais le chemsex ne contiendra jamais tout le désir et le plaisir que nous pouvons prendre et donner, l’ivresse minoritaire qu’il faut aussi savourer dans ses moments les plus charnels.

    NB : Tous mes remerciements à notre chère Pre Hélène Donnadieu-Rigole, ses enseignements précieux et nos échanges ont beaucoup contribué à la rédaction de cette rubrique.