L’Actu vue par Remaides : « Eva Sommerlatte : « Ce que nous avons appris, c’est à quel point la question de l'allaitement pouvait être une souffrance pour les femmes vivant avec le VIH »
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- 22.08.2025
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Par Jean-François Laforgerie
Eva Sommerlatte : "Ce que nous avons appris, c'est à quel point la question de l'allaitement pouvait être une souffrance pour les femmes vivant avec le VIH"
À l’occasion du premier anniversaire des États généraux des personnes vivant avec le VIH, auxquels elle a participé et sur lesquels elle a travaillé en amont, Eva Sommerlatte, directrice du Comité des Familles, revient sur l’engagement fort de l’association en faveur des personnes vivant avec le VIH, et notamment le droit des femmes à allaiter. Face aux interdits trop souvent systématiques, le Comité milite pour un accompagnement médical respectueux et des choix éclairés. Entretien.
Remaides : Pouvez-vous présenter votre structure ?
Eva Sommerlatte : Le Comité des Familles est une association créée en 2003 par des personnes concernées par le VIH. À l'époque, il s’agissait surtout de personnes issues de l'immigration, et plutôt des familles, qui se sont rassemblées pour sortir de la honte et du silence qui pesaient fortement sur elles. L’objectif était d’être ensemble, de lutter contre la stigmatisation, mais aussi d’avoir plus de connaissances sur la vie avec le VIH, de trouver des réponses à des questions aussi importantes que : « Comment fonder une famille lorsqu’on vit avec le VIH ? ». Il fallait comprendre ce qui était possible et aussi participer à faire avancer la science. Le travail de l’association a évolué car certains de ces sujets ont été simplifiés avec la reconnaissance notamment du Tasp [traitement comme prévention, le socle du I = I, ndlr] comme la possibilité de procréation naturelle [auparavant, la recommandation officielle était d’avoir recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP) pour ne pas exposer le-la partenaire séronégatif-ve au risque d’infection, ndlr]. L'association s'est davantage ouverte sur d'autres questions comme le vieillissement, mais aussi la précarité, parce que le public que l’on accompagne est en grande majorité un public de personnes migrantes, dont la plupart sont dans des situations précaires, voire très précaires.
Un autre élément important tient dans le besoin qu’ont les personnes que nous rencontrons de sortir de l'isolement, de travailler sur l'acceptation du statut sérologique et aussi dans le désir de rencontrer notamment un ou une partenaire pour une vie de couple. Beaucoup de personnes viennent à l’association pour la convivialité, qui est développée dans plusieurs de nos actions. Nous proposons aussi des activités de bien-être, de l'activité physique adaptée, de la méditation, etc. Soit un ensemble d’activités qui sont proposées dans une programmation de l'association qui s’efforce de s’adapter en fonction des besoins exprimés.
On participe à la prévention, surtout par le témoignage, et au dépistage par Rrod [test de dépistage d’orientation diagnostique, ndlr] hors les murs.
L'association anime une émission de radio, « Vivre avec le VIH », avec beaucoup de témoignages, qui est également disponible en format podcast, et un site internet avec une offre de rencontres.
L'association a-t-elle une audience nationale ou est-elle plutôt une association francilienne ?
Nous avons un agrément national de représentation des patients. Un certain nombre de nos projets ont une portée nationale, notamment l'information via l’émission radio et la création des guides que nous sommes en cours de finaliser sur la thématique « VIH et allaitement ». C’est un sujet que l’association porte depuis 2020-2021 avec l’objectif clair de faire évoluer les recommandations d’experts en France sur le sujet. Nos guides vont être disponibles sur tout le territoire.
L'accompagnement et le dépistage, c'est surtout en région Île-de-France. Sur certaines questions, comme l'allaitement, il y a régulièrement des personnes qui appellent de toute la France pour avoir des informations, pour obtenir un accompagnement. Sur ce sujet, par exemple, des accompagnements individuels se font à distance, notamment dans le cadre du projet Grandes Sœurs. C’est un programme d’accompagnement de femmes enceintes qui vivent avec le VIH par d’autres femmes qui ont, elles-mêmes, connu cette expérience, ce parcours. Il y est question, bien entendu, de l’allaitement.
Vous êtes sans doute l'association la plus engagée en France sur « VIH et allaitement »…
Je pense que nous avons porté ce sujet en France. Il était totalement tabou encore en 2021 ici, lorsque nous avons organisé notre premier colloque. Nous avons créé un comité de pilotage, réunissant d’autres structures comme Dessine-moi un mouton, Actions Traitements et URACA pour lancer une réflexion sur ce sujet et contribuer à changer les recommandations. Nous sommes repérés et considérés comme une association pilier sur cette thématique. Cela tient aussi au fait d’avoir participé [au titre du TRT-5 CHV, ndlr] au chapitre Désir d’enfant et grossesse du Rapport d’experts sur la prise en charge des personnes vivant avec le VIH. Ce travail [comme celui fait dans la recommandation de bonnes pratiques de la HAS, du CNS et de l’ANRS ⃓ MIE intitulée Grossesse et VIH : désir d’enfant, soins de la femme enceinte et prévention de la transmission mère-enfant d’avril 2024, ndlr] nous a permis d'avoir de bonnes connaissances sur ce sujet et de pouvoir accompagner les patientes qui se posent des questions et notamment de les aider lorsqu'il y a des blocages. C’est d’autant plus important que même si les recommandations sont sorties, nous constatons que certaines équipes médicales, comme c’est nouveau, ne les suivent pas forcément. Il y a ainsi des équipes qui vont s'opposer à un projet d'allaitement, alors que les recommandations le permettent lorsque la personne a un bon suivi médical, une charge virale indétectable. Dans ce cas, la femme concernée est censée être accompagnée par l'équipe médicale, mais sur le terrain, on constate que ce n'est pas toujours le cas. Nous avons donc mis en place une méthode pour aider ces personnes ; avec l'aide des experts médecins qui se mettent en lien avec l’équipe médicale suivant la patiente et qui vont aider à débloquer des situations.
Il y a un an, vous avez participé aux États généraux des personnes vivant avec le VIH (EGPVVIH 2024). Qu’y avez-vous fait et qu’en retenez-vous ?
C'était un super événement, vraiment exceptionnel. Si je ne me trompe pas, on était 400 personnes réunies lors de ces États généraux. C'était vraiment très chouette, très fort. Beaucoup d'émotions ont été ressenties et véhiculées pendant ces trois jours. J'ai participé à des ateliers sur différentes thématiques. En amont des États généraux, nous avions organisé des focus groupes dans les différentes associations mobilisées par ce projet, c’était le cas du Comité des Familles où nous en avons réalisé deux pour recueillir les besoins de nos membres. Cela a permis d’identifier les besoins qui sont exprimés le plus souvent et définir ainsi les thématiques des ateliers pendant les Etats Généraux. Les ateliers ont permis, pour finir, de faire ressortir un certain nombre de revendications. Il y a eu aussi des plénières et de moments de convivialité, des très chouettes moments.
En dehors de l’organisation de certains focus groupes, le Comité des Famille a-t-il été associé à l’organisation de l'événement ?
Oui. J’ai fait partie du comité de pilotage de l’événement et contribué à recruter des participants et participantes. Des critères avaient été établis. Nous avons rappelé les personnes inscrites, recueilli leurs motivations. Nous nous sommes assurés de leur disponibilité sur l’ensemble de l’événement, un point important. Les choses se sont bien passées, mais j’ai constaté un frein qui a eu un impact sur la participation des personnes qui fréquentent les actions du Comité des Familles. Il y avait plusieurs mamans qui auraient bien aimé participer, mais qui n'ont pas pu sur trois jours et donc deux nuits de suite trouver un moyen de garde pour leurs enfants en bas âge.
Lors des États généraux, parmi les recommandations, l’accent a été mis sur « l’accompagnement des personnes au quotidien » (de l’annonce de la séropositivité au renforcement de l’offre d’accompagnement psychosocial, de la santé psychique à l’éducation thérapeutique…). Le Comité des Familles mène plusieurs programmes dans ces domaines, notamment au sein du Pôle Qualité de vie. Selon vous que faut-il collectivement faire de plus ou de mieux ?
Ce qui nous alarme, c'est la question des personnes migrantes, de l'accès aux droits et l'accès au séjour. Nous constatons depuis ces deux dernières années, mais surtout cette année qui vient de s'écouler, donc quasiment l'année depuis les États généraux, une aggravation, mais vraiment inquiétante, de la situation des personnes vivant avec le VIH qui obtiennent un refus de titre de séjour, ou qui reçoivent une OQTF [obligation de quitter le territoire français, ndlr]. Cela fait un moment que le Comité des Familles s’est focalisé sur cet accompagnement-là, parce que c'est vraiment très compliqué. Ces refus de titres de séjour, ces OQTF génèrent énormément de précarité, d'inquiétude pour ces personnes. C'est un aspect qui est ressorti aux États généraux et que l’on peut observer sur le terrain chez nous. Face aux attaques des partis politiques, on voit que c'est vraiment plus que jamais nécessaire de poursuivre ce combat pour que les personnes migrantes puissent continuer à se soigner en France, ne soient pas renvoyées au pays, si elles sont originaires de pays où l'accès aux soins et la possibilité d'y avoir réellement accès n'est pas optimal. Cet accompagnement à la fois juridique et social était moins présent aux débuts de l’association. Depuis deux ans, il n’est quasiment plus possible d'accompagner le public migrant sans devoir démarrer par un accompagnement juridique et social. Nous avons donc dû mettre cela en place en interne. Une fois, cette question un peu clarifiée pour les personnes qui arrivent au bout de ce parcours de migration, qui est dur et long, les personnes sont très demandeuses de convivialité, de rencontres, et même d’un accompagnement en éducation thérapeutique. Et cela parce qu'il y a des questions qu’elles n’abordent pas lorsqu'elles sont face à leur médecin.
Que permet l’accompagnement thérapeutique ?
D'apprendre ce qu'est un bon suivi, ce qu’est un bilan annuel. Les personnes sont vraiment très demandeuses de monter en compétences sur le thérapeutique, de mieux comprendre, puis les demandes vont porter sur le bien-être, les activités, les sorties, la nutrition. Cela concerne des personnes qui sont sorties de la première urgence, notamment matérielle. Une fois, le nez sorti de cela, elles s'intéressent et sont demandeuses de ce type d'offres de programmation en éducation thérapeutique. Comme je disais nous faisons face à une forte demande d'accompagnement juridique et social, mais aussi d’aides contre la précarité, donc des demandes d'aide matérielle qui vont de la distribution de couches et de lait maternisé, de matériel de puériculture, de vêtements aux invendus alimentaires jusqu’aux chèques services pour les personnes les plus précaires, en passant par les aides au transport et les timbres fiscaux pour les demandes de titres de séjour. Aujourd’hui, la demande est très forte car les personnes qui n'ont pas de solution, qui sont sans ressources, qui ont vraiment besoin en premier lieu de ce type d'aide quand elles viennent au Comité des Familles sont plus nombreuses.
Ce qui était aussi très présent lors des États généraux, et on le voit bien dans l'association où les personnes l'expriment très fréquemment, c'est la question de la discrimination y compris de la part de personnes de leur communauté d’origine. Souvent, les personnes n'osent pas en parler tellement elles craignent le rejet. Cela n’a pas changé. C'est quelque chose qu'on entend depuis près d’une quarantaine d'années. Cela a à peine évolué. Dans le milieu médical la discrimination est aussi présente. Je parlais de l’allaitement car c’est aussi un motif de rejet, notamment lorsque le corps médical est moins favorable à ouvrir un accompagnement, parce qu'il y a moins de confiance lorsqu'une personne est en situation de précarité, dans le fait qu'elle sera observante, qu'elle va pouvoir bien suivre le protocole. Il y a aussi les discriminations du fait d’autres types de médecins, de dentistes, de gynécologues, ça revient fréquemment. On nous rapporte aussi des craintes de discriminations au travail lorsque les personnes apprennent qu'une collègue ou un collègue vit avec le VIH. C’est à tous les niveaux en fait. Le Comité des Familles fait des témoignages dans les collèges, les lycées, mais aussi auprès d'étudiants en médecine, et on voit bien à quel point il y a une méconnaissance qui amène malheureusement à la discrimination. À tous les niveaux, il faut mieux informer et mieux former, y compris en continu. C’est aussi quelque chose qui est ressorti de ces États généraux.
Avez-vous les moyens dans l'accompagnement que vous proposez d'intervenir sur tous les aspects de la vie avec le VIH, y compris la lutte contre les discriminations ou réorientez-vous vers des structures plus spécialisées ?
C'est un travail vraiment lourd que de faire face aux discriminations en matière d'accès aux soins et d'accès aux droits. C’est davantage en inter-associatif que nous allons vraiment pouvoir agir sur le fond et sur le plus long terme. Reste qu’il y a parfois des situations individuelles qui nécessitent une solution rapide et ponctuelle comme le fait de vouloir changer de médecin si la relation est trop compliquée, si l’on a le sentiment de ne pas être entendu. Nous accompagnons souvent des personnes qui n’osent pas s’imposer, voire s’opposer à leur médecin, leur tenir tête ; des personnes qui sont très vite mal à l'aise, intimidées. Et cela d’autant qu’elles se trouvent déjà dans une situation de fragilité, de vulnérabilité en matière de droit au séjour et face à la précarité. Nous adaptons l’accompagnement proposé à la demande de la personne. On suit ce qu'elle a envie de faire. Et si elle a envie de faire une démarche plus conséquente, de dénoncer une pratique, on va l'accompagner, mais ce n’est pas le cas le plus fréquent.
Quels sont, selon vous, les enjeux en matière de vie familiale ?
Souvent, la situation par rapport à la famille, à l'entourage, est très compliquée. On informe les personnes qui viennent nous voir de leurs droits. On rappelle l’interdiction de divulguer le statut sérologique de quiconque sans son accord. On rappelle que la discrimination est interdite, mais c'est compliqué d'avoir réellement un impact lorsque la famille rejette la personne ou que cette discrimination émane de sa communauté parce que celle-ci a appris le statut sérologique de la personne. Souvent, nous accompagnons les patientes et les patients à gérer le secret lorsque les personnes, pour des raisons personnelles, préfèrent garder le secret même dans le couple vis-à-vis d'un partenaire ou par exemple dans le cas d’une femme enceinte ou d’une femme qui va accoucher, qui ne voudrait pas que le père soit au courant.
Beaucoup de personnes que nous accompagnons sont dans des situations précaires, de vulnérabilité, souvent elles ont connu un parcours migratoire compliqué, parfois violent ; certaines ont subi des viols, que ce soit lors du parcours de migration ou après leur arrivée en France. Il ne faut pas oublier les pressions, voire les violences qui peuvent être exercées par un conjoint qu’il soit au courant ou non du statut sérologique. Nous rencontrons souvent des personnes avec plusieurs facteurs de vulnérabilité. On constate que pour certaines, la situation s'améliore, par chance, au bout d'un certain nombre d'années. Mais nous sommes à un tournant aujourd’hui. Nous accompagnons des mamans qui vivent avec le VIH et qui reçoivent des OQTF, ce qu'on n'avait pas jusqu'à présent. Nous connaissions des situations qui, au bout d'un certain nombre d'années, s'amélioraient. Des mamans qui ont pu faire des formations, travailler, s'insérer et vivre « normalement ». Aujourd’hui, on ne sait pas ce qu'il va advenir de ces mamans qui apprennent leur statut sérologique, ou qui le connaissaient déjà, et qui sont sans droit au séjour. Cette situation nous inquiète.
L’une des actions phares du Comité des Familles est le projet Grandes Sœurs. Qu’y avez-vous appris depuis sa création sur les besoins des personnes vivant avec le VIH, tout particulièrement les femmes, et leurs aspirations concernant la vie familiale ?
Cela fait presque 20 ans que le projet Grandes Sœurs a été lancé. Nous l’avons créé car nous savons d’expérience que beaucoup de femmes, environ 500 par an, vont apprendre leur séropositivité en cours de grossesse. On voit que les réactions des femmes concernées ne changent pas depuis 2008. Aujourd'hui encore, apprendre sa séropositivité lorsqu'on est enceinte reste un choc. Cela reste toujours aussi dramatique, catastrophique et douloureux pour la personne qui l’apprend. Une des grandes forces de ce projet est la solidarité qui en émane : une énorme solidarité. Les grandes sœurs dont nous parlons sont des femmes qui ont connu le choc de cette annonce, qui ont été dans cette situation catastrophique quelques années auparavant. Des femmes qui, une fois la tête hors de l’eau, lorsqu’elles ont repris le dessus, lorsqu’elles ont, pour certaines, obtenu un logement ou une solution d’hébergement, un travail, une situation stable, ont envie d’aider d'autres femmes confrontées à ce même choc. Ce projet permet à des femmes vivant avec le VIH enceintes de comprendre qu'elles aussi vont pouvoir s'en sortir ; que, certes, c'est un moment difficile à passer, vraiment très difficile, que cela peut laisser des séquelles, mais que la situation peut changer, en mieux, en bien. Beaucoup d’aspects entrent en ligne de compte : la façon dont la personne apprend son statut, la façon dont elle est accompagnée, la façon dont le corps médical l’accompagne à cette étape de son parcours. C’est très important d'être à l'écoute, d'avoir une attitude non discriminante, d'être bienveillante, de donner des perspectives, de faire part de son expérience pour expliquer ce qui va se passer et rassurer. En matière de grossesse, l'accompagnement par une paire peut vraiment aider la future maman à prendre le dessus plus rapidement et contribuer à ce que cette phase très douloureuse qui suit l’annonce soit raccourcie et qu'elle retrouve le « sourire » ; en tout cas qu’elle puisse mener une grossesse plus sereine le plus rapidement possible. Il est crucial qu'elle ne vive pas jusqu'au jour de l'accouchement, dans la panique et dans l'inquiétude. C’est d’autant plus important que nous voyons bien que certaines mamans vont énormément s'isoler, car, souvent, elles n’ont presque personne à qui parler de leur projet de grossesse ou de leur grossesse. Je ne sais pas si c'est uniquement le VIH qui a provoqué cela ou si c'est aussi le fait d'être issue de l'immigration. Mais je pense que le VIH renforce cet isolement. Il est difficile, par exemple, de ne pas pouvoir annoncer à un proche le sexe de son bébé à venir ou de donner des bonnes nouvelles, à la suite d’une échographie, ou de partager ce qu'on ressent comme joie ou comme inquiétude face à cette grossesse. Notre programme permet de pouvoir le faire de « grande sœur » à « petite sœur » et de partager des joies, des peines ; ce qui est important pendant une grossesse et aussi pendant les premiers mois de son bébé.
Quelles leçons en retenir ?
Comme je le disais, que cela reste encore une grande souffrance pour de très nombreuses femmes. La grossesse est un moment où le VIH ressort en fait. Parfois, on peut mener une vie où le VIH est un peu à l’arrière-plan, parce qu’on y pense moins souvent. On va à son rendez-vous médical tous les six mois, parfois tous les douze mois. Si le traitement va bien, il n'y a pas grand-chose dans la vie quotidienne qui ramène au VIH, mais lorsqu'il y a une grossesse, le VIH ressort plus fortement. Ce que nous avons aussi appris, c’est à quel point la question de l'allaitement, son non-accès en fait, était une souffrance. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons décidé de mettre le sujet sur la table. Ce qui se passait jusque-là n’était plus possible. Il fallait mettre fin au discours d’une partie des médecins qui consistait à opposer aux femmes enceintes vivant avec le VIH un refus sur le mode : « Ce ne sera pas possible pour vous », sans plus d'échanges ou d'explications. C'était vraiment un non catégorique. Trop souvent, la maman n'osait même pas exprimer sa déception et sa souffrance face à cette non-possibilité d'allaitement. Parfois, ces femmes osaient nous l'exprimer, venant expliquer que c'était vraiment très compliqué pour elle. Et ce d’autant, que dans de nombreuses communautés, si on n’allaite pas, on est montrée du doigt et considérée comme une femme séropositive puisqu'il n'y a quasiment aucune autre contre-indication à allaiter. Nous avons souvent entendu cette peur de la discrimination et le regret de ne pas pouvoir vivre ce lien avec son enfant qu’est l’allaitement. Et pour certaines elles avouaient avoir allaité en cachette du médecin le plus souvent pour échapper aux soupçons de l’entourage.
Remaides : Qu’attendiez-vous des nouvelles recommandations d’experts-es auxquelles vous avez participé ?
Nous avons contribué aux nouvelles recommandations concernant l’allaitement lorsqu’on est une femme vivant avec le VIH ; nous en attendons beaucoup. Pour l'instant, c'est encore le démarrage. Tout le monde est encore un peu frileux. On espère que les mamans vont pouvoir souffler et que celles qui le souhaitent pourront allaiter dans un accompagnement médical encadré et facilitant. Nous espérons que le choix de la patiente sera réellement pris en compte et qu’il y aura plus de dialogue sur ce sujet, même si le médecin doit expliquer à une patiente qui n’est pas dans un scénario optimal, c’est-à-dire une charge virale indétectable depuis au moins 6 mois et une adhésion à un bon suivi médical, qu’il n’est pas recommandé pour elle d’allaiter. Il faut prendre le temps pour lui expliquer et l’écouter. Mais cette situation est plus rare, l’énorme succès face à la PTME [prévention de la transmission de la mère à l’enfant, ndlr] montre que la plupart des femmes sont observantes.
Votre association a pour particularité d’avoir été créée par et pour des personnes vivant avec le VIH. Avec vos connaissances de terrain et des besoins, quelles sont les priorités pour les PVVIH en 2025 ?
LA priorité : c’est un accès effectif aux droits et aux soins. J'en ai déjà beaucoup parlé. Et aussi la question de la précarité, de l’accès à un hébergement, aux aides, bien sûr. Une autre priorité est la question de l'accompagnement sur le vieillissement ; notamment dans le fait de mieux diagnostiquer un vieillissement qui serait prématuré du fait des traitements ou de l'activité inflammatoire du virus… Autrement dit : qu’est-ce que l’avancée en âge change pour une personne vivant avec le VIH ? On sait que certaines comorbidités arrivent un peu plus tôt. Du coup, améliorer le dépistage d'un vieillissement pathologique pour prévenir des comorbidités (diabète, problèmes cardiovasculaires, etc.) ou des difficultés qui peuvent être plus facilement traitées, lorsqu'elles sont prises en charge tôt ; ce qui permet d’éviter des complications. L’avancée en âge se traduit, pour beaucoup, par une plus grande solitude, on doit réfléchir à une offre d’accompagnement appropriée, qui réponde aux besoins des personnes concernées. Sur ce sujet, il faut aussi penser aux situations de perte d’autonomie, aux habitats partagés, aux résidences pour seniors.
Nous vivons aujourd’hui des avancées thérapeutiques importantes comme les traitements injectables. Je pense que tout le monde n'y a pas accès ; dans le sens où tout le monde n'est pas informé. Tout le monde n'a pas un médecin qui le propose. Nous devons veiller à ce que l'ensemble des personnes vivant avec le VIH aient les informations nécessaires pour avoir accès à l'allègement thérapeutique aux injectables. C’est aussi valable pour la Prep, un outil de prévention qui n’est pas bien connu de tous les groupes. Nous devons continuer à promouvoir la Prep auprès de toutes les personnes qui pourraient en avoir besoin. Sur l'accompagnement de notre public, il y a l’enjeu de la lutte contre les discriminations, dont il a beaucoup été question lors des États généraux Nous devons donner une place aux personnes vivant avec le VIH pour participer à cette lutte contre les discriminations. Je pense que les États généraux l'ont vraiment fait parce qu’un groupe de personnes s’est constitué et mobilisé pendant ce week-end. C’étaient des personnes qui n'avaient pas forcément l’habitude de prendre la parole en public, de se dévoiler face au grand public. Le fait de permettre à des personnes de franchir ce pas, de parler en leur propre nom, de parler à visage découvert en tant que personne vivant avec le VIH de leurs besoins, de la discrimination qui est vécue à la première personne, je pense que c’est quelque chose qu'on doit vraiment maintenir dans la lutte contre le VIH. Cela a toujours été présent depuis le début de l’épidémie, cela a pu s’essouffler un peu ces dernières années ; ces États généraux ont permis de faire émerger la relève en quelque sorte.
Le Comité des Familles. 18, rue de la Mare. 75020 Paris.
Téléphone : 01 40 40 90 25
Métros : Ménilmontant (L.2) / Jourdain (L.11)
Bus : 96 (Henri Chevreau) / 26 (Pyrénées-Ménilmontant)
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