L’Actu vue par Remaides : « Patrick Papazian : « Le VIH est un virus qui enferme, qui isole, qui donne le sentiment d’être indigne d’amour »
- Actualité
- 12.08.2025
Crédit photo : Patrick Papazian par Xavier Héraud
Par Fred Lebreton
Patrick Papazian : "Le VIH est un virus
qui enferme, qui isole, qui donne
le sentiment d'être indigne d'amour"
À l’occasion du premier anniversaire des États généraux des personnes vivant avec le VIH, la rédaction de Remaides donne la parole à des participants-es et des professionnels-es qui accompagnent les PVVIH au quotidien. C’est le cas de Patrick Papazian, médecin sexologue hospitalier et intervenant en santé sexuelle dans plusieurs associations de lutte contre le VIH. Entretien.
Remaides : Pouvez-vous vous présenter ?
Patrick Papazian : Je suis médecin sexologue dans deux hôpitaux parisiens : l’hôpital Bichat (AP-HP) et l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP). J’exerce dans des services de maladies infectieuses, et mon activité est essentiellement consacrée aux personnes vivant avec le VIH. Par ailleurs, je tiens une rubrique sexo dans Remaides, que j’écris avec beaucoup de plaisir et de fierté depuis maintenant quatre ans. Je suis également l’auteur de plusieurs livres sur la sexologie et la sexualité, où je parle de ma pratique, mais aussi de sujets parfois encore tabous, comme la prostate ou le vagin. D’ailleurs, mon prochain livre sort le 22 mai aux éditions de l’Opportun. Il s’intitule « Le cocker du sexologue ».
Remaides : Il y a un an ont eu lieu les États généraux des personnes vivant avec le VIH, qui ont donné lieu à une série de recommandations. En quoi ce type de rassemblement est-il toujours important, plus de 40 ans après le début de l’épidémie ?
Pour moi, ce type d’événement reste absolument essentiel, et ce pour plusieurs raisons. La première, c’est que l’épidémie continue et que les défis évoluent constamment. Certes, l’espérance de vie entre personnes séronégatives et personnes séropositives est similaire aujourd’hui, mais on ne vit pas forcément bien avec le VIH. Il reste de nombreux problèmes, à tous les niveaux de la chaîne. En matière de prévention, par exemple, la Prep devrait être accessible à un public plus large. Aujourd’hui, elle est encore trop cloisonnée à certains milieux, principalement HSH — et encore, surtout aux gays. Un autre grand défi est le vieillissement des personnes vivant avec le VIH, qui pose de vraies questions sociales et médicales. Que signifie vieillir avec le VIH ? Que se passe-t-il quand on entre en Ehpad ? Ce sont des enjeux majeurs. Il y a aussi des sujets comme la parentalité, qui suscitent encore beaucoup d’interrogations malgré les progrès considérables des traitements. Prenons l’exemple de l’allaitement : grâce à la mobilisation des militants et des associations, les choses commencent enfin à évoluer pour les femmes vivant avec le VIH qui souhaitent allaiter. Bref, tout n’est pas réglé, et c’est une première raison fondamentale pour maintenir ces États généraux.
Remaides : La sérophobie a beaucoup été évoquée lors de ces États généraux…
C’est mon deuxième axe : La société, c’est-à-dire les personnes qui ne vivent pas avec le VIH, n’avance pas aussi vite que les traitements. Le poids du stigmate reste immense. Qui, aujourd’hui, peut dire librement au travail : « Demain, je prends ma journée. J’ai mon rendez-vous de suivi VIH à l’hôpital » ? Très peu de monde, en dehors de certains milieux bienveillants. Et puis, quelle maladie pourrait se passer d’un plaidoyer porté par les personnes concernées, même quand il existe des traitements ? Imagine-t-on dire que, parce que le diabète est pris en charge, on peut fermer la Fédération française des diabétiques ? Bien sûr que non. Et, plus spécifiquement dans mon domaine, la santé sexuelle et affective reste nettement moins bonne chez les personnes vivant avec le VIH que dans le reste de la population. La médecine avance plus vite que la société. Les États généraux permettent justement de trouver des pistes pour améliorer concrètement la vie des personnes concernées, et de faire en sorte que la société ne reste pas à la traîne. Et attention, la lutte contre le VIH reste fragile. Elle est sans cesse instrumentalisée politiquement, comme on le voit aujourd’hui aux États-Unis. Et ne nous y trompons pas : en France aussi, certains partis politiques — une fois au pouvoir — pourraient chercher à réduire les financements pour la recherche ou les droits des personnes vivant avec le VIH. Il faut rester vigilants et combatifs. Le troisième axe, c’est que le champ VIH, notamment le lien entre soignants et patients, constitue un véritable laboratoire d’idées, bien au-delà du VIH lui-même. C’est une autre raison pour laquelle ces États généraux doivent perdurer. J’ai presque envie de dire que c’est aussi une question d’altruisme : énormément d’initiatives et d’avancées dans d’autres domaines de la santé sont nées de la lutte contre le VIH. Le VIH a souvent montré la voie en matière d’engagement des patients. Des pathologies comme le cancer se sont largement inspirées de cette dynamique militante. Il suffit de voir la place qu’occupent aujourd’hui les patients autour de la table des décisions, y compris dans le cadre du Plan cancer en France — un plan qui doit beaucoup aux mobilisations du champ VIH. Les États généraux des personnes vivant avec le VIH, c’est donc un vivier d’actions, d’idées et de mobilisations qui doit absolument continuer à exister.
Crédit photo : Patrick Papazian par Xavier Héraud
Remaides : Parmi les recommandations établies par les participants-es aux États généraux des personnes vivant avec le VIH, l'une d'elles portait sur la nécessité de prendre soin de soi, notamment de sa vie affective et sexuelle, souvent négligée, voire reléguée au second plan. Est-ce un constat que vous partagez ? Quels besoins avez-vous identifiés dans vos consultations ou ateliers avec des personnes vivant avec le VIH ?
Non seulement je le partage, mais j’ose dire que la santé affective et sexuelle des personnes vivant avec le VIH est l’engagement central de ma pratique médicale, en tant que médecin, soignant et sexologue. Je parle souvent d’un chiffre que je cite dans presque tous mes exposés : le fameux « un sur deux ». Une personne vivant avec le VIH sur deux est en mauvaise santé sexuelle. C’est un chiffre stable, malheureusement, et bien supérieur à celui de la population générale. C’est un constat grave et c’est pourquoi j’y consacre toute mon énergie. Le VIH est un virus qui enferme, qui isole, qui donne le sentiment d’être indigne d’amour. Et ça, c’est viscéralement insupportable. Il n’y a aucune raison objective à cela, rien de tangible ni de scientifique : ce ne sont que des peurs irrationnelles, des tabous. Bien sûr, le message « I = I », ou « indétectable = intransmissible », a fait avancer les choses, mais à force de répéter qu’on est indétectable, on se demande de qui on parle. Est-ce le virus qui est indétectable ou la personne ? On a parfois l’impression qu’un pacte tacite a été passé entre les personnes vivant avec le VIH et la société : on vous donne les cachets, et en échange vous vous faites discrets, vous vous faites oublier. C’est le grand risque de cette formule. Quand j’entends quelqu’un dire : « Je suis indétectable », j’ai toujours un petit crissement intérieur, et je reformule. Je dis : « C’est votre charge virale qui est indétectable, mais vous, en tant que personne, vous êtes très détectable. Il faut qu’on vous voie, qu’on vous entende, qu’on vous reconnaisse ». Il n’y a aucune raison pour qu’un homme ou une femme soit invisible sous prétexte de vivre avec le VIH.
Remaides : Quid des besoins affectifs et sexuels des personnes vivant avec le VIH ?
Ils apparaissent tout au long du parcours de vie. D’abord dans la rencontre : que faire de ce statut sérologique souvent incompris ou mal compris ? Faut-il en parler ? Faut-il le taire ? La séropositivité stigmatise, dans un marché de l’amour et du sexe largement dominé par les applis de rencontres, qui favorisent le choix de la solution supposée la plus « simple » : aller vers une personne séronégative. On croit — à tort — que ce sera moins compliqué, que ça demandera moins d’efforts d’explication ou d’adaptation. Alors on zappe les séropositifs-ves. Ensuite, vieillir avec le VIH, c’est aussi vieillir avec des parcours de vie marqués par des tragédies, qui rendent l’intime compliqué. Le virus, bien sûr, mais aussi ce que vivent les personnes concernées : par exemple l’homosexualité, l’exil, la précarité, la transidentité, les discriminations multiples... Le VIH vient souvent s’ajouter à une accumulation de vulnérabilités. Ces trajectoires affectives et sexuelles sont parfois cabossées. Et puis il y a des enjeux très concrets, médicaux, qui touchent plus souvent les personnes vivant avec le VIH : diabète, maladies cardiovasculaires, troubles neurologiques, certains cancers — en particulier, ceux des organes génitaux ou de la zone anale — qui peuvent impacter directement la sexualité. Il faut les prendre en compte. Les besoins, donc, couvrent un grand écart entre le médical et le social. Et cela passe aussi par des lieux d’expression facilement accessibles. Il faut pouvoir parler de tout ça sans que ce soit uniquement dans un cabinet privé de sexologie à 120 euros la séance, non remboursée. Et surtout, il y a une autre difficulté à ne pas négliger : pour consulter un sexologue de ville, il faut faire un nouveau coming out sérologique. Il faut commencer par dire qu’on vit avec le VIH, avec le risque de tomber sur un professionnel peu formé à ces réalités. C’est un obstacle de plus, une mise en danger émotionnelle. C’est pourquoi ces espaces de parole doivent être ouverts, sécurisants, et pensés pour les personnes concernées.
Remaides : Quels outils ou types d’accompagnement faudrait-il développer pour aider les personnes vivant avec le VIH les plus isolées à s’épanouir dans leur vie affective et sexuelle ?
J’essaie d’avoir une approche à 360°, parce que les besoins sont nombreux et qu’il faut être à la hauteur. Pour moi, tout commence par l’intégration naturelle des consultations sexologiques dans les parcours de soins hospitaliers. Aller chez le sexologue devrait être aussi banal que d’aller chez le dermatologue, le proctologue ou le psychologue. C’est pourquoi je propose des consultations de sexologie intégrées à l’hôpital, dans le service public, avec un accès simple : même secrétariat que pour les consultations en infectiologie, même salle d’attente [pour Bichat et la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris, ndlr]. C’est fluide, discret, sans stigmatisation, et entièrement pris en charge. Mais il faut aussi sortir de l’hôpital, aller vers les personnes concernées. C’est l’objectif des consultations individuelles gratuites mises en place dans des associations comme Ikambere ou AIDES à Paris, deux projets lancés à l’automne 2024. L’idée, c’est d’ « aller vers », de s’inviter dans les lieux de vie, dans un cadre moins médicalisé, sans blouse blanche. Cela permet d’aborder les sujets intimes à hauteur d’individus, de créer une relation différente, plus directe. À côté des consultations individuelles, les ateliers collectifs ont aussi une place essentielle. Je les anime régulièrement avec AIDES Paris [lien de mobilisation de Paris 19, ndlr], Ikambere, mais aussi avec des associations comme Actions Traitements. Ces ateliers sont des espaces d’échange, de lien, où les participants réalisent qu’ils et elles ne sont pas seuls à vivre certaines difficultés. C’est fondamental pour rompre l’isolement et cela peut aussi ouvrir des portes vers des suivis individuels. Il m’arrive souvent de voir des personnes revenir ensuite pour une consultation, après avoir pris conscience, grâce au groupe, qu’elles avaient besoin d’un accompagnement plus personnel.
Remaides : Vous avez cité plus tôt votre rubrique sexo dans Remaides…
Oui, pour maintenir un climat propice à la parole, il faut aussi diffuser largement les thématiques liées à la sexualité et cela passe aussi par l’écrit. C’est ce que permet la rubrique sexo de Remaides, que j’anime. Elle offre une entrée en matière, elle donne aux gens le droit de parler. Et quel bonheur quand une personne arrive en consultation avec le magazine à la main, en me disant : « J’ai lu ça, j’aimerais en parler. » On essaie, dans cette rubrique, de balayer un spectre très large, en abordant des problématiques variées et en s’adressant à toutes les populations concernées. Enfin, il y a une dimension internationale et interculturelle qu’on ne peut pas négliger. C’est tout l’objet du programme Sexualités sans frontières, que nous avons lancé au Burundi et que nous allons développer au Cameroun. Il s’agit d’immerger des professionnels de santé, de former l’ensemble de la chaîne de soin, mais aussi de s’enrichir, nous, de la diversité des approches culturelles, notamment dans les pays africains. Cela nous rend meilleurs ici aussi, dans notre manière d’accompagner. Ce travail trouvera un écho lors du colloque Sexologie sans frontières, organisé le 2 octobre 2025 à la mairie de Paris, avec le soutien de Jean-Luc Romero-Michel [adjoint à la maire de Paris en charge des Droits humains, de l'Intégration et de la Lutte contre les discriminations, ndlr] et des Élus locaux contre le sida [dont l’élu est le fondateur]. L’objectif est clair : faire tomber les murs, visibles et invisibles, autour de la sexualité, et plus encore autour de celle des personnes vivant avec le VIH. En résumé, je souhaite que chaque personne vivant avec le VIH puisse se sentir « encerclée » — dans le bon sens du terme — par de la bienveillance, des ressources adaptées, des formats variés. Offrir le choix, c’est fondamental : choix du canal, du lieu, du format d’accompagnement. C’est cette liberté qui permet d’aborder ces sujets intimes dans la confiance, et donc d’en améliorer la prise en charge. Parce qu’on ne peut pas être bien accompagné si on est contraint à parler de notre intimité dans un cadre qui ne nous convient pas.
Actions Traitements.
23, rue Duris. 75020 Paris.
Téléphone : 04 43 67 66 00
Site web.
AIDES Paris 19
99, rue de Meaux. 75019 Paris
Téléphone : 01 81 69 59 88
Téléphone : 01 40 18 17 53
Site web.
Accès : métro ligne 5 arrêt Laumière.
Ikambere, la Maison accueillante
14b, rue Jules Saulnier
93200 Saint-Denis
Téléphone : 01 48 20 82 60
Infos : contact@ikambere.com
Site web.