L’Actu vue par Remaides : « À San Francisco, les acteurs et actrices du VIH en résistance face à Trump »
- Actualité
- 01.08.2025
Crédit photo : Anthony Leprince, Studio Capuche pour Remaides
Par Fred Lebreton
A San Francisco : les acteurs et actrices de la lutte contre le VIH en résistance face à Trump
Aux États-Unis, la réélection de Donald Trump a ravivé les pires craintes parmi les acteurs et actrices de la lutte contre le VIH. À San Francisco, haut lieu de mémoire et d’activisme, des personnalités engagées dressent un constat sans appel : derrière les coupes budgétaires et l’effacement des archives, c’est une véritable offensive politique et idéologique qui menace la démocratie, les minorités et la santé publique. Un retour en arrière ? Pas si les résistances, elles aussi, se réorganisent.
Une guerre contre l’histoire et la mémoire
Pour Gérard Koskovich, historien des luttes LGBT+ et VIH, basé à San Francisco, il ne s’agit pas seulement de commenter les débuts d’un mandat présidentiel. « Moi, je ne parle jamais de Trump. Je parle du régime MAGA », insiste-t-il d’emblée. Dans sa lecture critique, le 45e président américain n’est que « la marque » d’un système autoritaire porté par une alliance toxique entre conservatisme extrême et capitalisme technologique.
Gérard Koskovich. Photo : Fred Lebreton
« Ce ne sont plus seulement des dirigeants d’un État démocratique, ce sont ceux qui ont remplacé la démocratie pour imposer un régime autoritaire. » Le premier champ de bataille ? La mémoire queer. Gérard Koskovich évoque avec amertume la suppression des contenus LGBT+ sur les sites fédéraux. « Ils ont effacé les pages sur le monument national de Stonewall, supprimé toutes les références aux personnes trans et queer. Ce qui restait n’avait plus aucun sens : une sorte de ruine saccagée. » Cette stratégie d’effacement systémique a frappé de plein fouet le travail des historiens-nes et des archivistes. L’historien, qui avait contribué au rapport LGBT+ du Service des parcs nationaux sous Barack Obama, compare la disparition numérique de ces archives à un « autodafé ». Et de rappeler qu’historiquement : « Les fascistes commencent toujours par-là : par les symboles. Par les livres. On brûle les livres. »
Des patients-es invisibilisés-es, des chercheurs-ses asphyxiés-es
Si les atteintes symboliques sont profondes, les conséquences concrètes sur la santé publique le sont tout autant. Médecin spécialisée dans le VIH, la Dre Monica Gandhi, responsable de la clinique Ward 86, en voit les effets immédiats sur ses patients-es.
« Lors d’un discours devant le Congrès, Trump a nié l’existence même des personnes transgenres. Or, j’ai des patients et patientes transgenres. Leur existence est une réalité indéniable. » Cette négation idéologique se double d’attaques financières : « Je suis très inquiète des coupes budgétaires annoncées pour les NIH [Les Instituts nationaux de la santé, ndlr] », alerte-t-elle.
Monica Gandhi. Photo : Fred Lebreton
Pour Monica Gandhi, ces décisions ne sont pas isolées : elles visent précisément les populations les plus marginalisées. « Il y a aussi des attaques ciblées contre les communautés que nous voulons justement étudier et aider grâce à de meilleurs traitements et des programmes de prévention. » La chercheuse puise cependant dans la mémoire militante un motif d’espoir : « Ce que je retiens, c’est que le mouvement de lutte contre le VIH a changé le monde, même dans un contexte très hostile. Si nous nous mobilisons, je sais que nous pouvons faire bouger les choses. »
Une démocratie fragilisée, une communauté mobilisée
Pour Cleve Jones, fondateur du AIDS Memorial Quilt et compagnon de route d’Harvey Milk [une des grandes figures militantes LGBT de San Francisco, ndlr], le danger dépasse de loin la seule sphère sanitaire : c’est la démocratie elle-même qui vacille. « J’ai peur, bien sûr. Je ressens un niveau de terreur que je n’ai pas connu depuis la semaine où j’ai appris que j’étais séropositif. » Ce climat d’insécurité n’est pas seulement émotionnel :
« Elon Musk a mis la main sur toutes les informations fiscales des contribuables, sur toutes les données de la Sécurité sociale. »
Cleve Jones. Photo : Fred Lebreton
La surveillance de masse, les pouvoirs d’exception, l’emprise sur les institutions : pour Cleve Jones : « Nous sommes dans une situation totalement nouvelle ». Pourtant, il continue de croire à l’organisation populaire. Son expérience syndicale l’a convaincu que la solidarité ne passe pas par des slogans numériques : « Dans mon syndicat, si nous voulons organiser un mouvement social, nous ne mettons pas ça sur TikTok. Nous envoyons des organisateurs sur place. Ils commencent à parler avec les employés, à écouter leurs histoires. » C’est aussi dans le lien direct, dans l’écoute, que naît la résistance : « Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est de se retrouver face à face, les yeux dans les yeux. »
La recherche en danger, les alliances fragilisées
Journaliste médicale spécialisée dans le VIH depuis plus de 30 ans, Liz Highleyman observe avec inquiétude les signaux envoyés par le gouvernement. « La recherche sur le VIH est particulièrement menacée par d’éventuelles coupes budgétaires, car elle ne produit pas de résultats concrets à court terme. »
Liz Highleyman. Photo : Fred Lebreton
Elle rappelle pourtant que cette recherche a bénéficié à bien d’autres domaines, y compris la mise au point des vaccins contre la Covid-19. Pour elle, le démantèlement progressif des financements menace à la fois la recherche fondamentale et l’accès aux soins. « À San Francisco, le financement est solide, mais d’autres régions, notamment dans le Sud, investissent beaucoup moins. » Et les perspectives sont floues : « Certains États comme la Californie et New York tenteront probablement de combler une partie du manque, mais ils font aussi face à des restrictions budgétaires. » Sur le plan international, c’est l’avenir du programme Pepfar [President's Emergency Plan for AIDS Relief ou Plan d'urgence du président pour la lutte contre le Sida, ndlr] qui inquiète le plus : « Ceux qui, pour reprendre une expression d’Elon Musk, "prennent la tronçonneuse" pour réduire les dépenses ne semblent pas se soucier des conséquences. » La journaliste espère que le soutien bipartisan [Républicains et Démocrates, ndlr] qui a permis à Pepfar d’exister depuis 2003 tiendra bon, mais concède : « Les professionnels qui travaillent en Afrique dans les services liés au VIH/sida affirment le contraire. Ils témoignent des conséquences dramatiques de ces réductions de financement. »
Résister, documenter, reconstruire
San Francisco, un des bastions de la résistance à Donal Trump.
Photo : Fred Lebreton
Face à ces offensives multiples — contre la mémoire LGBT+, contre les soins, contre la recherche, contre les institutions —, chacun-e des quatre témoins que nous avons rencontrés pose un même diagnostic : ce que nous vivons n’est pas le résultat d’une simple alternance politique. C’est une tentative organisée de démanteler les acquis de décennies de luttes, et d’effacer méthodiquement les voix des plus vulnérables et leur histoire. Mais tous et toutes insistent aussi sur le pouvoir des résistances. Gérard Koskovich conclut : « On n’est plus dans les années 50, et on n’y retournera pas. Ils ne peuvent pas effacer notre histoire. Parce qu’elle est partout — grâce à nous. » Liz Highleyman, elle, parie sur l’intelligence collective : « La recherche sur le VIH a toujours été un modèle de coopération mondiale. C’est cette force-là qu’il faut préserver. » Cleve Jones appelle à une alliance entre les luttes sociales et LGBT+ : « Ce n’est qu’un seul mouvement. Et nous devons le construire autrement. » Monica Gandhi, enfin, trace une ligne d’horizon : « Nous avons toujours lutté, nous avons toujours obtenu des changements. Et nous allons continuer, ensemble, à traverser cette période difficile et à renverser la situation. »
Qui est Cleve Jones ?
Cleve Jones (né en 1954) est une figure emblématique du militantisme LGBT+ et de la lutte contre le VIH/sida à San Francisco. Bras droit d’Harvey Milk dans les années 1970, il cofonde en 1983 la San Francisco AIDS Foundation. En 1985, il lance son initiative majeure : le AIDS Memorial Quilt — le Patchwork des noms, devenu la plus grande œuvre d’art communautaire au monde. Auteur de ses mémoires When We Rise (2016), Cleve Jones est également un organisateur syndical engagé et un conseiller actif auprès de mouvements de justice sociale. Il continue aujourd’hui de défendre la mémoire queer, la solidarité et l’accès aux soins, en combinant action locale et plaidoyer national.
Qui est Monica Ghandi ?
Monica Gandhi est médecin et professeure spécialisée dans les maladies infectieuses et la santé publique. Enseignante à l'université de Californie à San Francisco (UCSF), elle dirige le Centre de recherche sur le sida UCSF-Gladstone et la clinique VIH Ward 86. Ses travaux portent sur la prévalence du VIH chez les femmes, la Prep et les traitements pendant la grossesse. Diplômée de Harvard et de l'UCSF, elle a obtenu une maîtrise en santé publique et s’est engagée dans la lutte contre le VIH après avoir été sensibilisée aux discriminations subies par ses amis homosexuels. Récompensée par plusieurs distinctions, elle a été coprésidente de la conférence AIDS 2020.
Qui est Gérard Koskovich ?
Historien et libraire spécialisé, Gérard Koskovich incarne depuis plusieurs décennies une figure centrale de la préservation de l’histoire LGBT+. Résidant entre San Francisco et Paris, il est l’un des membres fondateurs de la GLBT Historical Society, institution emblématique dédiée à la conservation et à la valorisation du patrimoine queer. À travers ses recherches et ses interventions publiques, Gérard Koskovich milite pour que les récits LGBT+ trouvent toute leur place dans l’histoire collective, en particulier dans les espaces urbains comme San Francisco, ville dont il a largement contribué à documenter les lieux historiques queer.
Qui est Liz Highleyman ?
Liz Highleyman est une journaliste américaine basée à San Francisco, spécialisée dans le VIH, les hépatites virales et la santé publique. Diplômée de la Harvard School of Public Health, elle a débuté son engagement à la fin des années 1980 au sein d’Act Up Boston, un collectif militant pour les droits des personnes vivant avec le VIH. À partir de 1996, la journaliste commence à couvrir l’actualité scientifique autour du VIH pour le Bay Area Reporter (BAR). Liz Highleyman a collaboré avec de nombreuses publications spécialisées, dont POZ, Aidsmap, Positively Aware, HCV Advocate, The Well Project et Bulletin of Experimental Treatments for AIDS (BETA), publié par la San Francisco AIDS Foundation.