L’Actu vue par Remaides : « "Sida, Mémoires Vives" : une plateforme pour ne pas oublier nos disparus-es »
- Actualité
- 30.06.2025
Crédit photo : Sida, Mémoires Vives
Par Fred Lebreton
"Sida, Mémoires vives" : une plateforme pour ne pas oublier nos disparus-es
Mikaël Zenouda est secrétaire général des Ami·es du Patchwork des Noms. Hugues Demeusy, convaincu de la nécessité de « Sida, Mémoires Vives », a rejoint le projet pour lui donner de l'impulsion. Dans un entretien accordé à Remaides, les deux militants présentent la plateforme collaborative « Sida, Mémoires Vives ». Ce projet francophone recueille les hommages à des personnes disparues des suites du sida, les récits de « survivant-es » et les témoignages de soignants-es, pour raviver une mémoire trop souvent tue. Entretien.
Remaides : Pouvez-vous présenter la plateforme « Sida, Mémoires Vives » ? Quelle a été l’impulsion de départ pour créer cette plateforme, et quels manques vient-elle combler dans la mémoire collective du VIH/sida en France ?
Mikaël Zenouda : Sida Mémoire Vives, c’est une plateforme numérique et collaborative qui rassemble les trajectoires de vies de personnes séropositives. Elle se décline en trois volets : des témoignages à propos de personnes séropositives décédées, racontées par leurs proches à travers des récits écrits, des photos ou des entretiens filmés ; des récits de personnes vivant avec le VIH depuis plus de 15 ans, qui évoquent un souvenir marquant du passé, un moment présent et un message pour le futur ; des témoignages de soignants et d’accompagnants, qui ont suivi et soutenu des personnes séropositives.
Remaides : Cette plateforme s’inspire-t-elle du compte Instagram AIDS Memorial (voir encart en fin d'interview) ?
Mikaël Zenouda : Oui, en partie. L’initiative vient de l’association Les ActupienNEs. Nous avions déjà travaillé sur des mémoriaux, notamment celui des sportifs-ves séropositifs-ves des Gay Games. Beaucoup de personnes trouvaient AIDS Memorial pertinent, contemporain et utile pour la préservation et la transmission de souvenirs. Mais, il n’y avait rien de similaire dans le monde francophone. Nous avons donc lancé notre propre plateforme, en lien avec le Patchwork des Noms, qui en assure aujourd’hui la gestion sur le site et les réseaux sociaux.
Remaides : Qui peut participer à cette plateforme et comment contribuer ?
Hugues Demeusy : Toutes les personnes souhaitant rendre hommage à une personne décédée du sida sont les bienvenues. Il suffit de nous écrire (voir adresse sur le site). On peut envoyer un texte avec une photo. Pour les témoignages vidéos, c’est plus complexe : il faut prévoir un peu de temps et signer des autorisations. Mais l’espace est ouvert à tous ceux qui souhaitent perpétuer la mémoire de leurs « chers disparus ». Et c’est important aussi de recueillir la mémoire des soignants et des accompagnants. Ils témoignent de leur quotidien, de leur vécu, et cela permet d’apporter une autre facette, un autre regard sur l’histoire de l’épidémie.
Remaides : Que vous disent les personnes qui vous transmettent leurs témoignages ?
Hugues Demeusy : Avant tout, c’est un besoin de transmission, de ne pas oublier. Beaucoup de personnes sont mortes dans la souffrance, parfois dans l’abandon ou le rejet. Les proches expriment cela dans leurs hommages. Ils veulent dire que ces vies ont compté, que ces morts sont injustes. Ces personnes sont souvent décédées jeunes, alors qu’elles avaient encore tant à vivre. Ce sont des pertes immenses.
Remaides : On sent à travers cette initiative une volonté forte de faire vivre cette mémoire dans le présent, via les réseaux sociaux notamment. Quel rôle peuvent jouer ces supports numériques dans la lutte contre l’oubli ?
Hugues Demeusy : Cela s’inscrit dans un mouvement plus large de mémoire, avec les archives LGBTQIA+ notamment. Les réseaux sociaux permettent de toucher un public très large, toutes générations confondues. Même si ces outils paraissent éphémères, ils sont complémentaires du Patchwork des Noms, qui s’inscrit lui dans la durée. Tous les hommages sont d’ailleurs repris sur son site.
Remaides : Est-il prévu d’éditer un livre un jour ?
Mikaël Zenouda : Non, pour l’instant ce n’est pas à l’ordre du jour. Le format numérique nous convient. Et puis, on laisse le temps aux gens. Ce n’est pas facile d’écrire ou de filmer un hommage. Les souvenirs sont parfois enfouis. Pendant longtemps, ces récits n’ont pas été écoutés. Il faut laisser émerger tout cela.
Hugues Demeusy : Le dispositif est encore peu connu. Et en France, contrairement aux pays anglo-saxons, il semble y avoir une vraie pudeur à parler de cette période douloureuse. Certains ne veulent pas raviver la douleur. Mais on propose évidemment un accompagnement aux personnes qui le souhaitent. Si quelqu’un ne se sent pas à l’aise pour écrire, on peut l’aider, bien sûr. Notre objectif est d’incarner ce qu’il y a derrière les statistiques. Derrière les chiffres, il y a des visages, des histoires. Il faut remettre de l’humain dans ce qui a été une catastrophe. C’est notre ambition.
The AIDS Memorial : un espace de mémoire et de dignité sur Instagram
Sur Instagram, le compte @theaidsmemorial rend hommage aux personnes décédées des suites du sida à travers des récits personnels et des photographies partagées par leurs proches. Créé en avril 2016 par Stuart, un Écossais souhaitant rester anonyme pour « ne pas détourner l'attention de la cause, » ce « mémorial numérique » collecte des témoignages qui célèbrent la vie, l'amour et la perte, tout en luttant contre la stigmatisation persistante liée au VIH/sida. Chaque publication, souvent accompagnée du hashtag #WhatIsRememberedLives, offre un aperçu intime de la vie des personnes disparues, qu'elles soient célèbres ou anonymes. Ces histoires, parfois synchronisées avec les dates d'anniversaire des défunts-es, rappellent l'importance de préserver la mémoire collective de l'épidémie de sida et de ses victimes. Avec plus de 13 000 publications et une communauté de plus de 317 000 abonnés-es, The AIDS Memorial est devenu un espace de recueillement et d'éducation, sensibilisant les générations actuelles aux réalités passées et présentes du VIH/sida.