L’Actu vue par Remaides : « Chemsex : les propositions de la Fédération Addiction et de AIDES pour une stratégie nationale efficace »
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- 23.06.2025
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Par Jean-François Laforgerie
Chemsex : les propositions de la Fédération Addiction et de AIDES pour une stratégie nationale efficace
Trois ans après un rapport resté lettre morte sur le chemsex, et à six mois d’une feuille de route gouvernementale promise mais encore floue, AIDES et la Fédération Addiction publient leurs propres propositions. Objectif : structurer enfin une réponse nationale à la hauteur de cette pratique qui concerne jusqu’à 200 000 personnes en France. Le plaidoyer pose les bases d’un plan réaliste, financé et centré sur les besoins des personnes concernées. À l’État maintenant de jouer.
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La dernière initiative gouvernementale d’importance en matière de prise en charge du Chemsex date de mars 2025. Il s’agit d’un discours devant l’Assemblée nationale : celui de Yannick Neuder, ministre chargé de la Santé et de l'Accès aux soins. Le propos ministériel se tient à l’occasion de l’examen dans l’hémicycle d’une proposition de résolution portée par la députée (Ensemble pour la République) Brigitte Liso et plusieurs de ses collègues. La résolution (qui n’a aucun caractère contraignant) se borne à demander la mise en place d’une « stratégie nationale de prévention sur le chemsex », sous-entendu que cela n’existe pas ; du moins pas encore.
Pourtant en mars 2022 (trois ans plus tôt), le ministère des Solidarités et de la Santé de l’époque, alors dirigé par Olivier Véran, avait reçu le rapport commandé au professeur Amine Benyamina, psychiatre et addictologue (APHP, Paris). Sur quelque 74 pages, le Rapport Chemsex s’efforçait notamment de « qualifier et quantifier le phénomène au sein de l’ensemble des personnes concernées ». Il proposait « une stratégie de réduction des risques liée à l’usage des drogues utilisées dans le cadre du chemsex », assortie d’une « stratégie de prévention et de prise en charge » et complétée d’une « stratégie de suivi de cette pratique ― indicateurs, enquête, recueil de données. » Plusieurs associations, dont AIDES, avaient adressé des contributions, qui figurent en annexe.
Le rapport était sorti, recommandant de faire vite, d’autant que, selon les chiffres du rapport, entre « 100 000 et 200 000 personnes » étaient alors concernées en France, mais rien de concret n’avait été fait.
Dans son discours de mars 2025 (trois ans après la sortie du rapport), Yannick Neuder a annoncé une « feuille de route » pour septembre 2025, évoquant, entre autres, la « pérennisation des centres de santé et de médiation en santé sexuelle (CSMSS) ». Il expliquait d’ailleurs que les CSMSS « ont la capacité de développer des parcours complets de prévention, de réduction des risques et de prise en charge pour les personnes pratiquant le chemsex, qui représentent environ 40 % de leur file active.
Le ministre poursuivait par un éloge de « l'approche combinée » (professionnels-les de santé, membres d'associations, élus-es locaux-les ou personnels des agences régionales de santé) et saluait une « expérimentation très prometteuse, Arpa-chemsex – accompagnement en réseau pluridisciplinaire amélioré » contre les addictions, développée conjointement par la Fédération Addiction et par AIDES. Cette expérimentation a « permis de mettre en place, dans six villes pilotes – Aix-Marseille-Provence, Bordeaux, Lille, Lyon, Montpellier et Paris –, une offre d'accompagnement en réseau pluridisciplinaire spécifiquement pensée pour les personnes pratiquant le chemsex. Le projet vise à rapprocher les structures appartenant au champ de la santé sexuelle de celles qui relèvent de l'addictologie et de la santé mentale, dont l'importance est tout aussi cruciale », indiquait alors Yannick Neuder. La proposition de résolution de Brigitte Liso a été mise au vote et adoptée à l’unanimité. Reste que septembre, c’est loin, surtout pour des annonces, qui tomberont, sans doute, dans un contexte financier très contraignant, laissant peu de marges de manœuvre.
Une partie de la société civile ne veut plus attendre
C’est avec la volonté de mettre en place des « réponses concrètes et adaptées » aux enjeux du chemsex que la Fédération Addiction et AIDES ont récemment publié leurs propositions pour une « stratégie nationale ». Si le chemsex est de plus en plus évoqué dans le débat public et dans des termes qui traduisent l’inquiétude, il n’en demeure pas moins que les pouvoirs publics ne sont toujours pas passées à l’action. S’appuyant sur leur expérience de terrain, les deux organisations ont donc décidé de travailler ensemble à un document qui entend faire date en « proposant des mesures concrètes et réalistes pour structurer une réponse nationale au plus près des besoins » des personnes concernées. L’objectif n’est rien moins que de « transformer les constats en politiques publiques efficaces et financées ».
Un plaidoyer commun : Répondre au défi du chemsex – Propositions pour une stratégie nationale
Ce document (Répondre au défi du chemsex – Propositions pour une stratégie nationale), publié, il y a quelques semaines, propose des pistes d’action concrètes, qui sont « issues de plusieurs années d’expériences de terrain au plus près des personnes concernées. »
Aujourd’hui, les différentes parties prenantes s’accordent sur le constat que le chemsex soulève « des enjeux sanitaires, sociaux et de santé mentale majeurs ». D’ailleurs, depuis plus de dix ans, de nombreux-ses acteurs-rices (professionnels-les de l’addictologie, militants-es et experts-es de la santé communautaire, du soin et de la réduction des risques) développent des réponses adaptées, souvent en lien étroit avec les personnes concernées. Ces initiatives sont indispensables, mais elles ne dessinent pas pour autant une stratégie nationale, ni ne traduisent un engagement pérenne des pouvoirs publics. Ce plaidoyer entend y remédier en soulignant les « solutions déjà mises en œuvre pour nourrir et orienter les politiques publiques ». « Il s’agit désormais de structurer cette action collective, de renforcer ce qui fonctionne, et de soutenir durablement les dispositifs », expliquent la Fédération Addiction et AIDES.
Les propositions s’articulent autour de quatre priorités complémentaires :
- Lutter contre la stigmatisation : en construisant des réponses respectueuses des parcours de vie, des sexualités et des usages de chacun-e, pour faciliter l’accès aux droits et aux soins ;
- S’appuyer sur les approches communautaires: en valorisant le rôle des pairs-es, des lieux de sociabilité et des acteurs-rices communautaires dans la prévention, l’écoute et l’accompagnement ;
- Renforcer les réseaux de professionnels-les formés-es et coordonnés-es : médecins, sexologues, psychologues, pairs-es-aidants-es… pour proposer une prise en charge pluridisciplinaire et continue ;
- Mettre fin à la pénalisation de la consommation : qui freine l’appel aux secours en cas de surdose et constitue un frein majeur à l’accès à la prévention et aux soins.
Pour les deux organisations, le plan d’action proposé est « réaliste » et « opérationnel ». Il a l’énorme avantage d’être « directement issu des besoins exprimés par les personnes concernées ». Il est « porté par des professionnels-les de santé, de la réduction des risques, du soin, ainsi que des intervenants-es communautaires. » La balle est désormais dans le camp des pouvoirs publics. « Il est temps que les pouvoirs publics s’engagent pleinement : les solutions existent, elles doivent être soutenues, consolidées et financées. Ce plaidoyer vise à transformer l’attention portée au chemsex en une stratégie nationale à la hauteur des enjeux », concluent la Fédération Addiction et AIDES. On verra en septembre si cet appel a été entendu.
Pour lire ce document en intégralité.
En bref, d'autres informations sur les produits
Drogues : La France insoumise veut ouvrir une salle de consommation à moindre risque à Nantes
En campagne. Les Insoumis-es nantais-es ambitionnent d’ouvrir une salle de consommation à moindre risque dans la cité des ducs, en cas de victoire aux municipales de 2026, indique un article du Figaro (17 juin). Il s’agit plus précisément d’une « halte soins addictions » (HSA), un dispositif qui a pris le relais des anciennes SCMR (salles de consommation à moindre risque ; deux à ce jour en France). La proposition figure « au milieu des propositions pour une politique de sûreté », qui ont été dévoilées lundi 16 juin lors de la présentation du programme de la France Insoumise pour les élections municipales de 2026. L’objectif annoncé est de « limiter les pratiques à haut risque » et de « renforcer le suivi sanitaire et social » des personnes usagères de drogues. Comme le mentionne Le Figaro, cette proposition « intervient dans un contexte particulier ». D’abord, les projets de créer une salle de consommation ont surtout été portés (sans succès à ce jour) à Marseille ou Bordeaux. Ensuite, la Loire-Atlantique est la circonscription du député LFI Andy Kerbrat, exclu temporairement de l’Assemblée nationale en mai dernier pour achat de drogue dans le métro parisien. Le député LFI a, par ailleurs, toujours été un défenseur de la RDR en matière d’usage de produits. Le parlementaire est depuis dans un parcours de soins, qu’il avait évoqué en février dernier lors d’une interview à la télévision. À n’en pas douter, cette proposition fera débat. À suivre.
La consommation de drogues et d'alcool au travail a « explosé »
La consommation de drogues et d'alcool au travail a explosé entre 2017 et 2025, d'après une étude publiée par iThylo (groupe Aperli), jeudi 12 juin, et que révèle franceinfo. Cette consommation a augmenté de 107 % en huit ans. Le document souligne, notamment, une très forte augmentation de la consommation de cocaïne, avec treize fois plus de cas positifs détectés en 2025 qu'en 2017. iThylo a choisi un nom pour son étude : « Révéler ce qui ne se voit pas ». En 2025, 5,3 % des travailleurs-ses dépistés-es ont été testés-es positifs-ves à l'alcool ou aux stupéfiants, contre 2,6 % en 2017, soit cette augmentation de 107 %. La cocaïne arrive en tête des produits les plus consommés. « Plus de treize fois plus de tests positifs en 2025 par rapport à 2017, avec une hausse continue depuis la fin de la Covid », explique l’étude. « Autrefois réservée à certains milieux festifs ou cadres urbains, elle s’est aujourd’hui installée jusque sur les chantiers, dans les entrepôts ou les ateliers, comme en témoignent plusieurs cas groupés », observe iThylo. La cocaïne n'est cependant pas la drogue la plus utilisée dans le cadre du travail, le cannabis « reste la substance la plus dépistée » avec 1,8 % de tests positifs. Concernant l'alcool, il est plus régulièrement consommé par des personnes qui travaillent le soir ou la nuit, avec « un net pic en soirée, notamment après 17h et les vendredis, avec des taux jusqu’à deux fois supérieurs à la moyenne. » iThylo donne aussi des informations concernant le profil des personnes consommatrices. Ce sont en priorité les « travailleurs précaires », surtout les intérimaires. Des salariés-es qui subissent des conditions de travail difficiles, que ce soit à travers « des horaires décalés », « des logements collectifs temporaires », la « faible intégration au collectif » ou encore qui subissent « un isolement » ou un « manque d'accès à l'information » qui sont concernés-es. « Bien qu’ils ne représentent que 15 % de l’échantillon total, ils concentrent à eux seuls 25 % des cas positifs au cannabis, 31 % des cas positifs à la cocaïne et 18 % des cas positifs à l’alcool », souligne l'étude. Selon les auteurs-rices de cette étude, cités-es par franceinfo, les résultats obtenus « pointent une consommation banalisée, souvent silencieuse, parfois collective, qui s’ancre dans les fragilités structurelles du monde du travail et met en lumière les angles morts des politiques de prévention classiques ». Pour changer cette dynamique, iThylo appelle à porter une politique « efficace » de prévention des addictions.
Méthodologie : « L’étude repose sur l’analyse de 110 884 dépistages inopinés réalisés entre janvier 2017 et avril 2025 en entreprises. Les tests ont été menés dans le strict respect du cadre juridique autorisé par le code du Travail, par du personnel de santé externe et formé », indique Aperli.
Kétamine : tendances récentes en matière d’offre et de consommation selon l’OFDT
Le 11 juin, l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) a publié une note de synthèse actualisée sur les connaissances sur les usages « illicites » de kétamine. Substance aux propriétés hallucinogènes et dissociatives, la kétamine a été synthétisée pour la première fois dans les années 1960 et utilisée en médecine pour ses effets anesthésiques. Elle est apparue « dans les usages festifs français à la fin des années 1990 ». Selon l’OFDT, sa « consommation reste marginale en population générale, y compris chez les jeunes, comparée à d’autres produits tels que la MDMA ou la cocaïne ». En 2023, en France, 2,6 % des adultes âgés-es de 18 à 64 ans avaient expérimenté la kétamine et 0,6 % en avaient fait usage dans l'année précédant l'enquête. « Depuis les années 2010, les observations menées par le dispositif TREND révèlent toutefois une diffusion progressive de la kétamine auprès de publics plus variés sur le plan socioculturel, mais déjà familiers des usages de drogues », indique l’OFDT. Longtemps perçue comme une substance dangereuse, « notamment en raison de son usage en médecine vétérinaire et de l’intensité de ses effets », la kétamine est désormais associée à une diversité de fonctions : recherche d’hallucination, effets stimulants, soulagement de souffrances psychiques ou physiques, gestion d’autres usages problématiques comme l’alcool, les opioïdes ou les médicaments psychotropes. Par ailleurs, indique l’OFDT, les contextes de consommation se diversifient : évènements festifs variés, consommations solitaires, chemsex. Les prix baissent, les réseaux d’approvisionnement se multiplient, l’accessibilité est meilleure. Cela a favorisé une diffusion plus large de la « ké ». « Au-delà de la dépendance, les observations les plus récentes mettent en évidence des dommages importants sur la santé, notamment des troubles urinaires ou néphrologiques, chez les personnes usagères régulières.
Un document fait le point complet sur ce produit. Les données et analyses présentées s’appuient sur près de vingt ans de collectes de données par l’OFDT, notamment à travers le dispositif Tendances récentes et nouvelles drogues (TREND).