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    L'Actu vue par Remaides : « CABOPrep : une étude française sur la Prep injectable tous les deux mois »

    • Actualité
    • 23.05.2025

    LOGO CABOPREP

    Crédit photo : ANRS | Maladies infectieuses émergentes

    Par Fred Lebreton

    CABOPrep : une étude française sur la Prep injectable tous les deux mois

    Médecin infectiologue à l’AP-HP et chercheur à l’Université Paris Cité, le Dr Geoffroy Liegeon coordonne l’étude ANRS CABOPrep, dédiée à la Prep injectable par cabotégravir. Dans un entretien accordé à Remaides, il présente les promesses de ce traitement à longue durée d’action, administré tous les deux mois. Il évoque aussi les défis liés à sa mise en œuvre et l’urgence d’élargir l’accès à la Prep à des publics encore trop souvent oubliés. La commercialisation de ce traitement est prévue en France pour le dernier trimestre 2025.

    Remaides : En quelques mots, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est l’étude CaboPrep et ce qu’elle cherche à démontrer ?

    Geoffroy Liegeon : L’étude CABOPrep est un projet financé et soutenu par l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes. Elle vise à mieux comprendre l’impact de la prophylaxie pré-exposition (Prep) du VIH par cabotégravir injectable, une nouvelle forme de PrEP qui s’administre tous les deux mois par voie intramusculaire dans le muscle fessier L’étude s’intéresse en particulier à l’observance et à la durée d’utilisation de cette Prep en France chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH). En effet, les données épidémiologiques actuelles montrent que, malgré une augmentation constante du nombre d’usagers de la Prep en France, des difficultés persistent en matière d’observance et de maintien dans le temps de cette prophylaxie. Quelques chiffres à ce sujet : environ 20 % des utilisateurs arrêtent la Prep dans les six mois suivant son initiation et de nombreuses nouvelles infections par le VIH concernent d’anciens usagers de la Prep, ce qui soulève la question d’une certaine « fatigue » liée à à l’utilisation de la Prep orale. Cette lassitude peut mener à un arrêt prématuré de la prophylaxie. L’objectif de ANRS CABOPrep est donc d’évaluer si une offre de Prep injectable permettrait à certains usagers d’utiliser la PrEP de façon plus prolongée dans le temps et avec une meilleure observance.

    Remaides : Pourquoi avoir choisi de comparer la Prep orale actuelle à base de TDF/FTC avec le cabotégravir injectable à longue durée d’action ? Quels avantages potentiels espérez-vous observer ?

    L’étude ANRS CaboPrep est un essai randomisé. Cela signifie que les participants sont répartis, par tirage au sort, en deux groupes : l’un poursuit la Prep orale « classique » à base de TDF/FTC [ténofovir disoproxil fumarate/emtricitabine, ndlr], l’autre passe à la Prep injectable à base de cabotégravir de longue durée d’action. Cette comparaison nous permettra de mieux comprendre les avantages relatifs au cabotégravir injectable par rapport à la Prep orale. Parmi les bénéfices potentiels que nous espérons observer dans le groupe Prep injectable, il y a une amélioration de l’observance, une meilleure couverture des rapports sexuels non protégés par un préservatif, une assiduité renforcée aux visites de suivi — car beaucoup de personnes sous Prep orale ont des difficultés à maintenir un suivi régulier —, ainsi qu’un plus haut niveau de satisfaction des usagers vis-à-vis de leur Prep.

    Remaides : À qui s’adresse précisément cette étude et quelles sont les conditions pour y participer ?

    Cette étude s’adresse à des hommes cisgenres ayant des rapports sexuels avec des hommes, séronégatifs au VIH, qui utilisent la Prep orale depuis au moins six mois et qui ne présentent pas de contre-indication à l’injection intramusculaire de cabotégravir. Pour y participer, il faut se rapprocher de l’un des huits centres parisiens de l’AP-HP impliqués dans l’étude. Ce sont des centres déjà engagés dans des recherches précédentes de l’ANRS | MIE comme les études ANRS Prévenir ou IPERGAY. CaboPrep est une étude dite de « switch » : elle s’adresse donc uniquement à des personnes déjà sous Prep orale depuis au moins six mois.

    Remaides : L’étude CaboPrep comprend-elle des volets complémentaires pour approfondir certains aspects ?

    Tout à fait, l’étude ANRS CaboPrep comprend également trois sous-études. La première est une étude socio comportementale, qui s’appuie notamment sur des groupes de discussion avec les participants et les professionnels de santé. L’objectif est de mieux comprendre les freins et les leviers à l’utilisation de cette Prep injectable, non seulement du point de vue des usagers, mais aussi du côté des professionnels de santé impliqués dans les centres de l’étude. La deuxième est une sous-étude dite « biopsies rectales » [prélèvements d’un échantillon de tissu dans le rectum, ndlr]. Elle vise à évaluer le délai nécessaire pour obtenir une protection efficace contre le VIH après l’initiation du cabotégravir injectable. Sommes-nous protégés dès le premier jour ? Après deux jours ? Trois jours ? Une semaine ? À ce stade, nous disposons de peu de données sur ce point, contrairement à la Prep orale. Enfin, la troisième est une étude médico-économique. Elle a pour but d’analyser le rapport coût-efficacité du cabotégravir injectable dans le cadre de la stratégie de prévention du VIH en France, en comparant son cout potentiel aux bénéfices pour la santé qu'il procure.

    Remaides : La Prep injectable n’est toujours pas disponible en France. Quels pourraient être ses impacts concrets sur l’épidémie de VIH si elle était déployée de façon générale ?

    Pour que la Prep ait un impact réel sur l’épidémie de VIH, en France comme ailleurs, elle doit être largement utilisée. Et pour qu’elle le soit, il est essentiel de diversifier les modalités de prises, afin que chacun et chacune puisse trouver l’outil qui lui convient le mieux. Dans cette perspective, l’arrivée de la Prep injectable constitue une avancée scientifique importante. Elle pourrait, d’une part, permettre à de nouveaux publics d’accéder à la Prep — notamment les adolescents et les jeunes adultes, les femmes, ou encore les personnes migrantes, qui restent aujourd’hui sous-représentées parmi les usagers de Prep en France. D’autre part, elle pourrait offrir une alternative à celles et ceux qui rencontrent des difficultés avec la Prep orale, en leur proposant une méthode plus adaptée, favorisant ainsi un usage prolongé. Clairement, si elle est déployée à grande échelle, la Prep injectable à base de cabotégravir pourrait avoir un impact concret sur la dynamique de l’épidémie de VIH en France. Mais le véritable enjeu est là : serons-nous capables d’implémenter cette nouvelle offre à large échelle ? Car la Prep injectable présente des contraintes que la Prep orale n’a pas : elle requiert davantage de visites de suivi, une logistique plus lourde, plus de médecins, plus d’infirmières et d’infirmiers… Cela va nécessiter de repenser notre modèle de suivi et de délivrance de la PrEP. Or, pour espérer un effet tangible sur l’épidémie, il faudrait réussir à mettre sous Prep des milliers de personnes supplémentaires [le nombre total de personnes utilisant effectivement la Prep en France (en initiation ou en renouvellement) au premier semestre 2024 était de 59 326 personnes., ndlr]. La question n’est donc pas tant celle de l’efficacité du traitement que celle de sa mise en œuvre. C’est cette capacité à déployer massivement la Prep injectable qui déterminera son impact réel sur l’épidémie.

    DR LIEGEON

    Dr Geoffroy Liegeon (Crédit : DR)

    Remaides : Les dernières données d’Epi-Phare montrent qu’en 2024, seuls-es 5 % des usagers-ères de la Prep orale en France étaient des femmes. Pourquoi l’étude CaboPrep ne leur est-elle pas ouverte ?

    C’est une question que nous nous sommes posés, bien sûr. Le fait que seulement 5 % des usagers et usagères de Prep orale en France soient des femmes révèle une réelle problématique d’accès à la Prep pour cette population. L’étude CaboPrep s’est concentrée sur une question spécifique : celle du « switch » chez les HSH déjà sous Prep orale, qui représente actuellement la majorité des utilisateurs de Prep. Des études chez les femmes sont plus que nécessaires, mais elles nécessitent de repenser nos approches pour mieux promouvoir la Prep dans cette population. L’un des leviers pour toucher davantage de femmes serait de rendre la Prep injectable plus facilement disponible en milieu communautaire ou dans les centres de planification familiale. Pour illustrer cela, prenons l'exemple d'une enquête que nous avons menée avec le Dr Manda et notre collègue sage-femme, Julie Castaneda. Par des questionnaires et des entretiens, nous avons pu montrer que 30 à 50 % des femmes nées en Afrique subsaharienne (une population prioritaire pour la mise en œuvre de la PrEP en France) consultant dans les centres de planification familiale de l'hôpital Lariboisière à Paris et de Montfermeil en Seine-Saint-Denis, étaient éligibles à la Prep. Pourtant, presque aucune d'entre elles ne connaissait la Prep. En extrapolant ces données au plus grand centres de planification familiale de Paris et de Seine-Saint-Denis, on peut estimer qu'environ 3 000 femmes pourraient bénéficier de la Prep dans ces centres chaque année. Malheureusement, le nombre de prescriptions dans ces centres reste particulièrement bas, en raison d'un manque de formation et de la nécessité de gérer d'autres priorités. Ces occasions manquées sont encore trop nombreuses. Il est donc impératif de repenser les modalités d'accès et d'information autour de la Prep pour les femmes. Il ne s'agit pas de reproduire les erreurs commises avec la Prep orale, qui, malgré son succès auprès des HSH n'a pas su atteindre d'autres publics. Si nous voulons que la Prep injectable tienne ses promesses, il faudra envisager des modalités de délivrance adaptées, plus inclusives, et pensées dès le départ pour répondre à la diversité des besoins.

    Remaides : Un accompagnement communautaire est proposé par des militants-es de AIDES. En quoi consiste-t-il et quel est sa plus-value ?

    L’accompagnement communautaire proposé par les militants et militantes de AIDES a joué un rôle clé dans les études sur la Prep en France. Il a déjà démontré toute son utilité dans les études ANRS IPERGAY et ANRS Prévenir. Il nous paraissait donc essentiel de le proposer dans le cadre de l’étude ANRS CaboPrep, qui vise à introduire une nouvelle forme de Prep injectable. Cette nouveauté implique un besoin important d’information, d’écoute, de conseil et de soutien pour les participants qui découvrent ce traitement. L’accompagnement communautaire débute dès l’inclusion dans l’étude. Les accompagnateurs et accompagnatrices de AIDES prennent alors contact par téléphone avec les participants pour leur expliquer les objectifs et les modalités de ce suivi. En fonction des besoins, des rendez-vous complémentaires peuvent ensuite être programmés tout au long de l’étude. Les participants peuvent aussi solliciter les accompagnateurs à tout moment s’ils ont des questions ou besoin de précisions. Ces accompagnateurs ont notamment un rôle essentiel pour expliquer le déroulement des premières injections, rappeler la fenêtre de tolérance pour leur administration (plus ou moins sept jours), orienter les participants en cas de difficulté, ou encore indiquer la marche à suivre en cas de visite manquée. Ils facilitent aussi la communication entre les participants et les centres d’étude, contribuant ainsi à un meilleur lien avec les équipes de soin et de recherche.

    Remaides : L’étude CaboPrep s’étend sur plusieurs années. Quelles sont les grandes étapes à venir et quand peut-on espérer avoir de premiers résultats ?

    L’étude CaboPrep est prévue pour durer trois ans. Les premières inclusions viennent tout juste de débuter, en mai 2025. Les participants seront recrutés sur une période de six mois, puis chacun sera suivi pendant deux ans. Le critère de jugement principal de l’étude — à savoir l’assiduité à la Prep — sera évalué au bout d’un an de suivi. Nous devrions donc disposer des premiers résultats intermédiaires autour de juin 2027, et des résultats définitifs vers juin 2028.

    Propos recueillis par Fred Lebreton