Le 131ème numéro de Remaides est disponible en ligne !
- Remaides
- 02.05.2025
SCIENCE FRICTIONS !
Par Jean-François Laforgerie,
Coordinateur de Remaides
« Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver ». La formule, brutale et odieuse, avait la faveur de plusieurs dignitaires nazis lors de la Seconde Guerre mondiale. Donald Trump et son administration semblent, aujourd’hui, remplacer, sans difficulté, le mot « culture » par celui de « science ». Ce parallélisme n’est pas outrancier lorsqu’on voit les décisions prises par la nouvelle équipe dirigeante depuis janvier. Ces décisions sont de deux ordres et visent un objectif unique : faire la guerre au savoir. La première stratégie consiste à créer une « novlangue » — un langage, imaginé par George Orwell dans son roman 1984, dont le but est l’anéantissement de la pensée, l’asservissement du peuple. « Novlangue », dont Le Monde a analysé (2 mars) avec précision les arcanes et ressorts. Cela passe par des changements de noms géographiques (Le golfe du Mexique transformé en golfe d’Amérique), un usage détourné de certains termes (les programmes publics renommés du terme générique : « fraude ») et surtout l’interdiction de l’usage de certains mots dans l’administration et la recherche. Plusieurs dizaines de mots ou expressions sont ainsi proscrites. Cela va de justice sociale à LGBT, de transgenre à inclusion, de sciences sociales à orientation sexuelle, de black à diversité, etc. La liste est interminable. Elle sidère par l’obscurantisme qu’elle véhicule. Désormais, le vocabulaire LGBT+ est interdit sur le site des CDC (Centers of Disease Control, l’agence de santé publique et de contrôle des maladies). Une façon de laisser de côté les populations clefs dans le champ de la santé publique. Est-ce une bonne idée lorsqu’on connaît l’impact du sida (pour ne parler que de celui-ci) dans ces groupes ? L’administration Trump est même allée jusqu’à interdire l’usage de « femme », « personne âgée » ou « handicapé » à l’agence américaine du médicament (FDA, Food and Drug Administration) avant de revenir en arrière. L’absurdité de la censure a sauté au visage de tout le monde, y compris de celui de celles et ceux qui en étaient à l’initiative.
Il faut comprendre cette stratégie pour ce qu’elle est : une révolution conservatrice lexicale qui mue en assaut contre la recherche. Dans un article publié le 14 mars sur le site Slate.fr, Albin Wagener, professeur en analyse de discours et communication (Institut catholique de Lille) démontre que cette politique vise à « interdire de dire pour mieux empêcher de penser ». Attaquer la langue fait « partie de l’arsenal habituel des totalitarismes », affirme le chercheur. C’est le moyen évident de « transmettre par le langage l’idéologie du pouvoir en place. » Mais pas seulement, note le chercheur, en faisant ainsi, on cherche à « utiliser des effets rhétoriques pour détourner l’attention » et « imposer une vision morale par la force ». Contrôler l’usage de certains mots dans la recherche, c’est stopper des travaux en cours et en interdire de futurs. C’est l’antinomie même de la démarche scientifique, de la curiosité, de l’inventivité. La seconde stratégie est plus coercitive : les arrêts de financements et les licenciements. Du jour au lendemain, l’administration Trump a supprimé une partie conséquente des subventions versées par l’État fédéral aux plus grandes agences scientifiques américaines. Elles étaient chargées de sélectionner et financer les projets de milliers de labos de recherches, d’universités. Sans financements, ; ce sont des projets à l’arrêt, voire annulés. La prestigieuse université John Hopkins qui mène beaucoup de recherches sur le VIH s’est vue privée de 800 millions de dollars (735 millions d’euros). Elle a mis fin à de nombreux programmes et licencié 247 chercheurs-ses aux ÉtatsUnis et près de 2000 dans 44 autres pays. Couper dans les crédits et dans les effectifs, c’est la feuille de route qui a été confiée par Trump à Elon Musk, à la tête du Doge (la commission de l’Efficacité gouvernementale). Au cœur de la cible, les instituts nationaux de santé (NIH), la FDA, les CDC qui sont pourtant responsables de la surveillance des maladies infectieuses. Quasiment toutes les grandes agences de santé et de recherche ont été contraintes de licencier près de 10 % de leurs effectifs ; parfois plus. La sinistre « purge » a démarré le 1er avril dernier. Le « plan de restructuration » de l’administration Trump prévoit la suppression de 10 000 postes à l’échelon fédéral. Des témoignages et des photos publiés sur les réseaux sociaux montrent que des employés-es ont appris brutalement leur licenciement tôt le matin par mail ou en arrivant directement sur leur lieu de travail, leur badge d’accès ayant cessé de fonctionner. La brutalité est souvent associée à l’humiliation. Selon des médias américains, plusieurs hauts responsables d’agences de recherche se sont vu proposer, ces dernières semaines, une réaffectation dans des lieux isolés, en plein milieu de l’Alaska ou de l’Oklahoma.
Bien évidemment, la contestation s’est organisée aux États-Unis (voir en page 26) et ailleurs, d’autant que la politique de Donald Trump n’affecte pas uniquement la recherche, dont celle sur les maladies infectieuses. Elle risque de mettre à bas la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme avec les arrêts « temporaires » de Pepfar (Plan américain d’urgence pour la lutte contre le sida) et de l’aide au développement américaine (Usaid) (voir en pages 50, puis 76 de ce numéro). « Ce qui se passe aux États-Unis est non seulement un signal très fort des menaces que le populisme et les régimes anti-libéraux font peser sur le fonctionnement des démocraties, c’est aussi un coup très violent porté à la liberté d’expression, à la créativité, à la recherche », expliquaient (17 mars 2024, dans Le Monde) Yasmine Belkaid, directrice générale de l’Institut Pasteur, et Bana Jabri, directrice générale de l’Institut Imagine ; toutes deux immunologistes ayant travaillé aux États-Unis. Bien sûr, le milieu de la recherche français affiche sa solidarité et son soutien, mais dans le contexte budgétaire très tendu de ce secteur, on voit mal arriver, ici, les nombreux-ses chercheurs-ses licenciés-es des institutions américaines. Et puis, il y a le contexte général du moment, en France. Une partie de la classe politique est sensible aux thèses trumpiennes (l’anti-wokisme) et à ses méthodes. Certains rêvent d’un Doge à la française. Interviewée le 7 mars par l’AFP, l’épidémiologiste Dominique Costagliola, également administratrice de AIDES, expliquait — que même s’il n’y avait pas « d’attaque délibérée » comparable en France —, « on n’est pas si loin que ça puisse se passer ici aussi », citant la diminution des crédits de recherche, les « attaques contre le “wokisme” dans les universités » ou celles contre l’Office de la biodiversité (OFB) et l’Institut national de recherche agronomique (INRAE). Et de conclure : « La science et la recherche de la vérité sont déterminantes pour notre espèce ». Qui y croit encore ?
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