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    L’Actu vue par Remaides : « VIH : les coupes dans les aides au développement entraînent un recul de l’accès aux soins sans précédent, il faut y remédier d’urgence »

    • Actualité
    • 07.07.2025

     

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    Des militants-es de AIDES et de Coalition PLUS manifestent devant l'ambassades
    des Etats-Unis à Paris pour protester contre les coupes décidées
    par l'administration Trump. Photo :Fred Lebreton

    Par Camille Spire et Vincent Leclercq

    "VIH : les coupes dans les aides au développement entraînent un recul
    de l'accès aux soins sans précédent,
    il faut y remédier d'urgence"

    Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump désengage les États-Unis de la lutte contre le sida sur le plan international. C’est un séisme inattendu dont les conséquences sont d’ores et déjà dramatiques. La veille de la Marche des Fiertés parisienne, dans une tribune publiée dans les colonnes de Libération, le 27 juin, Camille Spire, présidente de AIDES, et Vincent Leclercq, directeur général de Coalition PLUS, ont appelé à une mobilisation contre les coupes budgétaires infligées à la solidarité internationale qui menacent la lutte contre le VIH, le financement de la santé mondiale, et par voie de conséquence la vie de millions de personnes. L’Actu vue par Remaides publie leur texte.

    « Alors que se clôture le mois des fiertés, les communautés les plus touchées par le VIH dans le monde risquent de vivre un recul sans précédent dans leur accès aux soins et aux droits. Un recul qui pourrait nous replonger dans les heures sombres des premières décennies de l’épidémie de VIH quand les gens mouraient faute de traitement.
    Les coupes budgétaires infligées à la solidarité internationale ont entériné ce que les mouvements réactionnaires n’étaient pas encore parvenus à instaurer. Le Royaume-Uni, le Canada, la France réduisent depuis plusieurs années leur aide publique au développement, et nous laissent entendre que leurs priorités sont ailleurs. La France a ainsi opéré cette année une coupe inédite de 40 % de son aide bilatérale, coupe la plus sévère en proportion de l’ensemble des postes de l’Etat. A cette situation s’ajoutent les conséquences désastreuses du retour au pouvoir de Donald Trump, qui a immédiatement gelé une grande partie de l’aide étrangère américaine. Cette décision a brutalement compromis près de 80 % des programmes de lutte contre le VIH dans le monde et plongé les systèmes de santé des pays à revenu faible et moyen dans de très grandes difficultés. Et pour les personnes concernées, la situation est dramatique : sans action politique, l’Onusida a averti que 6,3 millions de personnes supplémentaires mourraient au cours des quatre prochaines années.

    La solidarité internationale dans la lutte contre le VIH n’est pas une question de charité. La réponse au VIH a été portée par le Conseil de sécurité de l’ONU dès 2000, et dans un monde en tensions géopolitiques, ce n’est pas un enjeu secondaire. Il s’agissait alors d’une réponse construite autour d’enjeux de sécurité : sécurité sanitaire, sécurité des populations, sécurité des armées en opérations extérieures. La création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme en 2002, avec le soutien de la France, devait permettre de compenser le retard dans la mise sous traitement des millions de personnes vivant avec le VIH.

    Aucun effort sérieux d’éradication de la maladie n’est possible sans les communautés
    Ces efforts ont permis à ce jour de sauver 65 millions de vies, et permettent aux Etats qui y contribuent un retour sur investissement de 19 dollars par dollar investi. À l’initiative de la France, la création d’Unitaid en 2006 a également permis d’obtenir de meilleurs prix pour les médicaments par des achats groupés, et donc d’en favoriser l’accès.

    Ce qu’ont montré des dizaines d’années de lutte contre le VIH depuis la découverte du virus en 1983, c’est qu’aucun effort sérieux d’éradication de la maladie n’est possible sans les communautés. Dans le monde, les personnes les plus touchées par le virus restent les femmes et les adolescentes, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, les travailleuses du sexe, les personnes qui s’injectent des drogues, les personnes trans et les personnes incarcérées. C’est parce qu’elles sont stigmatisées, réprimées, discriminées et que leur accès aux droits est souvent menacé, que ces populations sont plus vulnérables. Et c’est pour cette raison qu’elles sont aussi les plus à même de trouver les solutions pour lever les obstacles à leur accès aux soins, dès lors qu’elles ont une place pleine et entière, protégée des violences, à la table des discussions.

    C’est bien la survie de ces communautés qui est menacée, prises en étau entre le désengagement de la solidarité internationale et un climat répressif alimenté par la montée des idéologies réactionnaires. Les jeunes, les femmes, les personnes LGBTI, a fortiori dans les pays du Sud, sont autant visées par les discours et les politiques anti-droits que les coupes budgétaires qui les frappent. Parmi les pays qui subissent le plus durement les conséquences des coupes de l’aide bilatérale, on compte ainsi l’Ouganda, qui a adopté en 2023 une loi condamnant l’ "homosexualité aggravée" à la peine de mort, ou encore l’Afghanistan où les services de santé de base ne sont accessibles qu’à 10 % des femmes. Dans notre réseau, nous faisons désormais face aux situations de personnes contraintes de suspendre ou rationner leurs traitements antirétroviraux, mettant en danger leur santé et leur survie à l’échelle individuelle. A l’échelle collective, cette situation crée aussi un risque de multiplication de souches du virus résistantes aux traitements, dès lors qu’ils sont délivrés à des niveaux sous-optimaux.

    Notre solidarité ne peut être ni passive, ni différée
    Nous aurions tort de croire, dans une époque marquée par le repli sur soi, que nos frontières sont étanches aux conséquences de ces décisions politiques. En France aussi, la population comme le système de santé risque de subir les conséquences de ces décisions. Et les Français-es ne s’y trompent pas : ils-elles sont huit sur dix à considérer que la lutte contre le VIH/sida doit être une priorité de santé publique au niveau mondial et que la France doit y jouer un rôle majeur.

    Pourtant, ce pays, autrefois reconnu pour élever une voix forte en faveur des droits et de la dignité humaine sur la scène internationale, se fait de plus en plus discret – et de plus en plus brutal dans ses coupes budgétaires.

    Alors que le mois des fiertés touche à sa fin, nous appelons les communautés en France à se mobiliser. Ce qui est en jeu dépasse de loin des lignes comptables : c’est la survie de nos amours, de nos alliés-es, de nos familles, de nos communautés à travers le monde. Face au désengagement des bailleurs, face à la montée des mouvements répressifs, notre solidarité ne peut être ni passive, ni différée. Nous appelons à une réponse collective, visible, bruyante, ancrée dans les luttes historiques contre le VIH, pour la santé, pour les droits, et pour que jamais plus nous ne revoyions mourir les nôtres comme dans les années 1990 et 2000. Nous appelons aussi nos représentants-es à l’Assemblée, au Sénat, au Parlement européen, au gouvernement et à l’Elysée à réaffirmer un engagement à la hauteur des enjeux, en mettant un terme aux saignées dans la santé mondiale. La reconstitution des ressources du Fonds mondial prévue cette année est une échéance décisive. Il est encore temps pour la France d’agir pour éviter le pire. »