L’Actu vue par Remaides : « Sérophobie en ligne : un appel international pour un numérique plus juste »
- Actualité
- 28.05.2025
Image : Anthony Leprince pour Studio Capuche, pour Remaides
Par Fred Lebreton
Sérophobie en ligne : un appel international pour un
numérique plus juste
Harcèlement, chantage, sérophobie en ligne : une étude internationale alerte sur les violences numériques subies par les jeunes LGBT+, travailleurs-ses du sexe et personnes vivant avec le VIH dans plusieurs pays du Sud. Face à l’inaction des autorités et des plateformes, les auteurs-rices du rapport appellent à repenser en urgence les politiques numériques pour garantir protection et équité. Explications.
En fin d’article, une autre info LGBT
Des abus numériques banalisés, des droits fondamentaux menacés
Menée auprès de plus de 300 jeunes adultes et 41 experts-es en Colombie, au Ghana, au Kenya et au Vietnam, cette étude internationale, coordonnée par le Center for Interdisciplinary Methodologies de l’Université de Warwick (Royaume-Uni) avec le soutien de la Fondation Botnar, alerte sur un phénomène devenu aussi inquiétant qu’invisible : la normalisation des violences numériques contre les jeunes les plus marginalisés-es. Harcèlement, extorsion, menaces, publication non consentie de contenus intimes : plus des trois quarts des personnes interrogées rapportent avoir été victimes ou témoins d’abus en ligne. « Les problèmes que nous avons documentés ont des conséquences réelles, non seulement pour la santé physique, mais pour le bien-être mental, l’accès aux services et l’avenir des jeunes adultes », alerte la chercheuse principale, la professeure Sara (Meg) Davis dans un article publié le 12 mai 2025 sur le site Ma Clinique.
Ces agressions numériques ne sont pas des incidents isolés : elles s’inscrivent dans des contextes marqués par la précarité, la surveillance et la répression. Au Ghana, un jeune homosexuel est tombé dans un guet-apens après avoir été attiré par une fausse conversation romantique en ligne. Au Vietnam, une personne vivant avec le VIH a été victime de chantage après la diffusion d’images trafiquées. En Colombie, des travailleuses du sexe trans ont vu leurs photos et coordonnées republiées à leur insu, facilitant des agressions en personne. Quant à une jeune Kényane séropositive, elle a été expulsée de chez elle à 14 ans après la réception d’un SMS médical automatisé sur un téléphone partagé avec sa famille. Autant de récits glaçants qui montrent comment les frontières entre l’espace numérique et la vie réelle s’effacent, avec des conséquences dramatiques.
Les chercheurs-ses soulignent que dans tous les pays étudiés, les jeunes interrogés-es disent ne pas faire confiance aux forces de l’ordre, ni aux plateformes numériques. Peu de victimes osent signaler les faits, par peur de représailles et d’humiliations supplémentaires. « L’ami d’un participant qui avait signalé une agression s’est retrouvé interrogé par la police sur sa relation homosexuelle », rapporte le consortium. Pire, l’accès même à Internet reste une gageure pour beaucoup. Le coût des données oblige certains à choisir entre manger ou se connecter, surtout au Kenya et au Ghana. Résultat : des milliers de jeunes se retrouvent exclus des ressources en ligne, pourtant cruciales pour leur santé et leur sécurité.
Un appel urgent pour un numérique fondé sur les droits humains
L’étude appelle à une révision en profondeur des politiques publiques en matière de santé numérique, alors même que l’Organisation mondiale de la santé révise actuellement sa stratégie mondiale. L’objectif ? Que les outils numériques ne soient pas des armes contre les plus vulnérables, mais des leviers d’inclusion et de protection. « Les jeunes veulent utiliser les outils numériques pour soutenir leur santé, mais pas au détriment de leur vie privée, de leur sécurité ou de leur dignité », insiste le Dr Bernard Koomson, coauteur du rapport. Il ajoute que les cadres légaux sont « très en retard sur le rythme de l’innovation technologique ». Les participants-es, souvent contraints-es à l’autocensure ou à la clandestinité numérique, appellent à la création d’un environnement en ligne plus sûr, encadré par des lois solides de protection des données et une réglementation efficace des plateformes.
Au-delà des constats, les recommandations du rapport sont claires : reconnaître l’accès à l’information et au soutien en ligne comme un droit fondamental à la santé, assurer la disponibilité des services de santé via des canaux numériques et non numériques, agir contre les abus facilités par la technologie, et surtout, intégrer les jeunes eux-mêmes dans l’élaboration des politiques publiques. Pour Catalina Gonzalez, de l’Université de Los Andes en Colombie, « il faut réimaginer l’inclusion numérique comme un espace où la technologie sert l’équité, la dignité et les opportunités pour tous ». Même tonalité chez Allan Maleche, du réseau Kelin au Kenya, qui plaide pour « une santé numérique fondée sur les droits humains, l’équité et l’inclusion ».
Le rapport, soutenu entre autres par Privacy International, Restless Development, StopAIDS et les réseaux de personnes vivant avec le VIH des quatre pays étudiés, a été lancé officiellement lors d’un webinaire international le 12 mai. Une table ronde est également prévue le 21 mai à Genève, en marge de l’Assemblée mondiale de la santé. « Pour nous assurer que la technologie devienne une force d’autonomisation, il faut créer un monde numérique sûr, juste et inclusif, où chaque voix est entendue et où personne n’est laissé pour compte », conclut Dong Duc Thanh, président du réseau vietnamien des personnes vivant avec le VIH.
En bref, une autre info LGBT+
« Happy Time ! » : le guide queer qui veut nous faire sortir… pour de vrai
Et si on fermait les applis et qu’on se retrouvait dans la vraie vie ? C’est le pari « joyeux, nécessaire et militant » que relèvent Yannick Barbe et Luc Biecq avec Happy Time !, présenté comme « le premier guide des sorties LGBTQIA+ aussi complet qu’inclusif », selon les mots du communiqué de presse. À l’heure où les applis rythment les rencontres, ce guide propose une alternative bien réelle : plus de 500 adresses vérifiées en France et en Europe, 32 rubriques thématiques, et « des dizaines de témoignages inspirants » pour « sortir, se divertir, se cultiver et s’engager ». On y trouve de tout : chorales queer, ciné-clubs militants, clubs, festivals, associations, groupes d’entraide, lieux pour parler santé mentale, santé sexuelle, VIH ou chemsex, assos sportives, librairies, lieux de mémoire…
« Dites oui à toutes vos envies ! », clame le texte. Mais Happy Time ! ne se contente pas d’être un simple annuaire : il donne la parole à celles et ceux qui font vivre la communauté au quotidien — militants-es, soignants-es, artistes, bénévoles. Des figures emblématiques de la scène queer contemporaine, comme Paloma (Hugo Bardin), Daisy Lusion, Tristan Lopin, Alexis Langlois, Louïz, Vinii Revlon ou encore Romain Brau, livrent leurs adresses fétiches et leurs coups de cœur dans un esprit de partage. « Des voix qui comptent, des parcours qui éclairent », souligne encore la maison d’édition. Côté auteurs, le projet est entre de bonnes mains. Yannick Barbe est journaliste et scénariste. Ancien rédacteur en chef de Têtu, il a cofondé le média LGBT+ Yagg, et il est aussi DJ et organisateur d’événements queer. Luc Biecq, lui aussi ancien de Têtu, est journaliste spécialisé depuis plus de vingt ans sur les questions LGBT+ et de santé sexuelle. Il est l’auteur, entre autres, du Guide d’autodéfense du licencié et de Yoga Nidra, Éloge de l’instant suspendu. Avec une plume qualifiée de « chaleureuse et complice », Happy Time ! est présenté comme « un cri d’amour à la culture queer », et « un outil pour sortir de la solitude, gagner en estime de soi et vivre pleinement son identité ». Le ton est donné. Que vous ayez envie de danser, de chanter, de découvrir un ball ou de vous informer sur la santé sexuelle, ce guide veut être « complice, bienveillant, indispensable ».
Happy Time !, par Yannick Barbe et Luc Biecq. Éditions First. Prix : 19,95 €.