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    L'Actu vue par Remaides :Marianne Veyri : « Il est important de former les professionnels de santé et de les sensibiliser à la question du cancer chez les personnes vivant avec le VIH »

    • Actualité
    • 05.11.2024

    Marianne Veyri

    © DR

    Par Fred Lebreton

     Marianne Veyri : il est important de former les professionnels de santé à la question du cancer chez les personnes vivant avec le VIH"

     

    Marianne Veyri est ingénieure de recherche et coordinatrice de la recherche clinique du service d’oncologie médicale de l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP). Elle est aussi coordinatrice de la Réunion de Concertation Pluridisciplinaire nationale du réseau national CANCERVIH. Pour Remaides, la chercheuse revient sur les problématiques liées au cancer chez les personnes vivant avec le VIH et les dernières recommandations d’experts-es en matière de prévention et de prise en charge de ces cancers

    Remaides : Pouvez-vous nous présenter le réseau CANCERVIH ?

    Marianne Veyri : Le réseau CANCERVIH a été créé en 2013 par le Professeur Jean-Philippe Spano, qui est chef du service d’Oncologie médicale à la Pitié-Salpêtrière à Paris, et par la Docteure Isabelle Poizot-Martin, qui était alors cheffe du service d’Immuno-hématologie à l'hôpital Sainte-Marguerite à Marseille, en réponse à un appel à projet qui avait été lancé par l'Institut national du cancer [INCa] sur la création de réseaux portant sur les « cancers rares ».  Puisque, effectivement, les cancers qui surviennent chez les personnes vivant avec le VIH font partie de ce qu'on appelle des cancers rares. Ce réseau a donc fêté ses dix ans cette année. Je suis arrivée en début 2014 pour accompagner la création de la RCP nationale [réunion de consultation pluridisciplinaire, ndlr] qui a pour nom : ONCOVIH. Cette réunion, c'est la base du réseau, mais le réseau CANCERVIH ne fait pas que cela. En plus de la RCP nationale, il existe deux RCP régionales, l’une à Marseille, l’autre à Clermont-Ferrand, qui ne s'occupent que de personnes vivant avec le VIH atteintes d’un cancer. Et au-delà de ces RCP, nous menons beaucoup d'actions dans tous les champs dans lesquels on peut agir. Nous menons des travaux de recherche, bien sûr, car les enjeux sont importants, notamment ceux de l’accessibilité à l'innovation thérapeutique en cancérologie des personnes vivant avec le VIH. Aujourd'hui encore, nous savons que les PVVIH sont exclues des essais thérapeutiques sur le cancer. Nous avons donc monté des essais spécifiques ; nous avons négocié avec les promoteurs industriels et académiques de ces essais afin que ceux qui soient mis en place soient aussi ouverts aux personnes vivant avec le VIH. Nous avons eu quelques réussites dans ce domaine. Nous avons également avancé sur l'enseignement avec la création de formations spécifiques. Il est important de former les professionnels de santé et de les sensibiliser à cette question. Enfin, nous organisons des actions d'information du grand public, des patients, mais pas seulement, avec l'organisation de journées nationales dédiées, de journées thématiques, la création de livrets. Nous intervenons également dans des ateliers pour les patients.

    Remaides : Pourquoi ce réseau a-t-il été créé ?

    Marianne Veyri : Nous sommes partis du constat que le monde du VIH et celui de la cancérologie étaient très bien organisés, chacun de leur côté, mais très cloisonnés. Ils communiquaient très peu ensemble. Et encore aujourd'hui, on se rend compte que les dossiers médicaux informatisés ne sont pas les mêmes. Au sein de la Pitié-Salpêtrière, par exemple, ce sont deux dossiers médicaux informatisés différents qui ne communiquent pas ensemble pour les personnes vivant avec le VIH et atteintes d’un cancer. Il y avait vraiment nécessité à sensibiliser les professionnels de santé, notamment les médecins, à la prise en charge globale des personnes vivant avec le VIH atteintes de cancer afin d’optimiser les traitements et faire en sorte que ces patients-là ne soient pas sous-traités. C’est ce que l’on observait, il y a une dizaine d'années. Un certain nombre de patients avaient des moitiés de doses de chimiothérapie parce que les médecins qui les prenaient en charge avaient peur du VIH. Il fallait mener une véritable action de sensibilisation. J'espère qu'aujourd'hui, CANCERVIH a pu aider sur ce point.

    Remaides : Quels sont les cancers les plus fréquents diagnostiqués chez les personnes vivant avec le VIH ?

    Marianne Veyri : D’après les données de la cohorte ANRS FHDH couplées avec celles de l’Assurance maladie sur la période 2008-2018, les cancers les plus fréquents chez les hommes vivant avec le VIH sont le cancer colorectal (environ 160 cas pour 100 000 personnes/année), le sarcome de Kaposi (environ 140 cas/100 000 PA), le cancer de la prostate (environ 130 cas/100 000 PA) et le lymphome non hodgkinien (environ 120 cas/100 000 PA). Chez les femmes vivant avec le VIH, les cancers les plus fréquents sont le cancer du sein (environ 180 cas/100 000 PA), le cancer colorectal (environ 95 cas/100 000 PA), le lymphome non hodgkinien (environ 65 cas/100 000 PA) et le cancer du col de l’utérus (60 cas/100 000 PA). Nous n’avons pas de données de prévalence puisque la déclaration du cancer chez les personnes vivant avec le VIH n’est pas obligatoire et lorsqu’elle est faite, les données du codage sont souvent incomplètes. En termes de mortalité, c’est le cancer du poumon qui entraine le plus de décès chez les personnes vivant avec le VIH. La projection pour les années à venir montre une incidence plus élevée du cancer de la prostate, suivi du cancer du poumon.

    Remaides : On parle de « cancers indicateurs de sida » (« cancers classant sida »). De quoi s’agit-il ?

    Marianne Veyri : Parmi tous les cancers qui existent, il y a trois cancers qui sont nommés « cancers classant sida » : le sarcome de Kaposi, le lymphome non hodgkinien et depuis, 1993, le cancer du col de l'utérus. Ils sont nommés « classant sida » parce que ces cancers interviennent, en général, chez les personnes vivant avec le VIH en stade sida. C'étaient des cancers qu'on voyait beaucoup au tout début de l'épidémie VIH avec une incidence très importante. On a observé une inversion au cours du temps, notamment avec l'arrivée des traitements antirétroviraux efficaces. Maintenant, ce sont plutôt les cancers qu'on appelle « non classant sida », donc tous les autres, qui sont plus fréquemment diagnostiqués chez les personnes vivant avec le VIH.

    Remaides : Le chapitre « Cancers » du Rapport d’experts sur la prise en charge des personnes vivant avec le VIH, publié en juin 2024, indique qu’il existe encore aujourd’hui des cas de sarcome de Kaposi chez des PVVIH sous ARV avec une infection contrôlée. Comment l’expliquez-vous ?

    Marianne Veyri : On pense que chez ces personnes, le taux de lymphocytes n'est pas représentatif de l'immunité en tant que tel. On pense qu'il y a des lymphocytes présents, mais complètement fatigués. C'est ce qu'on appelle l’épuisement fonctionnel des lymphocytes T, donc l'immunité n'est plus si efficace. C'est ce qu'on voit de plus en plus en réunion de concertation pluridisciplinaire : des patients qui sont contrôlés depuis 20 ans, 30 ans, qui ont des CD4 à plus de 500 et qui font des Kaposi même viscéraux [dans l’appareil digestif, ndlr] et parfois uniquement viscéraux. C'est ce qu'on observe depuis deux ou trois ans et on a un peu de mal à l’expliquer si ce n’est par l’épuisement des lymphocytes. Nous menons actuellement une étude où l’on a essayé de réunir les patients concernés pour comprendre quels pouvaient être les critères explicatifs de cela. Nous n’avons pas encore de résultats à donner, mais en tout cas, on analyse les cas de très près et on espère trouver des explications.

    Remaides : Existe-t-il un sur-risque de cancer chez les PVVIH ?

    Marianne Veyri : Effectivement, il y a un sur-risque qui persiste chez les personnes vivant avec le VIH. On l’estime, à peu près pour l'intégralité des cancers, de deux à trois fois plus important qu’en population générale. Mais, c'est très dépendant du type de cancer. La bonne nouvelle, c'est que pour des cancers qui avaient un taux de sur-risque important, notamment le cancer du poumon ou le lymphome non hodgkinien, le risque devient complètement similaire à la population générale, quand on a des CD4 supérieurs à 500 pendant plus de deux ans. Mais il reste quand même des cancers pour lesquels on a des risques très importants. Même la restauration immunitaire a du mal à agir. On a quand même des sur-risques qui restent 70 fois supérieurs à la population générale pour le cancer du canal anal et 30 fois supérieurs pour le sarcome de Kaposi. Nous assurons donc une surveillance spécifique sur ces cancers.

    Remaides : Quels sont les facteurs de risque ?

    Marianne Veyri : Le VIH a une action d’inflammation en lui-même. Parmi les autres facteurs de risque, il y a les co-infections virales et notamment les hépatites mais d'autres virus aussi comme le HPV [papillomavirus, ndlr] peuvent jouer. Il est donc important de faire le dépistage de ces virus et de les traiter quand c'est possible, notamment pour les hépatites. Il y a les habitudes de vie, bien sûr, qui sont le tabac, l'alcool, l'utilisation de drogues injectables et l’exposition prolongée au soleil. On sait que ces facteurs sont importants dans le développement de cancers. Il y a aussi des facteurs de risque qui sont communs à tout le monde comme l'âge qui est le facteur de risque numéro un dans l’apparition des cancers. Il est donc normal qu’on observe encore beaucoup de cancers chez les personnes vivant avec le VIH. Cette évolution est corrélée à la bonne nouvelle du fait que grâce aux traitements actuels, de plus en plus de personnes vieillissent avec le VIH et vivent longtemps.

    Remaides : En matière de prévention et de dépistage du cancer, quelles sont les recommandations actuelles pour les personnes vivant avec le VIH ?

    Marianne Veyri : En termes de prévention, le facteur numéro un, c'est le contrôle du VIH. Il faut instaurer un traitement antirétroviral dès que c'est possible et contrôler le VIH. C'est vraiment le facteur principal pour diminuer l'incidence des cancers. Ensuite, il faut agir sur tous les facteurs de risque : la prévention et le contrôle des co-infections quand c'est possible avec notamment la vaccination anti-HRV [ou celle contre le VHB, ndlr] ; le changement des habitudes de vie : arrêter le tabac quand c’est possible, diminuer l'alcool quand c'est possible, arrêter ou diminuer l'usage des drogues injectables quand c'est possible. Et puis, il faut suivre toutes les mesures de prévention, qui sont communes à la population générale, notamment se protéger du soleil pour éviter les cancers cutanés [de la peau, ndlr].

    En termes de dépistage, il faut suivre les campagnes de dépistage organisées au niveau national. Il y en a trois : le cancer colorectal, le cancer du sein et le cancer du col de l'utérus. Il y a, en plus pour les personnes vivant avec le VIH, des dépistages spécifiques pour les cancers dont l'incidence est élevée dans ce groupe. Pour les cancers cutanés, il est recommandé de faire un examen cutané complet une fois par an. Et pour le cancer du canal anal,  il y a des nouvelles recommandations qui viennent de sortir. Jusqu’à présent, il y avait trois populations dans les personnes vivant avec le VIH qui devaient faire un dépistage systématique du cancer canal anal : les hommes qui ont des relations sexuelles avec les hommes de plus de 30 ans, les femmes qui ont eu des antécédents de lésions ou de cancers de la vulve et les femmes de plus de 30 ans qui ont un antécédent de transplantation d’organe solide depuis plus de dix ans. À cela, les nouvelles recommandations ajoutent les femmes de plus de 30 ans qui ont des antécédents de lésions ou de cancers du col de l'utérus. Pour cette population-là, il faut vraiment faire un dépistage HPV systématique du cancer du canal anal.

    En ce qui concerne le cancer du poumon, un scanner à basse dose [rayonnement plus faible qu'un scanner normal, ndlr], est recommandé dans le nouveau rapport d’exeprts pour les personnes qui fument dix cigarettes par jour depuis au moins 30 ans ou 15 cigarettes depuis au moins 25 ans et qui ont arrêté le tabac depuis moins de 10 ans

    Remaides : Le HPV 16 est responsable de nombreux cancers, notamment chez les HSH vivant avec le VIH, pourtant le test de dépistage coûte cher (60 euros) et n’est pas remboursé. Quels sont les solutions pour les personnes précaires pour faire ce test ?

    Marianne Veyri : Effectivement, il est difficile et couteux de faire un test HPV en ville. Donc, la recommandation, c'est de le faire en milieu hospitalier. Quand les infectiologues le font faire à l'hôpital, c'est complètement gratuit. Il n'y a pas de frais à avancer.

    Remaides : Certains-es médecins et pharmaciens-nes prescrivent et administrent le vaccin HPV aux HSH vivant avec le VIH de plus de 26 ans alors que ce vaccin n’est pas censé être remboursé au-delà de cet âge. Est-il prévu de faire évoluer les recommandations françaises de vaccination HPV pour ce public ?

    Marianne Veyri : Pas pour l’instant. En l'absence de données, les nouvelles recommandations plaident plutôt pour un élargissement jusqu'à 26 ans pour les deux sexes. Il n’est pas prévu d’aller au-delà de cette limite d’âge, pour le moment.

    Remaides : L’anuscopie à haute résolution est très peu disponible en France et notamment en régions. Comment faire pour réaliser cet examen ? Existe-t-il une alternative ?

    Marianne Veyri : Effectivement, il y a très peu de centres qui peuvent réaliser l'anuscopie à haute résolution. Et il y a surtout très peu de médecins qui sont formés à cette technique. L'alternative, c'est de réaliser un examen clinique et une anuscopie simple et c'est ce qui est recommandé dans l’actualisation du Rapport d’experts. Une anuscopie simple se fait à l’œil avec une loupe tandis qu’une anuscopie à haute résolution utilise une caméra, qui peut prendre des photos, reliée à la fois à un microscope et à un ordinateur. C'est un matériel spécifique et couteux ; très peu de centres en France en sont équipés. Il faut aussi que le médecin soit capable d'interpréter les résultats. On aimerait aussi que les anatomopathologistes [spécialité médicale qui consiste à examiner des biopsies d’organes, les tissus ou les cellules, pour repérer et analyser des anomalies liées à une maladie, ndlr], soient plus formés à la cytologie [analyse des cellules isolées, ndlr] anale pour en améliorer la sensibilité.

    Remaides : Les traitements anti cancer, notamment la chimiothérapie, sont-ils plus risqués pour les personnes vivant avec le VIH (baisse des CD4, interactions médicamenteuses…) ?

    Marianne Veyri : Oui mais seulement s'ils sont mal anticipés, d'où l'intérêt de présenter les dossiers en réunion de concertation pluridisciplinaire. Nous sommes capables maintenant d'anticiper complètement les interactions qui pourraient intervenir. Et dans ces cas-là, on change le traitement antirétroviral et ça se fait très bien grâce au travail essentiel de nos pharmacologues en utilisant les antériorités de traitement notamment, et les antériorités de génotype. On peut également anticiper les toxicités, en particulier rénales et cardiaques. Et là aussi, on va adapter les traitements en fonction des toxicités qui pourraient arriver. On va faire des recommandations de suivi particulier et de prophylaxie. Et si le suivi est fait parfaitement, si les prophylaxies sont mises en place, il n'y a pas de raison que les traitements anti-cancéreux soient plus dangereux pour les personnes vivant avec le VIH.

    Remaides : Quel est le pronostic de guérison des cancers les plus fréquents, notamment pour le cancer anal ?

    Marianne Veyri : C'est très difficile de répondre sur le pronostic, parce qu'il y a plusieurs cancers, et à l'intérieur même, des types de cancers, on a des différences de pronostic selon le type histologique [ensemble des caractéristiques des tissus d'une tumeur, déterminées au microscope par l'examen anatomopathologique, ndlr], et même selon la biologie moléculaire. Parce qu'on sait maintenant que les marqueurs qui sont présentés par les cancers peuvent aussi jouer sur le pronostic. Ce qui est sûr, c'est que le pronostic est meilleur quand le cancer a été dépisté tôt. Plus on dépiste tôt, plus le taux de réponse et la guérison sont forts.

    Remaides : Certains cancers (gorge, anus, verge, col de l’utérus) et leurs traitements ont un impact important sur la vie intime et sexuelle des personnes atteintes. Pourtant, il a été dit lors du colloque que peu de prises en charge sexologiques étaient proposées. Comment expliquez-vous ce paradoxe ? Comment améliorer la situation ?

    Marianne Veyri : D’une part déjà, les médecins ne sont pas formés à la prise en charge sexologique de façon générale. Par ailleurs, ils ont l'impression, quand ils ont une personne vivant avec le VIH atteinte d’un cancer devant eux, d'avoir déjà beaucoup de choses à lui dire. Et c'est vrai qu'une consultation, parfois, peut paraître très courte devant le nombre d'informations à donner. Pour les médecins, c’est déjà une prise en charge complexe. Certains pensent que rajouter cet aspect sexologique n'est pas essentiel, que ce n'est pas la priorité. C'est vrai que, pour les médecins qui prennent en charge le VIH ou le cancer, la priorité, c'est de traiter le cancer ou le VIH. D’autres peuvent aussi être gênés de leur manque de formation. Dans le réseau CANCERVIH, nous souhaiterions qu'il y ait un sexologue dans chaque service de cancérologie. Certains services en ont, et c'est un vrai plus. Par ailleurs, il y a une vraie demande des patients. Et quand on leur propose, ils y vont [S’il n’en existe pas dans le service où vous êtes suivi-e, il est possible de s’adresser à un autre service ; par exemple au service d’urologie ou en cabinet de ville, ndlr]. De notre côté, nous continuerons nos journées de sensibilisation à la prise en charge globale des personnes vivant avec le VIH atteintes de cancer dont, bien sûr, la prise en charge sexologique.

    Propos recueillis par Fred Lebreton. Cette interview est publiée dans le Remaides 129 (Automne 2024).