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    L'actu vue par REMAIDES : "AIDES est devenue une famille avec qui j’ai créé un lien indestructible"

    • Actualité
    • 14.03.2024
    © Fred Lebreton

    Par Fred Lebreton

    Michel Simon : « AIDES est devenue une famille avec qui j’ai créé un lien indestructible »

    Alors que 2024 marque les 40 ans de AIDES, la rédaction de Remaides donne la parole à celles et ceux qui militent ou ont milité dans l’association. Premier à se prêter au jeu de l’entretien, Michel Simon. Engagé dans l’association depuis 1993, le militant a été vice-président de AIDES. Il a aussi cofondé le Fonds de dotation Link, un des partenaires importants de l’association. Entre deux réunions et avec une salade à emporter, l’infatigable militant revient sur son engagement et nous parle de son présent. Rencontre.

    michel simonRemaides : Dans quelles circonstances avez-vous découvert AIDES ? Comment est né votre engagement militant ?

    Michel Simon : Il faut savoir qu’au moment de l'apparition de l'épidémie dans les années 80, j'étais dans une petite province un peu perdue. Le VIH, je voyais cela de très loin. Comme beaucoup, je ne me sentais pas spécialement concerné et j'ai eu la chance de passer « entre les gouttes ». Je suis revenu à Paris en 1989 et là, j’ai bien vu qu'il se passait quelque chose avec ce virus. C’est à cette époque que j’ai rencontré un mec d'Act Up-Paris et je parlais un peu d'engagement militant avec lui. Je suis reparti dans le sud de la France en 1990 et j'ai participé à la création d'une boîte de communication. En 1993, j’ai rencontré mon conjoint avec lequel je suis toujours en couple aujourd’hui. Un jour, il est abordé par des militants de AIDES dans notre ville d'Aix en Provence. Au même moment, je commençais à me sentir vraiment concerné par ce qui se passait. Nous nous sommes rendus tous les deux à une réunion d'accueil de AIDES à Aix en Provence. Puis, nous avons passé des entretiens. C'était compliqué de rentrer à AIDES à l'époque, il fallait passer un premier entretien, puis un second. Après, on ne te rappelait pas. C'était toi qui devais rappeler. Si tu ne rappelais pas, ça voulait dire que tu n'étais pas assez motivé. Je suis donc devenu volontaire du comité AIDES Provence à Aix en Provence. On était avant l’arrivée des trithérapies et c'était le moment le plus le plus dur de l’épidémie avec beaucoup de personnes en stade sida et beaucoup de décès. Je me suis engagé dans les groupes de prévention gay. On allait notamment une fois par semaine au Parc Jourdan qui était un lieu de drague homosexuelle, la nuit.

    Remaides : Qu'est-ce que représente pour vous cet engagement militant ? 

    J’ai toujours été actif et engagé pour la société, en général, mais cet engagement à AIDES a tout changé dans ma vie et ce à plusieurs niveaux. Devenir militant à AIDES au début des années 90 m’a aidé à faire mon coming out en tant que gay, ce qui n’était pas évident à cette époque, surtout en province. Je n’avais pas besoin de l’annoncer en réalité. Petit à petit, les gens comprenaient que j'étais gay de par mon engagement dans cette lutte. Et puis, très rapidement, j’ai eu une fonction d’élu dans l’association. Le pôle d’Aix-en-Provence avait besoin d’un trésorier et je me suis porté candidat. Un an après ou deux, je suis devenu trésorier de la région PACA, donc membre du Conseil d’administration du comité Provence qui couvrait la région PACA [de 1988 à 2002, AIDES se nomme AIDES fédération nationale. Les comités régionaux demeurent des entités juridiques propres et autonomes financièrement. La fédération est administrée par un Conseil national où siègent les présidents-es des comités, ndlr]

    Remaides : Combien de temps a duré votre implication en tant qu’élu ?

    De fil en aiguille, je me suis impliqué de plus en plus dans la vie politique de l’association jusqu’à devenir président du comité en 1998. La même année, j’ai rejoint le CA [conseil d’administration, ndlr] de la fédération. Arnaud Marty-Lavauzelle [Président de AIDES fédération de 1991 à 1998, ndlr] était parti un peu fâché de l’association. J'avais repéré Christian Saout, qui était un militant engagé sur plein de sujets, et j’ai dit à Christian : « Il faut que ce soit toi qui y aille ». Christian a pris la présidence. Moi, je me suis retrouvé vice-président de AIDES fédération. En tout, j’ai passé 17 ans au CA de AIDES, dont 15 ans au bureau, d’abord dans la fédération, puis dans l’association nationale, après la fusion en 2002. Et puis un jour, je me suis dit qu’il fallait que je laisse la place aux jeunes. Je râlais beaucoup parce qu'il n'y avait pas de renouvellement. À un moment, je me suis dit qu’il fallait montrer l’exemple en laissant mon fauteuil.

    Remaides : Pouvez-vous citer trois faits ou événements qui ont marqué votre parcours militant chez AIDES ?

    Par ordre chronologique, je dirais les Assises de AIDES qui ont eu lieu au Parc Chanot de Marseille en 1995. J’avais une agence de com à l’époque et le parc des expositions était un de mes plus gros clients. Il y avait une grande soirée qui réunissait tous-tes les militants-es. J'étais à un balcon et à côté de moi, il y avait le responsable communication du Parc Chanot. Et sur la scène, il y avait des militants de AIDES qui avaient formé un boys band. Il faut se rappeler du contexte. Nous sommes en 1995, juste avant l'arrivée des trithérapies et c’est le pic de la mortalité liée au sida en France. Et à un moment, ce groupe qui s’appelait, « les Régulations » se met à chanter : « Les folles mortes se ramassent à la pelle, … », en reprenant une chanson d’Yves Montand écrite par Jacques Prévert. Et le gars à côté, se tourne vers moi soudainement et me dit : « Ils sont particuliers, vos amis ». C’était ça notre réalité à l’époque à l’association : les gens mouraient du sida. Tout le monde tombait comme des feuilles…

    À la même époque, je m’étais engagé dans les groupes de soutien aux malades puisqu'à l'époque, beaucoup de séropositifs-ves souffraient d’isolement surtout lorsque la maladie se déclarait. Les mecs — je dis les mecs parce que c’était à 95 %, des hommes — se retrouvaient isolés et en perte rapide d'autonomie. On était par binôme et chaque binôme soutenait telle ou telle personne qui en avait fait la demande. On leur faisait leurs courses, on les aidait à faire leurs démarches administratives. Et puis, quand leur santé de dégradait, on allait les voir à l'hôpital, … jusqu'à la fin…

    Remaides : Cela devait créer des liens forts entre militants-es…

    Oui, c'était incroyable. Je me souviens d'un binôme incroyable : C'était Cathy, une bourgeoise aixoise de 40 ans, qui avait la coupe au carré, la robe en lin, le collier en bois et qui faisait un binôme avec un jeune mec avec un look punk, la crête, les jeans déchirés, les chaînes, etc. Ces deux personnes si différentes n’auraient jamais dû se rencontrer, c’était juste improbable. C’était aussi ça AIDES, des rencontres humaines magiques et improbables. La deuxième chose que je veux dire sur cette époque, c’est l'arrivée des trithérapies en 1996. Tout a changé du jour au lendemain. C’était comme dire : « Lève-toi et marche ! ». J’ai vu des personnes revenir à la vie en quelques semaines. Mais c’était terrible aussi pour ceux et celles qui étaient sur le fil et qui sont morts-es juste avant l’arrivée de ces traitements…

    Remaides : Et votre troisième fait marquant ?

    C’était sans doute en 2008 dans d’une Conférence VIH. Lors d’une plénière, le Professeur Bernard Hirschel a expliqué : « Indétectable = Intransmissible ». Il nous a dit une phrase qui m’a beaucoup marqué, ce ne sont pas ses mots exacts, mais en gros il a dit : « En tant que gay, il y moins de risques d’avoir un rapport sexuel avec un mec séropositif sous traitement qu'avec un mec séronégatif ou du moins qui se croit séronégatif ». On rebat toutes les cartes avec cette information. Je pensais que tout allait changer du jour au lendemain. En réalité, cela a mis beaucoup de temps à changer et beaucoup de personnes ignorent encore « Indétectable = Intransmissible », mais, pour moi, cette annonce reste un tournant majeur.

    Remaides : Qu'est-ce qui vous motive encore en 2024, 40 ans après la création de AIDES, à continuer d'être dans cette lutte ?

    Il y a d’abord un lien affectif fort avec l'association. AIDES est devenue une famille avec qui j’ai créé un lien indestructible. Nous avons partagé tellement d'émotions fortes ensemble : des Pride, des manifs, des victoires, des deuils aussi. On s’est battus pour le Trod communautaire et on a gagné. On s’est battus pour l’accès à la Prep et on a gagné. J’ai un sentiment intime d'appartenance à cette famille même si j'y passe moins de temps aujourd'hui, parce que je suis moins impliqué. Je suis fier d’avoir participé à cette aventure collective. Par ailleurs, la lutte n’est pas terminée et nous sommes encore loin d’un 2030 sans sida. Pourtant, nous avons tous les outils pour y arriver, le test and treat, la Prep, etc. Il ne faut pas baisser les bras. Depuis plusieurs années, j’ai mis mes compétences et mon réseau au profit de la collecte et de la communication, notamment à l’international avec Coalition PLUS parce qu'ils ont besoin aussi de coups de main et de mon expertise.

    Remaides : Vous êtes également très engagé sur les questions de vieillissement de la communauté LGBT+. En quoi consiste cet engagement ? 

    Pour moi, c'est la continuité de mon engagement à AIDES. J'ai rejoint une association qui s'appelle les Audacieuses et les Audacieux. Créée en 2017, l’association regroupe des bénévoles jeunes ou moins jeunes, hétéro-alliés-es ou LGBT+, retraités-es ou en activité professionnelle, issus-es de tous les horizons. L’association poursuit un objectif d’utilité sociale et d’intérêt général, par ses actions visant à favoriser les conditions du bien vieillir des seniors-es sans soutien familial, LGBT+ et/ou PPVIH. La population dont on parle, c'est la même que celle pour laquelle je me suis battu dans les années 90. C'est ma génération, celle des fameux boomers qui sont nés entre 45 et 65. C'est la génération d'après-guerre et nous, les personnes LGBT+ de cette génération, avons une particularité. La génération d’avant ne pouvait pas assumer ouvertement son homosexualité dans les années 40/50, à cause du poids social tellement fort. La plupart ont dû faire un mariage hétéro de façade et ils ont eu des enfants. Notre génération a été la première génération à dire : « On ne va pas faire semblant, on va essayer d'assumer ». Aujourd’hui, c'est une génération qui arrive à 65, 70, 75 ans sans enfant et parfois avec le poids du VIH. C'est une génération qui a accompagné ses parents, mais qui va s’occuper d’eux-elles maintenant ? Cette génération, pour moi, est celle des survivants-es. Les survivants-es du sida et de l’homophobie. Ils se sont battus-es pour la dépénalisation de l’homosexualité, contre le sida, pour le PACS, pour le mariage pour tous, etc. Ils et elles s'en sont pris plein la gueule et aujourd'hui, ils-elles sont à la retraite, parfois avec des retraites maigres pour les personnes qui ont eu une carrière hachée par le VIH. Certains-es sont très isolés-es car en rupture familiale et ils-elles n’arrivent pas à trouver leur place dans une communauté LGBT où l’âgisme est un vrai sujet. On est donc sur une population qui cumule les vulnérabilités et qui a besoin d’un réseau de solidarités. J’essaie, à mon niveau, de contribuer à cette solidarité.