Je fais un don

    L'actu vue par REMAIDES : "Accès aux médicaments et maitrise des coûts : les associations passent à l’offensive"

    • Actualité
    • 19.06.2024

    ACCES MEDICAMENTS

    © DR

    Par Jean-François Laforgerie 

    Accès aux médicaments, maitrise des coûts : les associations passent à l'offensive 

    Quatorze associations ont publié, mi-mai, une « ordonnance pour garantir l’accès et maîtriser les prix des médicaments ». À cette occasion, les associations veulent alerter « sur les difficultés d’accès aux produits de santé pour les patients-es ». Elles proposent des « solutions concrètes aux décideurs-ses publics-ques » et appellent à la mobilisation. Face à l’inadéquation des politiques du médicament aux besoins de santé publique, dont témoignent notamment les pénuries de médicaments en France, ces associations ont donc réalisé une « ordonnance de la société civile », un document inédit, dont les pouvoirs publics seraient bien avisés de s’inspirer.

    Si l’on devait retenir une formule qui fait figure de feuille de route pour le collectif qui a rédigé l’ordonnance… ce serait celle-ci : « Nous demandons une meilleure transparence et régulation du marché pharmaceutique ». L’ambition est forte. Le document se veut une « ressource tant pour les responsables politiques et administratifs, que pour les médias, la société civile, les personnes malades et les usagers-ères du système de santé, ainsi que pour les acteurs-rices industriels-les, dont les petites et moyennes entreprises qui jouent un rôle central dans les politiques pharmaceutiques nationales ».

    Prix et accès aux médicaments : une mobilisation pour garantir la droit à la santé pour tous-tes

    Le travail qui a été mené avec la réalisation de cette ordonnance s’inscrit dans la continuité de la mobilisation de la société civile sur le prix et l’accès aux médicaments en France débutée il y a dix ans. Un peu d’histoire. En 2014, un nouveau traitement contre l’hépatite C, le sofosbuvir (Sovaldi), arrive sur le marché. Son prix, trop élevé pour l’Assurance maladie, entraîne de la part de l’État la mise en place inédite d’un dispositif de rationnement et de sélection des patients-es susceptibles de recevoir ce nouveau médicament. Le marché français devient, dans les années qui suivent, le théâtre de l’arrivée successive de médicaments aux prix toujours plus élevés. Plusieurs associations de patients-es, de soignants-es, de consommateurs-rices ou d’étudiants-es se réunissent en 2018 pour rédiger ensemble un livre blanc « Médicaments et progrès thérapeutiques : garantir l’accès, maîtriser les prix ».

    Pas d'avancées réelles

    Six années plus tard, les organisations de la société civile mobilisées font le constat que « les recommandations pour plus de transparence dans le marché pharmaceutique, et notamment de renforcement du contrôle des prix et de la qualité des médicaments innovants, n’ont pas été appliquées ». L’État n’a que très marginalement agi sur le sujet. Par exemple, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2020 incluait une avancée majeure pour la transparence des prix. Les associations signataires sont aujourd’hui convaincues de l’importance de ne pas laisser le débat et ces enjeux d’intérêt général exclusivement réduits à un dialogue entre l’État et les industriels du médicament. Les associations enjoignent aujourd’hui la société civile à se mobiliser. « Il en va de la garantie du droit à la santé pour tous-tes, passant par un égal accès aux soins », expliquent-elles.

    Un collectif de la société civile sur le médicament

    L’objectif de ce collectif composé d’associations de santé (Action Santé Mondiale, AFM-Téléthon, AIDES, Association française des hémophiles, DNDi, France Assos Santé, la Ligue contre le cancer, Médecins du Monde, Open Insulin France, Prescrire, Renaloo, UAEM, UFC-Que Choisir, Vaincre la Mucoviscidose), de personnels soignants, de patients-es et d’organisations impliquées dans la recherche et le développement de médicaments est de défendre un système de santé fondé sur les besoins des personnes malades et l’accès pérenne aux produits de santé. Forts de leur expertise sur les enjeux pharmaceutiques et nourris par le vécu des personnes malades, les auteurs et autrices du document exposent un « constat critique accompagné de propositions pour avancer vers des solutions concrètes à l’échelle nationale, via les lois de financement de la sécurité sociale, et à l’échelle européenne où une révision des réglementations pharmaceutiques est en cours », explique le collectif. « L’ordonnance » propose pas moins de quinze articles qui s’intéressent à tous les aspects des politiques du médicament : de la recherche fondamentale à la perte de contrôle démocratique sur l’utilisation des ressources publiques, en passant par la révision de la législation pharmaceutique européenne ou l’accès à l’innovation thérapeutique.

    AIDES : « Mettre un terme à l’escalade des prix des médicaments » (extraits)

    Dans son texte, rédigé par l’experte Gaëlle Krikorian, l’association rappelle qu’elle s’est d’abord mobilisée sur la question des prix en 2014, au moment de la commercialisation du Sovaldi, un nouveau traitement contre l’hépatite C particulièrement efficace, mais vendu 41 000 euros pour une cure de trois mois par Gilead.

    « Le traitement est si cher que l’État organise un rationnement pour éviter que l’ensemble des personnes qui auraient pu vouloir le prendre ne le fasse… Puis, vient le Truvada, combinaison de l’emtricitabine et du ténofovir disoproxil fumarate, médicament utilisé en traitement du VIH, mais dont l’usage en préventif, dans le cadre de la prophylaxie pré-exposition (Prep), est autorisé en 2016. Gilead, à nouveau, veut bloquer l’accès aux génériques et maintenir un prix élevé à la boîte, environ 400 € au lieu de 180 €, ce qui a pour effet de freiner l’usage du traitement. Plus récemment, nous sommes confrontés-es au cas de la fixation du prix de Trogarzo (ibalizumab), un nouveau traitement contre le VIH pour les personnes présentant des résistances aux combinaisons de médicaments existantes. Alors en négociation avec le Comité économique des produits de santé (CEPS), qui, en France, négocie les prix des médicaments avec les industriels, Theratechnologies annonce fin mars 2022 son retrait du marché européen : le laboratoire estime, en effet, ne pas pouvoir obtenir un prix suffisant. Il demandait un prix facial autour de 100 000 euros par an (soit 2,5 fois plus cher que le traitement de dernier recours le plus récent), alors que le coût annuel d’une trithérapie classique est en moyenne autour de 7 000 euros ».

    Voilà pour le contexte, mais comment réagir ?

    « Nous savons aussi qu’une stratégie court-termiste qui pourrait nous faire fermer les yeux sur des prix trop élevés dans le souci d’assurer un accès au produit, met en danger la santé plus largement, explique l’association. Les dépenses consenties se reporteront dans d’autres domaines de la santé, sur la prise en charge d’autres pathologies ou d’autres types d’interventions médicales. Les prix de plus en plus élevés menacent le principe de l’accès universel aux médicaments dont les malades ont besoin ainsi que notre système de santé solidaire ».

    Dans sa contribution, AIDES avance qu’un des éléments clefs qui grèvent la fixation des prix « est le contexte d’opacité massive qui entoure l’économie des médicaments. Il est impossible en l’état des informations disponibles de savoir ce que coûte la R&D [recherche et développement] d’un médicament, combien les différents États et organismes publics ont investis pour qu’un traitement voit le jour, combien exactement les laboratoires détenteurs in fine des brevets ont contribué en ressources propres. La seule façon à l’heure actuelle d’ouvrir la boite noire est de lancer des chercheurs-ses et des journalistes sur le sujet, on l’a vu avec les enquêtes sur le financement de la R&D du vaccin Covid-1971. Ces enquêtes ont démontré qu’il était tout à fait possible de faire la lumière sur qui finance quoi, en relation avec un traitement particulier. Pourtant les États se refusent à adopter un principe de transparence. Il reste d’ailleurs impossible, aujourd’hui encore, de savoir dans quelles conditions les contrats d’achat des vaccins Covid-19 ont été passés en Europe. Cette opacité ne porte pas que sur les coûts, les investissements et les financements publics, mais aussi sur les prix eux-mêmes. Pendant longtemps, les États ont accepté de croire que le huis clos secret avec les industriels était la meilleure façon de bénéficier de bons « deals ». Pour schématiser, il était préférable de négocier les yeux bandés et les mains attachées dans le dos, les grands laboratoires et leurs agents de lobbying l’assuraient : ils vous feraient un bon prix, meilleur que celui du voisin, si vous acceptiez garder secret et de taire les conditions qui lui étaient associées. La situation est devenue si tendue financièrement pour les pays ces dernières dix années que de plus en plus de dirigeants-es nationaux-les ont reconnus qu’il valait mieux être plus transparents-es », analyse Gaëlle Krikorian.

    « En mai 2019, une résolution dans ce sens a été adoptée par l’immense majorité des États membres de l’Organisation mondiale de la santé, la France inclus.
    Que s’est-il passé depuis 2019 ? En France, une modification a été apportée à la loi en 2021. Plusieurs années de mobilisation de la société civile et de parlementaires ont été nécessaires à l’adoption, dans le cadre du PLFSS 2021, de l’obligation pour les entreprises pharmaceutiques de publier les aides reçues par l’État français
    (…) La transparence doit permettre de rééquilibrer le rapport de force biaisé avec les grosses firmes, et comme le souligne l’Assurance maladie dans son rapport officiel de 2019 pour réduire « l’asymétrie d’information rendant plus difficile l’estimation d’un juste prix pour les pouvoirs publics ». Cependant, la disposition initiale a été tronquée, elle se limite finalement aux aides directes, à l’exclusion de toutes les autres. Ainsi, par exemple, Sanofi qui a bénéficié de 150 millions d’euros de crédits d’impôt recherche en 2022, mais n’a déclaré dans ce rapport aucune aide de la France, puisque les exonérations fiscales ont été exclues des obligations de déclaration. En outre, deux ans après la mise en place de ce dispositif, il apparaît que les industriels y dérogent sans aucune conséquence. En 2023, seules deux entreprises ont déclarées des montants, s’élevant à un total dérisoire de 194 202 euros, comme l’indique le rapport du CEPS ».

    « Opacité maximale donc, et huis clos. Depuis des années, les associations de patients-es et les autres usagers-ères du système de santé demandent à être inclus-es dans le dispositif de négociation. Leur point de vue autour de la table sur la question de l’évaluation, des conditions d’utilisation, de remboursement ne pourrait qu’apporter des contre-points utiles », conclut la contribution de AIDES.