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    L’Actu vue par Remaides : « 3-MMC dans le métro : quelle affaire ! »

    • Actualité
    • 29.10.2024

     

    homme isolé foule bleue

     

    © DR

    Par Jean-François Laforgerie

     

    3-MMC dans le métro : quelle affaire !

    « L’affaire Andy Kerbrat », comme une certaine presse la nomme, est révélatrice du débat actuel sur l’usage et le statut des drogues en France. L’actu vue par Remaides revient sur ce cas où les arrière-pensées politiques nationales et locales sont légion.

    Député (LFI Nouveau Front populaire) de Loire-Atlantique, Andy Kerbrat est contrôlé par la police dans la soirée du 17 au 18 octobre dernier, dans le métro parisien, alors qu’il achète de la drogue de synthèse (3-MMC). Rapidement, ce cas, rapporté en premier par l’hebdo d’extrême droite Valeurs actuelles, essaime dans l’ensemble des médias, donnant lieu à de très nombreux articles, qui illustrent bien comment est abordée la question de l’usage de produits et comment sont traitées les personnes consommatrices, aujourd’hui.

    Le député concerné joue franc jeu

    Dans un communiqué, le député Andy Kerbrat joue franc jeu. « Le jeudi 17 octobre 2024, j’ai été contrôlé en possession de stupéfiants. J’ai reconnu immédiatement les faits qui m’étaient reprochés et me suis rendu le lendemain au commissariat pour une audition libre.
    J’assume entièrement ma responsabilité et me mets à la disposition de la justice qui me convoquera dans le cadre d’une ordonnance pénale.
    Mon entourage proche, mon équipe parlementaire ainsi que ma famille politique ont malheureusement appris les faits par des « révélations » par le journal d’extrême-droite Valeurs actuelles avant que je puisse les en informer directement. Cela interroge une nouvelle fois la porosité entre des sources policières et les médias d’extrême-droite », explique-t-il.
    Puis, le député avance des éléments plus personnels, dont des enjeux individuels et collectifs de santé : « Face à des problèmes personnels et des fragilités psychologiques, j’ai pu consommer des drogues de synthèse et suis pleinement conscient de leurs effets sur la santé et notamment sur la mienne. Au-delà de ma personne, l’addiction est un problème de santé publique et doit être traitée comme tel. Je porte ce combat depuis longtemps auprès d’autres victimes de l’addiction. Et je continuerai à le mener (….) Je me battrai contre cette addiction.
    Après avoir consulté mon médecin, je vais suivre un protocole de soins. Il me permettra de reprendre mon activité parlementaire. Dans l’intervalle, mon équipe de collaborateurs est à la disposition des habitants-es de ma circonscription. »
    Le communiqué est clair. Le député nomme les faits, sans dissimulation. Son message identifie un problème de santé individuel et un enjeu de santé collectif, auxquels le député s’engage à apporter une solution : un protocole de soins pour lui, la poursuite du combat contre les addictions pour tous-tes. Comment vont réagir certains médias et la classe politique ?

    Entre rappel des faits et pilonnage

    « Un député LFI pris en flagrant délit d’achat de drogue à Paris, il annonce entamer un protocole de soins », titre Le Figaro (22 octobre). Le quotidien rappelle les faits et explique ce qu’est une ordonnance pénale : « Une procédure classique pour les affaires pénales simples et de faible gravité, qui permet de juger le prévenu rapidement. » L’info reprise a paru la veille sur le site de Valeurs actuelles : « [Info VA] Paris : le député LFI Andy Kerbrat interpellé et poursuivi pour usage de stupéfiants. » Mais Le Figaro n’en reste pas là.
    Outre ce premier article factuel, le quotidien a choisi de multiplier les angles sur « l’affaire ». Le 22 octobre, il publie au total quatre articles sur le sujet : « Qui est Andy Kerbrat, le député LFI pris en flagrant délit d’achat de drogue dans le métro parisien ? » ; « Le cas Andy Kerbrat, une nouvelle ombre au tableau pour le groupe LFI à l’Assemblée » ; « Quand le député LFI Andy Kerbrat, interpellé pour achat de stupéfiant, indiquait soutenir le ʺdémantèlement des réseauxʺ de trafic de drogue » et enfin : « Andy Kerbrat, député LFI, pris en flagrant délit d’achat de drogue à Paris, Retailleau l’appelle à « tirer les conséquences de ses actes ». Cinq articles le même jour… cela commence à avoir des allures de pilonnage. « L’affaire » va prendre un tour très politique.

    D’autres médias ont choisi de faire parler l’élu concerné.  « ʺJe ne nie pasʺ : le député LFI Andy Kerbrat pris en flagrant délit d’achat de drogue à Paris », met ainsi en avant Ouest France (22 octobre). Le quotidien régional a souhaité faire réagir le député au-delà de son communiqué de presse. Le journal met en avant cette citation : « Je ne veux pas qu’on dise qu’Andy Kerbrat refuse de répondre aux questions. Je suis harcelé d’appels et de messages ce soir, mais tout le monde peut comprendre que je prenne le temps de peser ma réponse, mes explications, avec la responsabilité nécessaire. Cela prendra un certain temps. Mais je dirai tout. Je ne nie pas. Ce sont des faits reconnus. » Le Monde choisit, lui, de reprendre la dépêche de l’AFP et de mettre en avant un titre qui résume tout : « Pris en flagrant délit d’achat de stupéfiants, le député LFI Andy Kerbrat annonce vouloir ʺsuivre un protocole de soinʺ ». Cette dimension du traitement est souvent mise en avant, sans doute parce que cela change des habituelles excuses attendues et entendues dans ces circonstances, qui présentent l’usage régulier comme une « faute » et pas comme une question de santé.
    Reste que certains médias vont mettre en avant les « excuses » plutôt que le combat personnel et collectif du parlementaire. « Le député LFI Andy Kerbrat "reconnaît" avoir acheté de la drogue à Paris et présente ses "excuses" », explique ainsi Radio France (22 octobre).

    Un cas qui devient très politique

    « L’affaire Andy Kerbrat » (désormais les titres de certains médias emploient cette formule) devient une affaire politique sur deux aspects. Le premier est celui de la démission. Les attaques viennent rapidement du gouvernement ; Bruno Retailleau en tête. « Un député a un devoir d'exemplarité», explique le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, qui appelle ainsi (23 octobre) le député Andy Kerbrat, à « tirer les conséquences de ses actes » ; autrement dit de se démettre de son mandat. « Alors que le narcobanditisme s’installe en France avec son cortège de violences, il n’est pas tolérable de voir un député de la République acheter des drogues de synthèse à un dealer de rue. Un député a un devoir d’exemplarité », explique ainsi le locataire de la Place Beauvau sur le réseau social X.
    La démission : un souhait partagé par la secrétaire d'État à la Consommation et élue de droite nantaise Laurence Garnier (l’ancienne de la Manif pour tous que Michel Barnier voulait, un temps, mettre comme ministre de la Famille).
    Même appel à la démission chez le député du Rassemblement national, Laurent Jacobelli : « Qu'il soit malade, c'est possible, et qu'il faille qu'il ait un traitement, pourquoi pas. Mais il est surtout coupable, il a violé la loi, et pour quelqu'un qui est censé l'écrire, c'est quand même gênant. S'il avait un peu d'honneur, il démissionnerait. Et ça, c'est lui-même et sa conscience. » Une démission serait logique aussi pour le député macroniste Mathieu Lefèvre, qui juge que consommer de la drogue n'a rien d'anodin. « Le trafic de drogue, il naît d'abord des consommateurs, avance l'élu. Et s'il y a du narcobanditisme dans les petites et moyennes villes de province en France, c'est d'abord parce qu'il y a des consommateurs ». Le député macroniste appelle son collègue insoumis à se présenter à nouveau devant les électeurs-rices de sa circonscription pour laisser le suffrage universel décider de son avenir.
    Des critiques et appels à la démission émanent aussi d’élus-es de la région de Nantes, la circonscription d’Andy Kerbrat. « À l’instar du délégué du parti philippiste Horizons dans la ville de Nantes, Guillaume Richard, qui a exigé sur [les réseaux sociaux] la ʺdémissionʺ du député LFI. Cet appel à la démission est aussi soutenu par des élus comme Foulques Chombart de Lauwe (LR) et Mounir Belhamiti (Renaissance) ou encore le groupe « Mieux vivre à Nantes » conduit par Laurence Garnier (aujourd’hui au gouvernement) et Julien Bainvel, élu au conseil régional Pays de la Loire.

    Un autre angle est retenu pour "politiser" le cas

    Celui d’une supposée accumulation des « affaires » chez LFI. Le 22 octobre, Le Figaro emprunte cette voie en titrant : « Le cas Andy Kerbrat, une nouvelle ombre au tableau pour le groupe LFI à l’Assemblée ». L’article explique que « depuis le cas Quatennens, le groupe [serait] secoué par les affaires ». Pas plus de d’autres partis, pourtant. Et le quotidien de droite d’expliquer : « La mise en cause de l’élu Insoumis de Loire-Atlantique est en tout cas une nouvelle ombre au tableau pour le mouvement de Jean-Luc Mélenchon. Il y a quelques jours, un autre député, Hugo Prévost, a été contraint de démissionner de son mandat après avoir été accusé d’agressions sexuelles. LFI avait alors fait le choix d’exclure cet ancien syndicaliste étudiant de 25 ans en raison, précisait un communiqué, de ʺ faits graves à caractère sexuel pouvant relever d'infractions pénales, antérieurs ʺ à son élection ». Le Figaro a jugé bon de revenir sur « l’affaire Quatennens », alors que les situations n’ont rien en commun. Il a également choisi de ne pas faire état d’une affaire concernant l’alcool : le refus d’un test d’alcoolémie par un député LFI suite à un accident de la route.

    Du soutien à gauche

    Face aux attaques du centre, de la droite et de l’extrême-droite, plusieurs personnalités de gauche optent, au contraire, pour le soutien au député insoumis. C’est le cas des écologistes David Cormand (député européen) et Sandrine Rousseau (députée). « La consommation de drogue et l'addiction sont un enjeu de soin, de santé psychique et d'accompagnement. Tu as reconnu, tu es dans un parcours de soin. Reviens-nous en forme », a ainsi expliqué cette dernière dans un message chaleureux, assorti d’un cœur. Dans un tweet, le sénateur de Paris (Place publique) Bernard Jomier a expliqué : « Les addictions touchent toute la société, parlementaires et ministres inclus ».
    Le leader des Insoumis, Jean-Luc Mélenchon, a présenté à l'élu son « soutien très amical dans cette lutte » contre l'addiction. « Le député Andy Kerbrat a acheté un produit illégal. Il a reconnu le fait et présenté des excuses à notre mouvement et aux électeurs de sa circonscription », a-t-il également écrit, en ajoutant que l'intéressé « n'a commis de dommages que sur lui-même ». Collègue d’Andy Kerbrat, le député insoumis Paul Vannier écarte la démission. « Non, il doit se soigner (…) Ce problème touche des centaines de milliers de nos compatriotes. Le problème des addictions touche des millions d'entre eux. Et moi, je cherche à soigner ceux qui sont victimes de cette maladie plutôt qu'à les pointer du doigt », a-t-il expliqué sur Franceinfo.

    Des politiques, des activistes, des militants-es ont réagi en soutien au député

    « En soutien et en solidarité avec @AndyKerbrat ! Être dépendant n’est pas être un délinquant… Ça peut nous arriver à toutes et à tous », a écrit Jean-Luc Romero-Michel, adjoint à la maire de Paris. « Courage et soutien à @AndyKerbrat. On ne devrait pas avoir à s’excuser d’être dépendant. Jugement et répression pour usage simple ne mènent à rien. La seule politique en matière de drogues devrait être une politique de prévention, d’accès aux soins et de réduction des risques », a rappelé, pour sa part, la sénatrice EELV de Paris, Anne Souyris. « Le communiqué d @AndyKerbrat est respectable. Le stigmatiser est assez lâche. Les addictions touchent toute la société, parlementaires et ministres inclus. Notre réaction devrait être d’adopter une politique de santé publique plus forte : on en est loin », a indiqué Bernard Jomier, sénateur (Place publique) de Paris. Adjoint à la maire de Paris, David Belliard a expliqué : « Ce communiqué en dit long sur le retard que nous avons pris en matière de politique des drogues ! Le jour où on ne sera plus obligé de s'excuser d'une addiction et qu'on pourra, sans honte ni crainte d'être condamné ou stigmatisé, se soigner, on aura fait un grand pas ! Et on pourra éviter nombre de morts. Courage  @AndyKerbrat. »
    « L’usage de drogues et les addictions ont toujours été des enjeux de santé publique. Des enjeux auxquels notre pays répond jusqu’à présent si mal, toujours focalisé sur la répression plutôt que sur l’essentiel : le soin. Bon courage dans le chemin de soin que tu empruntes Andy » a expliqué la sénatrice écologiste Mélanie Vogel.
    Des militants-es se sont aussi exprimés. Directrice générale de Sidaction, Florence Thune a adressé ce message à l’élu : « S’il vous plaît ne vous excusez pas d’une addiction @AndyKerbrat… Les personnes qui devraient présenter leurs excuses sont celles qui utilisent l’addiction pour faire le buzz plutôt que de la considérer comme une urgence en santé publique (addiction à l’alcool comprise…) ». Avis partagé par la Fédération Addiction : « Personne ne devrait avoir à s’excuser : la drogue pose des questions de santé, pas des questions morales. Et en cas de problème ou de questionnement, les professionnels de l’addictologie sont là pour vous accompagner (que vous soyez élu ou pas !) ».  « La Rapporteuse spéciale de l'#ONU 🇺🇳 sur le droit à la santé appelle les États à se détourner des réponses punitives à la consommation de drogues et à adopter une approche axée sur la réduction des risques & les droits humains. Une autre voie est possible #SupportDontPunish », a commenté Sébastien Tüller, activiste et juriste (Amnesty International). Militant du Strass, Thierry Schaffauser a expliqué : « Le petit monde des chemsexeurs est + grand que ce qu'on croit. Andy n'est pas le seul élu concerné, mais lui est outé par la presse d'extrême droite. Espérons que la gauche saura le soutenir et non le stigmatiser. À quand une politique responsable qui décriminalise ? »
    « Il n'y a pas à s'excuser @AndyKerbrat d'avoir une addiction ni même de consommer de manière récréative et responsable. La répression n'a jamais fait une politique de santé publique. La politique de RdR à laquelle j'ai contribué dans les années 90 a sauvé de nombreuses vies », a commenté Odile Maurin, activiste sur les droits des personnes en situation de handicap.

    Un soutien incompris, voire dénigré

    Ce positionnement à gauche n’est pas compris, voire sèchement critiqué. C’est le cas avec l’hebdomadaire Marianne (22 octobre) qui titre : « Député LFI interpellé en possession de drogue : la gauche aveuglée par la posture victimaire d’Andy Kerbrat » avec un surtitre ironique, voire moqueur : « C'est pas sa faute à lui ». L’article entend dénoncer l’élu qui s’emploierait « à diluer sa responsabilité individuelle en adoptant une posture victimaire hors de propos ».
    Un registre pourtant complétement absent du communiqué du parlementaire.
    « Andy Kerbrat se décrit donc en addict — minimisant de fait sa responsabilité personnelle. Sans nier les effets d’une consommation régulière de drogue de synthèse sur la santé ni présumer des « problèmes personnels » réels ou supposés du parlementaire, remarquons que celui-ci a, du moins, les moyens de se soigner et, surtout, que l'événement tombe d'autant plus mal pour lui au vu de positions récentes », tacle le journal. Il ironise sur le fait qu’Andy Kerbrat  soit signataire d’une pétition appelant à une réponse urgente au chemsex, parue la veille de son interpellation dans le métro.
    On pourrait considérer qu’il faut pourtant être lucide et même courageux pour appeler à une action urgente des pouvoirs publics face à un problème dont soi-même on est victime.

    L’affaire a inévitablement donné lieu à des idées saugrenues. Sur Europe 1 (groupe Bolloré), on se demande s’il existe « un problème de drogue à l’Assemblée nationale ». « Pour en avoir le cœur net, une idée émerge à l'Assemblée nationale : faire passer des tests anti-drogue aux députés », explique la radio, qui est allée voir des députés-es à ce sujet. « Je suis favorable à la loi telle qu'elle doit être appliquée. Bien entendu, il faut qu'il y ait des tests partout », assure au micro d'Europe 1 le député d’extrême-droite (UDR) Éric Ciotti. Même son de cloche pour le député d’extrême-droite (RN) Laurent Jacobelli. « Aucun problème. Vous savez, moi, je n'ai jamais pris de drogue. Je pense que je n'en prendrais jamais. Je n'ai même jamais fumé de cigarettes », explique-t-il. En revanche, à gauche, on ne semble pas favorable à la mesure comme le défendent la députée (LFI) Danièle Obono ou la sénatrice écologiste Mélanie Vogel.

    Caricatural et bloqué

    Cette « affaire » pointe les limites du traitement médiatique sur les drogues : une presse qui adore clouer au pilori, qui ne voit la personne consommatrice qu’en coupable et qui appelle, sur tous les tons, à la sanction. Rares sont les personnalités publiques qui annoncent qu’elles vont se soigner et qui n’attendent pas leur passage au tribunal pour engager des soins. Pourtant, ce geste-là est moqué. Comme le sont aussi les explications avancées pour expliquer cette consommation. Sur ce point, l’interview d’Arnaud Abel, président de l'association LGBT universaliste Fiertés citoyennes, publiée par Le Point (23 octobre) : « On ne peut pas réduire toutes les critiques à l’égard d'Andy Kerbrat à des questions d’homophobie » pouvait susciter un certain malaise.
    Il n’est pas étonnant que dans cette « affaire », le clivage gauche/droite fonctionne à plein. Les demandes de sanctions, les papiers les plus sévères contre Andy Kerbrat sont venus de personnalités et de médias de droite et d’extrême-droite. La mansuétude est venue des propres amis-es du député. Le débat actuel sur cette « affaire » est à l’image du débat général sur l’usage et le statut des drogues en France : caricatural et bloqué.
    Remerciements à Fred Lebreton