L'actu vue par REMAIDES : "Gareth Thomas : Informer et éduquer sur le VIH, c’est devenu mon but et c'est ce qui me rend heureux"
- Actualité
- 29.01.2024
© Nina Zaghian
Par Fred Lebreton
« Informer et éduquer sur le VIH, c’est devenu mon but et c'est ce qui me rend heureux »
Vendredi 8 septembre 2023, un hôtel près de Montparnasse à Paris. À quelques heures du lancement de la Coupe du monde de rugby en France, nous avons rendez-vous avec l’ancien capitaine du XV gallois, Gareth Thomas (49 ans, 100 sélections). L’athlète, ouvertement gay et séropositif, est de passage à Paris pour soutenir la campagne « Tackle HIV » (« Plaquer le VIH » en français). Poignée de main chaleureuse et grand sourire, le colosse de 1m90 est impressionnant au premier abord, mais très vite, il nous met à l’aise. Il sait pourquoi il est là et il a des messages importants à faire passer. Interview.
Remaides : En décembre 2009, vous êtes le premier joueur de rugby professionnel à faire un coming out gay public. Dix ans plus tard, en septembre 2019, vous annoncez votre séropositivité dans la presse britannique suite à une menace d’outing. Quels parallèles faites-vous entre ces deux coming out ?
Gareth Thomas : Il y a beaucoup de similitudes, mais aussi beaucoup de différences entre les deux. Vivre dans le secret et ne pas être toujours soi-même parce qu'on est dans le placard font partie des similitudes. Mais, je pense aussi qu'il serait dangereux de dire à la société que l’homosexualité et le VIH sont automatiquement liés. Beaucoup de personnes pensent encore que le VIH n'affecte que les hommes gays et bisexuels donc il faut être prudent quand on associe les deux. Ce que m’ont appris ces coming out successifs, c'est que, plus quelque chose est intime, plus vous devenez vulnérable. Mon statut VIH était quelque chose de très intime que j’avais choisi de ne jamais révéler à qui que ce soit, parce que personne n'avait vraiment le droit de le savoir. Je savais que cela n'affecterait pas la façon dont je pouvais vivre ma vie au quotidien. Concernant mon orientation sexuelle, je voulais le dire aux autres parce que je savais que cela affectait la façon dont je vivais ma vie. Je voulais pouvoir marcher dans la rue main dans la main avec un autre homme sans avoir peur que quelqu'un nous prenne en photo ou essaie d’utiliser cette information contre moi. Ma séropositivité était une information d’ordre privé, mais d’autres personnes connaissaient mon statut sérologique et menaçaient de le révéler. Plus il y a des personnes qui connaissent votre statut, plus vous vous sentez vulnérable et sous l’emprise de ces personnes. J’ai annoncé ma séropositivité pour reprendre le contrôle sur ma vie.
Remaides : Vous avez déclaré dans la presse que la période qui a suivi l'annonce de votre séropositivité était « très sombre ». Que vouliez-vous dire par là ?
J’avais l’impression que les gens me définissaient en fonction de mon état de santé. Mon coming out VIH était devenu une histoire tellement importante dans les médias que c'était la seule chose par laquelle beaucoup de personnes me définissaient. Et ce que j'essayais de dire aux gens, c'est que le VIH ne définit pas qui je suis. Ce virus ne définit pas ce dont je suis capable. Parfois, j'avais l'impression qu'en parlant ouvertement du VIH, ma vie était devenue étrange et différente. J'entrais dans des restaurants, et les gens partaient en courant. Nous nous asseyions à une table, quelqu'un venait s'asseoir à cette table, puis réalisait que c'était moi et ne voulait plus rester là. Je suis allé dans des restaurants, des cafés, des pubs, où il y avait une file d'attente pour aller aux toilettes. Une fois que j’en sortais, les gens ne voulaient plus y aller après moi. Il y a eu des moments où les gens ne voulaient pas me serrer la main, ni me prendre dans leurs bras. Il y a eu des moments où les gens disaient à mon mari qu'il était un homme formidable parce qu'il avait épousé un homme séropositif. Ces moments étaient difficiles, mais ce que j'ai fini par comprendre, c’est que ce rejet et cette stigmatisation venaient d’une véritable peur et d’une grande méconnaissance du VIH et de ses modes de transmission. Ces personnes pensaient sincèrement que si nous partagions un siège de toilette, l'infection pouvait être transmise. Les premiers temps ont été difficiles, mais j’ai trouvé un moyen de surmonter la stigmatisation et j’ai transformé cette épreuve en combat.
Remaides : Quelles étaient vos connaissances sur le VIH avant de découvrir votre séropositivité ?
Je suis le produit de mon éducation. Je suis le produit de l'endroit où je vis et je suis le produit de mes parents. Donc, tout ce que je savais sur le VIH, c'était ce que tout le monde autour de moi savait. Lorsque nous allumions la télévision dans les années 1980, on pouvait voir une campagne qui disait que le sida était la « peste gay » ou que c'était une maladie mortelle sans traitement efficace. Donc, pendant des années, j’ai gardé l’idée qu’être séropositif, c’était une vie de solitude où les gens ne vous toucheraient pas à moins de porter des gants. Une maladie incurable avec comme seule issue la mort. C'est pourquoi, lorsque j'ai découvert ma séropositivité, je ne voulais pas le dire à mes parents, ni à qui que ce soit parce que je ne voulais pas qu'ils aient à traverser cette épreuve avec moi. Je préférais la traverser seul. Je n'avais jamais rien appris à ce sujet à l'école. Nous n'en parlions jamais au pub ni à la maison. On m'a toujours dit que si vous voulez obtenir des informations médicales, il ne fallait pas chercher sur Google donc je suis resté dans une forme d’ignorance avec des représentations datées et erronées du VIH/sida. Il faut dire aussi qu’à l'époque, je n'avais pas vraiment envie de me confronter à ce sujet non plus. Ce n'est qu'après de nombreuses consultations à l’hôpital que j'ai enfin commencé à écouter ce que les médecins et les infirmières me disaient.
« Je ne suis pas en recherche de reconnaissance ou de célébrité. J’aimerais qu’on se souvienne de moi quand je ne serai plus là, en rappelant que j’ai essayé d'aider des personnes que je ne rencontrerai jamais. Ce que je fais, c’est pour les autres, pour la communauté. Je veux faire tout mon possible pour que les personnes qui sont diagnostiquées séropositives aujourd’hui ne vivent pas ce que j’ai vécu : la honte, le secret, la stigmatisation. »
Remaides : Le rugby est un sport de contact parfois violent avec potentiellement des blessures et du sang. Avez-vous connu des actes ou paroles sérophobes dans ce sport ?
Pas sur le terrain, mais j'ai beaucoup entendu d’insultes homophobes, en revanche. Certaines personnes se sont servies de mon orientation sexuelle pour essayer de me nuire. Mais la sérophobie, je l’ai connue ailleurs. Des personnes m’ont insulté ou craché dessus en pleine rue ! C’était tellement violent que ma première réaction était de ne plus vouloir sortir dans la rue et de rester cloitré chez moi. Mais, j’ai fait tout le contraire. Lorsque ces incidents se produisaient, je marchais dans la même rue, à la même heure le lendemain. Puis le jour suivant, je marchais dans la même rue à la même heure. Je ne me cachais jamais. C'était ma façon de surmonter cette violence et de remporter la bataille contre la stigmatisation. C'était ma façon de dire à ces personnes : « Si vous voulez le refaire, vous le refaites, mais il viendra un moment où vous arrêterez. Vous vous rendrez compte que cela ne me touche pas. Vous vous rendrez compte que cela ne me fait pas mal. Vous vous rendrez compte que ça ne va pas m’arrêter. Je continuerai à passer à la télévision. Je continuerai à faire entendre ma voix. Je continuerai à être visible sur ce sujet ». Certaines personnes, parce que c'est un sujet inconfortable, veulent vous faire taire. Je ne me tairai pas.
Remaides : En juillet 2020, moins d’un an après votre coming out VIH, vous acceptez de devenir porte-parole de la campagne « Tackle HIV » (voir encart) en partenariat avec la firme pharmaceutique ViiV Healthcare. Que représente cette campagne pour vous ?
Cette campagne, c'est ma vie ! Je veux que les gens comprennent que je ne fais pas la campagne une fois de temps en temps tous les deux mois pour faire un peu de presse, puis je m'en vais. C'est un choix de vie pour moi. J’y pense tous les jours et j’essaie constamment de trouver de nouvelles façons de la faire vivre. J’ai voulu utiliser la plateforme que le rugby m’a donnée pour être, en quelque sorte, la voix des silencieux et donner de la force aux personnes qui se sentent vulnérables. Je ne veux plus que des personnes se retrouvent dans la position où j’étais lorsque j'ai été diagnostiqué séropositif. Il faut ramener le VIH au premier plan et faire connaitre les avancées thérapeutiques. Beaucoup de personnes ignorent U = U ou le remettent en cause. Quand j’expliquais que je ne pouvais pas transmettre le VIH grâce à mon traitement, certaines personnes avaient du mal à me croire. Je me suis dit qu’il fallait expliquer et amplifier ce message, que cela devait être dit à la télévision et dans les journaux. Les gens avaient besoin d'en entendre parler parce que c'est une avancée fantastique en science. Je pense que si ces avancées avaient été faites pour n'importe quel autre virus ou maladie, les gens voudraient le célébrer. Pourtant, parce que le VIH est toujours un sujet tabou, l’information ne circule pas. Plus je parle de ce sujet, plus l’audience que je peux obtenir pour en parler est grande, plus cette nouvelle devient normale. Je veux que cette campagne produise un effet domino pour normaliser et déstigmatiser la vie avec le VIH.
Remaides : À quoi ressemble votre vie aujourd’hui ?
J'ai une si belle vie. Vraiment. J'ai un mari magnifique, une belle famille et beaucoup de soutien autour de moi. J’ai réalisé que la vie ne consistait pas à avoir une pièce pleine de personnes qui vous adorent, mais peut-être deux ou trois personnes sur lesquelles vous pouvez vraiment compter. Je pense que nous traversons la vie en voulant que tout le monde nous aime, mais cela n'arrivera jamais. J’aimerais qu’on se souvienne de moi quand je ne serai plus là, en rappelant que j’ai essayé d'aider des personnes que je ne rencontrerai jamais. Je ne suis pas en recherche de reconnaissance ou de célébrité. Ce que je fais, c’est pour les autres, pour la communauté. Je veux faire tout mon possible pour que les personnes qui sont diagnostiquées séropositives aujourd’hui ne vivent pas ce que j’ai vécu : la honte, le secret, la stigmatisation. Je pourrais rester chez moi avec ma famille. J'ai une belle maison en bord de plage. Le rugby m'a donné un style de vie grâce auquel je n'ai plus besoin de travailler, mais j’ai choisi de m’engager dans ce combat car j’ai conscience de l’audience dont je bénéficie.
Remaides : Pouvez-vous nous dire en une phrase, ce que U = U (Indétectable = Intransmissible) représente pour vous ?
C'est difficile de résumer en une phrase. Pour moi, ce n'est pas tellement la façon dont cela affecte ma vie, mais plutôt comment cela affecte mon cercle intime. J’étais vraiment heureux quand j'ai réussi à faire comprendre à mes parents, aux parents de mon mari, à la fille de mon mari, à mon petit-fils, que je ne suis pas une menace pour eux. Quand ma belle-fille a eu son fils, donc mon beau-petit-fils, il y a eu une vraie crainte au début, que, peut-être, si j'avais une coupure à la main, le virus pourrait être transmis à l’enfant. Aujourd’hui, ma famille est informée, ils connaissent U = U, donc maintenant, mes proches savent que je peux soigner un bobo de mon petit-fils et qu'il n'y a aucun risque de transmission. Ils savent que je peux avoir une vie sexuelle parfaitement épanouie avec mon mari et qu'il n'y a aucun risque de transmission. Informer et éduquer sur le VIH, c’est devenu mon but et c'est ce qui me rend heureux.
Une campagne pour « plaquer le VIH »
Tackle HIV (« Plaquer le VIH) est une campagne de lutte contre le VIH du laboratoire pharmaceutique ViiV Healthcare. Initiée en Grande-Bretagne, elle s’appuie sur le monde du rugby avec comme ambassadeur Gareth Thomas. Lors de grands événements du rugby, un bus aux couleurs de la campagne est déployé pour aller à la rencontre du public et ainsi : informer sur le VIH, lutter contre la stigmatisation et favoriser l’accès au soin. À l’occasion de la Coupe du monde de rugby 2023 en France, le bus était présent dans les fans zones de trois villes françaises : Paris, Toulouse et Nice. À son bord, des militants-es de AIDES, partenaire de cette campagne en France, ont proposé des actions de prévention et de dépistage aux publics rencontrés.