L’actu vue par REMAIDES : "RDR en prison : la colère des associations"
- Actualité
- 30.01.2024
© Bastien André
Par Jean-François Laforgerie et Fred Lebreton
RDR en prison : la colère des associations
En 2016, le Parlement inscrivait, dans la loi Santé, l’extension à la réduction des risques (RDR) du principe d’équivalence des soins entre le milieu ouvert et le milieu fermé. Huit ans plus tard, le décret d’application n’est toujours pas publié et la loi n’est toujours pas respectée. En conséquence, l’accès aux outils et dispositifs de RDR est quasiment inexistant en prison, lieu avec une forte prévalence des addictions et des maladies infectieuses. Dix-sept associations réclament la publication du décret d’application de ladite loi sur son volet RDR en prison. La rédaction de Remaides leur donne la parole.
Un die-in devant le Ministère de la Justice
« Prisonniers contaminés, État complice ! », « Des seringues, en prison, moins de contaminations ! », « Solidarité avec les injecteurs incarcérés ! » scandent une vingtaine de personnes. Nous sommes le vendredi 26 janvier 2024, il est 8h30 du matin et le parvis du Ministère de la Justice, Place Vendôme à Paris, vient d’être investi par un groupe de militants-es des associations AIDES, Médecins du Monde et de la Fédération Addictions. Tout va très vite, deux militants-es déroulent une banderole qui indique « Réduction des risques en prison contre les overdoses et contaminations. Depuis 8 ans, l’État n’applique pas la loi ». Pendant ce temps, les autres se saisissent de seringues géantes tandis qu’un autre militant déverse près de 1000 seringues dans un grand bac déposé sur le parvis. Trois agents de sécurité observent la scène sans intervenir. Quelques passants s’arrêtent pour observer ce qui se passe mais la place reste relativement calme et vide à cette heure de la journée. Tout à coup, les militants-es s’allongent au sol pour un court die-in tandis que deux militantes de AIDES et de la Fédération Addiction prennent la parole pour expliquer le sens de cette action.
La date et le lieu de cette action n’ont pas été choisis au hasard. Ce 26 janvier 2024 marque les huit ans de la loi Santé votée en 2016 et les associations sont mobilisées devant le Ministère de la Justice pour exiger l’application de la loi sur son volet réduction des risques en prison. La veille, 16 associations, dont AIDES, Médecins du Monde, la Fédération Addictions, Act Up Sud-Ouest, ASUD (Autosupport des usagers de drogues), Observatoire international des prisons, Sida Info Service, Sidaction et le TRT-5 CHV, ont signé un communiqué de presse inter associatif pour réclamer que la loi santé soit respectée :
« Nous appelons la direction générale de la santé, la direction de l’administration pénitentiaire et les ministères de la Santé et de la Justice à inclure nos recommandations dans la rédaction d’un décret qui pourra ainsi répondre à l’ampleur de la crise sanitaire actuelle en prison. Nous appelons la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté et le défenseur des droits à contrôler l’application de la loi de santé 2016 sur son volet RDR en prison » exhortent les associations signataires.
"On attend tout simplement que l'Etat respecte la loi!"
Présente à l’action devant le Ministère de la Justice, Alexia Decouis, administratrice nationale de AIDES référente sur la RDR ne cache pas sa frustration : « Nous attendons que la loi de 2016, qui permet l'égal accès à la santé, et particulièrement sur le volet accès à la réduction des risques en prison, soit appliquée au bout de huit ans ! Il faut un accès égal à la santé entre le milieu ouvert et le milieu carcéral. Aujourd'hui, c'est une question d'urgence sanitaire. Il y a beaucoup d'a priori, de préjugés et de fantasmes autour de l'usage des seringues en prison. Il y a ce fantasme que la consommation de drogue n’existe pas en milieu fermé, ce qui est totalement faux, puisqu'on sait qu'un tiers des personnes incarcérées sont des usagers-ères de drogue, et que la quasi-totalité continue à consommer en prison » explique la militante.
Même son de cloche pour Marie Öngün-Rombaldi, déléguée générale de la Fédération Addiction, également présente à l’action : « On attend tout simplement que l'État respecte la loi, dont on fête l'anniversaire aujourd'hui. C'était il y a huit ans. Cela fait huit ans que la réduction des risques est censée s'appliquer pour les personnes détenues comme elle s'applique à l'extérieur. Et elle n'est toujours pas appliquée avec tous les risques que nous connaissons pour les personnes détenues : Overdose, transmission du VIH et des hépatites etc. Nous trouvons cela profondément injuste et inacceptable. D’abord parce que les personnes détenues en France n’ont pas les mêmes droits que les autres. Et aussi, pour des questions de santé publique à la fois pour ces personnes et aussi pour des questions de sécurité à l'intérieur des prisons » déplore la militante.
« Ce que nous essayons de faire comprendre aussi au ministère de la Justice, c'est qu’un programme d'échange de seringues, c'est bénéfique pour tout le monde. Actuellement, nous savons qu'il y a des consommations et des injections en prison, cela ne sert à rien de les nier. Les personnes qui consomment en prison cachent leurs seringues ou vont les jeter où elles peuvent. Avec un programme d'échange de seringues, les seringues usagées sont récupérées. De fait, il y a moins de risques de se blesser ou de contracter le VIH ou une hépatite. Tout le monde serait gagnant si la loi était appliquée » appuie Marie Öngün-Rombaldi.
Un recours au Conseil d'Etat
Depuis l’adoption de la loi de modernisation de notre système de santé le 26 janvier 2016, aucun gouvernement n’a pris le décret nécessaire à son application face à l’urgence sanitaire que représente la réduction des risques en prison. En l’absence de décret, les associations ont attaqué l’État et interpellé les parlementaires. Le 18 octobre 2022, huit associations ont déposé un recours au Conseil d’État afin de contraindre le gouvernement à appliquer la loi en prison. Où en est ce recours ? « Selon l'avocat qui suit le dossier, on devrait avoir une date d'audience dans les prochaines semaines. Le délibéré de justice sera rendu dans les semaines qui suivront également. Nous attendons dans les prochains mois une réponse qui, nous l'espérons, contraindra le gouvernement à produire le décret nécessaire à l'application de la loi de 2016 » explique Zoé Boyer, chargée de mission plaidoyer sur drogues, VIH, transidentités et prison à AIDES.
En attendant cette décision de justice, comment font les associations pour sensibiliser les personnes détenues et le personnel pénitentiaire à la RDR ? « Nos adhérents interviennent en prison, en plus des unités sanitaires qui, en général, dépendent des hôpitaux. Et ils sont dans des conditions de travail extrêmement compliquées, dépendantes d'une prison à une autre. Parfois, ça se passe très bien. Ils arrivent à travailler avec les surveillants, avec la direction. Et parfois, ils n'ont même pas de bureau. C'est compliqué de rentrer, de diffuser les messages » déplore Marie Öngün-Rombaldi. La déléguée générale de la Fédération Addiction appelle à un grand plan de formation de l'administration pénitentiaire comme cela se fait dans plein d'autres pays (Canada, Allemagne, Suisse etc.) : « Il y a des études internationales qui ont montré que les programmes d’échanges de seringues marchaient, qu'il y avait moins de transmissions, moins de blessures et surtout que la seringue n'était jamais utilisée comme une arme. Parce que c’est un argument qu’on nous oppose. Des armes, malheureusement, il y en a d'autres qui circulent en prison et beaucoup plus dangereuses. Il n'y a aucun cas dans les études internationales qui montrent que les seringues auraient pu être utilisées comme une arme. Et les programmes d’échanges de seringue n’engendrent pas non plus une augmentation des consommations » relève la militante.
De son côté, Alexia Decouis souligne le fait que les militants-es de AIDES sont toujours intervenus-es en prison : « En 2022, nous avons comptabilisé 217 actions en milieu carcéral, 452 entretiens individuels et 408 personnes détenues rencontrées ». L’administratrice de AIDES cite le cas de la maison d'arrêt d'Angers, qui a officiellement un dispositif de réduction des risques et d'échange de seringues. « Mais nous voyons bien que c'est appliqué de manière assez inégale en fonction des personnes sensibilisées » déplore la militante.
Les réticences de l'institution pénitentiaire
Dans le prolongement de la publication de son Avis suivi de recommandations et de son rapport sur la prévention, le dépistage et le traitement de l’hépatite C chez les personnes détenues, le Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS) a réuni les acteurs de la prise en charge du VHC en prison, à l’occasion d’un colloque virtuel le 17 mars 2021. Parmi les freins identifiés au déploiement d’une stratégie forte de RDR en milieu carcéral, l’institution pénitentiaire elle-même ! Magali Hamm, adjointe à la cheffe du département des politiques sociales et des partenariats au ministère de la Justice, était présente au colloque. Elle a fait un commentaire qui en dit long sur la vision des programmes d’échanges des seringues par la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) : « C'est compliqué pour le personnel de permettre des salles de shoot alors qu'ils font la chasse aux produits illicites ». Dommage de reprendre le terme « salle de shoot » souvent utilisé par les opposants aux salles de consommation à moindre risque (SCMR) et dommage aussi de n’envisager la RDR liée à l’injection par le seul prisme du répressif.
"Faut-il soigner les méchants?"
En conclusion de ce colloque, Hugues Fisher, militant chez Act Up-Paris et membre du CNS, était revenu sur la dimension politique de la santé en prison. Pour lui, le dépistage n’est pas une fin en soi, mais il s’agit avant tout de faire prendre conscience aux détenus de l’importance de prendre soin de leur santé et au personnel pénitentiaire de l’importance de la RDR. « Faut-il soigner les méchants » demandait l’activiste ? La question peut faire sourire, mais elle a quasiment une portée philosophique. Liberté, égalité, fraternité est la devise de la République française. Comment est-ce possible que cette devise ne soit pas appliquée à tous les citoyens, y compris celles et ceux qui sont détenus ? « C'est tout le problème de cette question. En fait, elle est prise politiquement d'un point de vue moral et pas d'un point de vue santé publique. Le Ministère de la Justice est sur une position morale alors que les associations appellent à une approche pragmatique. Cela concerne les détenus, mais de manière générale, tous les consommateurs de drogues illicites en France. La difficulté c’est que les détenus qui consomment des drogues illicites subissent la double peine » déplore Marie Öngün-Rombaldi.
Alexia Decouis fait le même constat amer : « Il y a des préjugés sur les usagers de drogue. Nous savons bien que la stigmatisation, les discriminations tuent et font le lit des épidémies. Le fait d'avoir une approche de santé moralisatrice n'aide personne. Les personnes détenues finissent par sortir de prison à un moment. Il y a donc la question de préparer les retours. Six à dix fois plus de contamination du VIH et des hépatites en prison, c'est un moteur de transmission de ces épidémies. La prison ne peut pas être une zone de non-droit » conclu la militante.
- Une forte prévalence des maladies infectieuses
La prévalence du VIH et des hépatites virales est 6 à 10 fois plus importante que dans la population générale (Prevalence of Human Immunodeficiency Virus and Hepatitis C Virus Among French Prison Inmates in 2010 : A Challenge for Public Health Policy, 2013). C’est la conséquence d’un contexte de pratiques de consommation à risques et d’absence de matériel de réduction des risques stérile (sniff, injection).
- Risques pour la santé : des conditions de consommations dégradées
Il est estimé que 60 % des consommateurs-rices de produits illicites autres que le cannabis utilisent le sniff pour consommer, et que 30 % utilisent l’injection (Use of psychoactive substances in prison : Results of a study in the Lyon-Corbas prison, France. Revue d’Épidémiologie et de Santé publique). Parmi les personnes incarcérées qui rapportaient des pratiques d’injection en milieu libre, 14 % les poursuivaient en prison ; et parmi elles 40,5 % déclaraient avoir partagé leur matériel, selon une étude portant sur les pratiques d’injection chez les personnes consommatrices dans les prisons françaises (ANRS-Coquelicot survey 2011-2013) publiée, en 2017, dans la Drug and Alcohol Review.
- Une forte prévalence des addictions
La prévalence des addictions parmi les personnes incarcérées est plus importante qu’en milieu ouvert. On estime qu’un tiers des personnes qui entrent en prison présentent une problématique d’addiction (hors tabac) et que la quasi-totalité continuent à consommer d’une manière ou d’une autre, en milieu fermé, selon l’étude Usages de drogues en prison – Pratiques, conséquences et réponses, Paris, OFDT, 2019. Plus de 80 % des personnes détenues consomment.
- Une brochure sur le VIH/VHC en prison
AIDES a actualisé sa brochure VIH/Hépatites. Les bases pour comprendre et agir destinée aux personnes détenues, leurs proches et aux professionnels-les intervenant en milieu carcéral. La précédente version datait de 2010. Outre les modes de transmission du VIH et des hépatites virales et des moyens de RDR envisageables en détention, elle traite à présent des divers moyens de dépistage existants, de la prévention diversifiée avec la Prep et le Tasp et aussi de la naloxone pour éviter les risques de surdose, etc.