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    L'actu vue par REMAIDES : "Il existe un risque réel de résurgence de l'infection Mpox en France, il faut nous y préparer"

    • Actualité
    • 29.02.2024
    © Jean-Daniel Lelièvre

    Par Jean-François Laforgerie et Fred Lebreton 

    « Il existe un risque réel de résurgence de l'infection Mpox en France,  il faut nous y préparer »

    Près de deux ans après la survenue d’une épidémie de Mpox (Monkeypox ou variole du singe) dans de nombreux pays du monde, y compris la France, où en sommes-nous ? Le Mpox peut-il revenir chez nous à l’approche des Jeux Olympiques ? Sommes-nous en capacité de vacciner les populations les plus exposées ? Quels sont les risques pour les personnes vivant avec le VIH ? Pour répondre à ces questions, la rédaction de Remaides a rencontré le Pr Jean-Daniel Lelièvre. Infectiologue au CHU Henri Mondor (Créteil), le professeur en immunologie est spécialiste en vaccinologie, expert auprès du Comité technique français des vaccinations (NITAG), de l'Agence européenne des médicaments (EMA) et de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et directeur de la recherche clinique à l'Institut de recherche vaccinale (VRI).

    Jean-Daniel LelievreRemaides : En France, l’épidémie de Mpox semble contrôlée, même si le virus circule toujours à très bas seuil (41 cas en France en 2023, entre un et cinq cas par mois). Un retour du virus est-il possible en 2024 chez nous ?

    Pr Jean-Daniel Lelièvre : Pour comprendre la situation, il faut garder en tête que la fin de l’épidémie de 2022 est liée à l’utilisation large de la vaccination, mais également à la mise en place de stratégies de réduction des risques de la part de la population la plus exposée au Mpox, à savoir les HSH [les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, ndlr]. Les données actuelles montrent que le R0 de l’infection Mpox [Le R0 ou nombre de reproduction de base, indique le nombre moyen de nouveaux cas d’une maladie qu’une seule personne infectée et contagieuse va générer en moyenne dans une population sans aucune immunité, ndlr] se situe entre 0,57 et, au maximum, 1,25, ce qui fait du Mpox un virus peu transmissible [en 2020, le R0 de la Covid-19 était en moyenne de 3,49, ndlr]. Le risque de pandémie est plus important s’il existe la possibilité d’une transmission lors de la phase asymptomatique et la présence de réservoirs animaux. Les données montrent à l’heure actuelle que la transmission survient essentiellement en phase symptomatique lors d’un contact étroit avec une personne qui a des lésions. Cependant, la recherche a mis en évidence des transmissions en phase asymptomatique sans que l’on sache si celles-ci étaient dues à des transmissions par contact cutané ou muqueux avec des lésions non diagnostiquées ou étaient éventuellement la conséquence de transmission aérienne. Ces modes de transmission restent cependant rares. Contrairement à la variole, le Mpox peut infecter les animaux et notamment les rongeurs. Il est probable que des réservoirs se sont établis dans les pays non endémiques. Des auteurs ont montré une forte probabilité de sensibilité au Mpox parmi plusieurs espèces sauvages en Europe, ce qui correspond à l'épicentre de l'épidémie actuelle. Ces résultats mettent également en évidence le risque de retombées immédiates et la persistance potentielle du Mpox. Le renard roux et le rat brun (Rattus norvegicus) ont établi des interactions avec des déchets urbains et des eaux usées potentiellement contaminés, et c'est peut-être de cette manière qu'ils pourraient provoquer une propagation potentielle du Mpox.

    Nous savons que la maladie va revenir. Toute la question, c'est de savoir quand. Et cela est lié à plusieurs facteurs. Il y a d’abord la baisse de l'immunité en population générale [notamment avec l’arrêt de la vaccination dans l’enfance, ndlr]. Nous savons que l'immunité baisse au cours du temps, il y a donc un risque de réapparition. Il y a aussi les personnes plus jeunes et notamment les HSH qui entrent dans leur sexualité et qui n’ont pas été vaccinés en 2022. Le Mpox est une IST qui sous sa forme actuelle touche essentiellement les HSH. Enfin, il ne faut pas négliger le risque particulier que nous avons en 2024 avec les Jeux Olympiques de Paris. Cet évènement mondial va occasionner un grand brassage de population, avec un risque potentiel de réapparition du Mpox à ce moment-là. Il ne s'agit pas d'inquiéter les populations, mais de prévoir tous les scénarios. Il existe un risque très clair de résurgence du Mpox en France et en Europe, sauf si des campagnes de vaccination très larges sont rapidement mises en place.

    Remaides : Pouvez-vous nous rappeler quels sont les schémas vaccinaux recommandés actuellement selon que l’on ait été vacciné-e ou pas dans son enfance ?

    La vaccination repose sur l’utilisation du vaccin MVA (Modified Vaccine Ankara) produit par la firme pharmaceutique Bavarian Nordic au Danemark. Bien que produit peu avant l'annonce de l'éradication de la variole, le vaccin MVA a pu être utilisé comme vaccin antivariolique, ayant été homologué en Bavière en 1977. Ce vaccin est actuellement disponible sous différents noms en fonction de la région ou du pays où il est disponible (Imvanex en Europe ; Imvamune au Canada et Jynneos aux États-Unis). Le schéma vaccinal officiel est le suivant :

    • Pas d’antécédent de vaccination contre la variole dans l’enfance : deux doses à 28 jours d’intervalle ;
    • Vaccination dans l’enfance : une seule dose de rappel

    En France, la vaccination contre la variole était obligatoire jusqu'en 1979 et la maladie a été déclarée comme éradiquée en 1980, grâce à une campagne de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Vous pouvez vérifier cette vaccination dans votre carnet de santé, mais dans le doute, il n'y a pas de problème à faire les deux doses de vaccination.

    Remaides : Des personnes vaccinées avec les vaccins anti-Mpox en 2022 ont malgré tout pu être infectées quelques mois plus tard. Que sait-on aujourd’hui de la durée de l’immunité conférée par ce vaccin ? Faut-il se préparer à une revaccination en 2024 ? Et l’efficacité des vaccins porte-t-elle surtout contre l’infection ou une moindre sévérité de la maladie ?

    Le vaccin est susceptible d’induire une réponse anticorps (protection contre l’infection) et cellulaire (protection contre la maladie) ; les deux semblent intervenir, même si la première semble plus importante. 

    Des études menées à l'époque de la vaccination antivariolique, lorsque les virus de la variole et de la vaccine [communément appelée « variole de la vache », la vaccine est une maladie infectieuse des bovidés — cowpox en anglais — et des équidés — horsepox en anglais —, ndlr] étaient encore en circulation, ont suggéré que l'immunité protectrice contre la variole diminuait cinq à dix ans après l'inoculation de la vaccine. Cependant, de nombreuses études montrent que les personnes qui ont été vaccinées par la variole dans leur enfance conservent des niveaux élevés d'anticorps contre le virus de la variole. Il est intéressant de noter que ces personnes ont également des niveaux significatifs d'anticorps neutralisants contre le Mpox, avant toute infection par ce virus. Différents auteurs ont montré qu’il persistait une réponse mémoire à la vaccination contre la variole : au-delà de 60 ans pour la réponse humorale, celle susceptible de produire des anticorps au moins 25 ans après la fin de la campagne de vaccination pour la réponse cellulaire. Ces résultats expliquent les recommandations actuelles d'administrer une seule dose de vaccin pour prévenir l'infection par le Mpox chez les personnes ayant des antécédents de vaccination antivariolique dans l'enfance [les personnes de plus de 50 ans, ndlr].

    La persistance de la réponse après le vaccin MVA est différente car ces deux vaccins sont différents. Le MVA est un virus non réplicatif. L’avantage est qu’il peut être administré chez des personnes immunodéprimées, l’inconvénient est que l’immunogénicité [la capacité qu'a un antigène de provoquer une réponse immunitaire bien spécifique, ndlr] est moins importante notamment concernant la durée de la protection après vaccination. Ainsi les données sont plus fragmentaires en ce qui concerne la persistance des réponses immunitaires après une vaccination avec un vaccin MVA. Les premières données ont été obtenues chez le modèle de primates non humains. Il a été démontré que des macaques, immunisés deux fois avec du MVA, ont résisté à un test d’infection par le virus Mpox, deux ans après la vaccination, démontrant ainsi la durabilité de l'immunité protectrice. Chez les animaux vaccinés, aucune corrélation n'a été trouvée entre l'ampleur des réponses immunitaires avant le « challenge viral » et la charge virale ou le nombre de lésions après infection. On dispose pour l’homme des résultats d’un essai de phase 2 mené en République démocratique du Congo entre 2017 et 2019, durant lequel 1600 volontaires ont été inclus dans un essai de phase 2 pour étudier la réponse immunitaire anti-Mpox au vaccin MVA.  Outre la confirmation de la très bonne tolérance du vaccin, les résultats de cet essai ont été l'induction d'une réponse anticorps anti-Mpox neutralisante efficace avec un pic observé au jour 42 (14 jours après la seconde dose), un déclin rapide après le pic chez les participants qui n'avaient pas été vaccinés dans l'enfance contre la variole, des niveaux plus stables chez ceux qui avaient déjà été vaccinés avec un déclin lent jusqu'à deux ans après la vaccination. La persistance de la réponse anticorps semble donc plus courte avec le vaccin MVA qu'avec les vaccins plus anciens, mais implique probablement la nécessité de vaccinations de rappel. À noter que les autorités américaines recommandent un rappel vaccinal deux ans après la primo-vaccination chez les personnes à risque d'infection par les poxvirus dans un contexte professionnel [par exemple, le personnel soignant, ndlr]

    En résumé, nous savons qu'après deux ans, il y a une perte de l'efficacité vaccinale. Une ou deux doses, ce n’est pas suffisant. Il faut faire au moins trois doses. Et plus, vous allez attendre entre les deux premières doses, plus l'immunité va persister très longtemps.  Pourquoi ? La première dose de vaccin va conduire les lymphocytes B naïfs à se transformer en plasmocytes, cellules capables de sécréter des anticorps mais ne pouvant plus subir de maturation future et en lymphocytes B mémoire. Il s’agit d’un processus assez long (>14j) Les anticorps produits par ces premiers plasmocytes sont efficaces, mais loin d’être optimaux. La deuxième dose permet de stimuler directement les lymphocytes B mémoires. Stimuler des lymphocytes B mémoires plutôt que des lymphocytes B naïfs est plus intéressant. En effet, les lymphocytes B mémoires ont modifié la partie de leur ADN codant pour les anticorps dans  l’optique de produire des anticorps plus efficaces, avec une plus grande affinité pour l’antigène. Après stimulation par le rappel vaccinal, ils vont se transformer plus rapidement en plasmocytes (3 à 5 jours). Ces plasmocytes générés après stimulation des lymphocytes B mémoires vont survivre plus longtemps, et vont produire plus d’anticorps qui seront plus efficaces. Plus vous attendez avant l’injection suivante plus la maturation des lymphocytes B mémoire est importante et plus la qualité et la durée de production des anticorps seront optimales. Toutefois attendre trop entre les deux premières doses expose au risque de s’infecter dans l’intervalle entre celles-ci. Un schéma de vaccination optimal pour le Mpox serait donc deux doses rapprochées, pour se protéger rapidement, et une troisième dose de rappel plus tardive [plusieurs mois après, ndlr] pour se protéger longtemps. 

    Remaides : Le 5 décembre 2023, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est dite « inquiète des risques de propagation internationale de l’épidémie de Mpox » suite à une nouvelle résurgence du virus en République démocratique du Congo (RDC). La souche de virus concernée correspond au clade I (souche) qui, jusque-là, n’était pas associé à une transmission par voie sexuelle. Pouvez-vous nous expliquer les différences entre le clade I et le clade II du Mpox ? Quelle est l’efficacité des vaccins actuels sur cette nouvelle souche ?

    Les souches de type I et II étant très proches, il n’est pas attendu de différences entre elles en termes d’efficacité après vaccination par le MVA. Aucune des deux souches différentes de Mpox n’était connue avant 2022 pour être associée à une transmission par voie sexuelle. Ces deux souches génétiquement distinctes du virus Mpox, ont été détectées historiquement dans des régions différentes, dans lesquelles elles continuent chacune à être associées à des résurgences régulières. La souche de type I, souche d'Afrique centrale, est associée à un taux de mortalité de 10,6 % alors que ce taux a été estimé à 3,6 % dans les épidémies dues à la souche ouest-africaine connue sous le nom de clade II, comprenant les sous-lignées IIa et IIb. Ces dernières correspondent aux souches isolées en 2022. La plupart des décès ont été signalés chez des enfants et des jeunes adultes, avec un risque de formes graves chez les personnes immunodéprimées. Toutefois, la mortalité est plus faible dans les pays à revenu élevé, pays qui sont dotés de systèmes de santé permettant une prise en charge appropriée des cas graves.

    L’épidémiologie historique et les liens génétiques suggèrent que l’épidémie mondiale de Mpox de 2022 pourrait provenir de régions épidémiques, car les séquences du virus Mpox de 2022 ont toutes une pertinence génétique par rapport à celles de l’épidémie de Mpox au Nigeria et des retombées par les voyages internationaux en 2018-2019. Les mutations retrouvées dans le virus de 2022 indiquent qu’elles ont été provoquées par l’action d’APOBEC3, enzyme cellulaire agissant dans la protection contre les infections virales et permettant d’aboutir à des infections moins pathogènes. APOBEC3 induit des mutations signatures et on a donc pu constater que l’épidémie de 2022 chez les HSH avec une souche clade II B.1 circulait probablement depuis plusieurs années. Après l'identification de la lignée B.1, un certain nombre de pays ont signalé d'autres lignées se situant en dehors de la diversité de la lignée B.1, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni, le Portugal, l'Inde et la Thaïlande. Dans presque tous les cas, ces cas sont signalés comme ayant un lien avec des voyages internationaux. Les lignées dans lesquelles ils sont placés (désignées par A.2.1, A.2.2, A.2.3 et A.3) peuvent toutes être retracées jusqu'à l'épidémie au Nigeria. Cela suggère qu'au moins un cas de transmission interhumaine soutenue est toujours en cours en dehors des réseaux reconnus de HSH qui étaient au centre de l'épidémie mondiale de 2022.

    Historiquement, le Mpox a été considéré comme une zoonose [maladie infectieuse qui est passée de l’animal à l’homme, ndlr] et les cas ont été traités comme des événements indépendants avec de faibles niveaux de circulation dans la population humaine. Jusqu’en avril 2023, cette caractérisation du clade I en Afrique centrale restait exacte et aucun cas documenté de transmission sexuelle du Mpox de clade I n’avait été enregistré à l’échelle mondiale. Du 1er janvier au 12 novembre 2023, un total de 12 569 cas suspects de Mpox, dont 581 mortels (taux de mortalité : 4,6 %), ont été signalés dans 156 zones dans 22 des 26 provinces (85 %) en RDC. Il est difficile pour l’instant de prévoir l’extension de cette épidémie et les risques de résurgence, mais il est clair que l’épidémiologie des infections Mpox a clairement changé.

    En résumé, les souches I et II du Mpox sont proches, mais sont suffisamment différentes pour donner des pathologies avec une sévérité différente. La souche I est la souche la plus virulente qui est capable de produire les pathologies et les formes plus graves de la maladie. La souche II l’est beaucoup moins. La problématique importante, c’est qu’on retrouve dans les deux souches une transmission interhumaine par voie sexuelle.

    Remaides : Des pistes de recherche sur le vaccin anti-Mpox sont-elles en cours ? Et si oui, sur quoi portent-elles ?

    Il faut savoir qu’il existe non pas une, mais plusieurs souches de MVA. Ce vaccin a été utilisé à partir des années 1980 comme vecteur viral (cf. le vaccin anti Covid-19 d’Astrazeneca). Nous avons pu montrer qu’une souche MVA développée par la société Transgene et utilisée comme vecteur pour un vaccin anti VIH par le VRI [Institut de recherche vaccinale, ndlr] induisait des réponses immunitaires importantes et même supérieures à celles induites par le MVA développé par Bavarian Nordic [Hubert M et al, Cell Host Microbe. 2023 doi: 10.1016/j.chom.2023.05.001, ndlr].

    Le Mpox est assez éloigné du MVA. Plusieurs équipes cherchent à mettre au point des vaccins plus spécifiques. Les stratégies en cours sont les mêmes que celles développées dans la création de vaccins contre d’autres pathogènes. On utilise soit le virus entier qui est inactivé ou atténué, soit des protéines virales dont on a montré l’intérêt immunogénique [L'immunogénicité est la capacité qu'a un antigène de provoquer une réponse immunitaire bien spécifique, ndlr] qui sont utilisées soit sous forme de protéines, soit sous la forme de la fraction codante qui est incluse dans un vecteur viral, un ADN ou un ARNm. Aucun essai clinique n’est actuellement mis en place chez l’homme avec ces différentes stratégies.

    Nous avions déposé un projet avec des équipes de l’Institut Pasteur. Malheureusement, nous n’avons pas eu de financement pour le développement d'un nouveau vaccin Mpox. C’est regrettable car nous avons montré, qu’au moins in vitro, notre vaccin MVA marchait bien, voire mieux que celui de Bavarian Nordic. Il faudrait qu’on puisse fabriquer ce type de vaccin chez nous pour avoir une certaine autonomie vaccinale en France et en Europe. Par ailleurs, d’un point de vue politique de santé mondiale, on ne vaccine pas les populations africaines, ce qui est scandaleux. L’épidémie actuelle en RDC aurait pu être évitée. Il faut donner aux Africains les capacités scientifiques et ensuite les moyens de produire leurs propres vaccins, d’autant que le vaccin anti Mpox n’est pas très compliqué à produire. 

    Remaides : Les études montrent que les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) sous traitement efficace réagissent bien au vaccin Mpox et ne sont pas exposées à un sur risque de faire une forme sévère. Quid des autres PVVIH ? À partir de quel taux de CD4, le risque est-il plus élevé de faire une forme grave et la réponse immunitaire moins bonne ?

    Lors des précédentes épidémies d’infection Mpox, le fait d’être une personne vivant avec le VIH (PVVIH) était un facteur de gravité de l’infection et notamment de mortalité chez les PVVIH avec un taux de CD4 inférieur à 200/mm3. Comme c’est le cas pour les autres co-infections : un taux de CD4 inférieur à 200/mm3 est un facteur de risque d’évolution vers des formes plus diffuses associées à plus de complications, voire à des décès qui restent cependant rares. Il est important de rappeler que les rares cas de décès sont survenus dans des pays où la prise en charge du VIH n’est pas optimale. Si votre infection à VIH est bien contrôlée, avec une charge virale indétectable et des CD4 supérieurs à 350/mm3, vous n’avez pas de sur-risque de développer une forme sévère du Mpox. Globalement, nous savons que la réponse immunitaire est un peu moins bonne chez les PVVIH dépistées et traitées en comparaison aux personnes séronégatives au VIH, mais qu'elle est suffisante et qu'elle protège des formes graves et des décès. L’enjeu de santé publique se situe chez les PVVIH non dépistées et non traitées avec un taux de CD4 inférieur à 200/mm3. Ce sont ces personnes qui payent toujours un lourd tribut lié à l'infection. Il faut déclarer le Mpox comme une IST et proposer la vaccination à toutes les personnes qui sont les plus exposées et notamment aux personnes vivant avec le VIH et aux personnes sous Prep. On propose déjà à ces populations la vaccination contre l'hépatite B, alors pourquoi ne pas inclure la vaccination Mpox ?

    Remaides : De votre point de vue d’expert, en cas de résurgence du Mpox en France, sommes-nous prêts (état des stocks des vaccins, procédures facilitées pour des sorties de vaccins de la réserve stratégique, offre vaccinale, offre de soins pour les cas sévères, etc.) ? Quelles seraient les mesures à prendre prioritairement ?

    Plusieurs points sont abordés ici. Il est important de comprendre que la réserve stratégique concerne des stocks d’anciens vaccins dits de première et deuxième générations contre la variole et pas le MVA. Ces vaccins utilisables en cas d’attaque terroriste avec le virus de la variole ne sont pas utilisables chez les personnes immunodéprimées et exposent à des effets indésirables. L’état des stocks des vaccins de Bavarian Nordic n’est pas connu. Il faut rappeler que cette firme pharmaceutique est le seul producteur mondial actuel de MVA. Les capacités estimées de production annuelle sont de l’ordre de 30 à 40 millions de doses. Les États-Unis ont déclaré qu’ils pouvaient produire environ 100 millions de doses d’ACAM200 qui est un vaccin plus ancien et moins bien toléré. Nous ne sommes donc pas prêts en cas de résurgence ou en tout cas pas comme nous devrions l’être, compte tenu de l’ensemble des données que nous avons en mains. Les actions à prendre seraient :

    • Dès aujourd’hui, de reconnaître que l’infection Mpox est une IST touchant principalement les HSH et dès lors vacciner ceux-ci dès qu’ils commencent à avoir des relations sexuelles avec sans doute un schéma vaccinal différent avec trois doses et des doses de rappel ;
    • De poursuivre les études cliniques sur les schémas vaccinaux optimaux et recourir à des vaccinations par voie intradermique plus systématique. Étudier le schéma de deux doses plus une troisième dose six mois après, afin de connaitre la durée de la persistance de la vaccination ;
    • De poursuivre en France le développement de nouveaux vaccins et celui des MVA disponibles sur le territoire, pour se rendre autonome en cas de résurgence probable de l’infection ;
    • En cas d’épidémie, il conviendrait à mon sens de faire une dose de rappel à toutes les personnes qui ont été primo vaccinées en 2022 et vacciner les personnes les plus exposées à un risque de Mpox dont la définition exacte dépendra de la forme que prendra une nouvelle épidémie.

    ➡️ Pour aller plus loin

    Vaccin Mpox par voie intradermique ou sous-cutanée ?

    Le vaccin MVA-BN étant peu disponible, la question de changer la voie d'administration du vaccin en utilisant la voie intradermique [sous la peau, ndlr] avec une dose cinq fois plus faible a été soulevée. Des études ont été menées sur l'utilisation du vaccin MVA par voie intradermique permettant de réduire la dose de vaccin à un cinquième de ce qu'elle est avec la voie sous-cutanée. La première a inclus 500 personnes adultes réparties en deux groupes, comparant l'immunogénicité et la réactogénicité d'un schéma de deux doses de MVA-BN à 1 x 108 DICT50 par voie sous-cutanée à un schéma de 2 doses à 2 x 107 DICT50 par voie intradermique(correspondant à 1/5ème de la dose par voie SC) [la réactogénicité est la capacité d'un vaccin de produire des réactions adverses sous forme d'une réponse immunologique excessive se manifestant par de la fièvre, de la douleur à l'endroit d'injection accompagnée d'un gonflement, une induration et une rougeur, ndlr].

    Les résultats ont montré une réponse immunitaire similaire (non-infériorité) entre les voies sous-cutanée et intradermique, mais une plus grande réactogénicité (rougeur, induration, gonflement, démangeaisons) dans la voie intradermique, y compris la persistance de réactions locales jusqu'à six mois après la première dose chez plus d'un tiers des participants-es. La seconde était une étude en double aveugle, contrôlée par placebo, impliquant 72 adultes (60 MVA-BN et 12 placebo) divisés en trois groupes avec différentes voies d'administration (sous-cutanée, intradermique, intramusculaire). Les résultats ont montré une réponse en anticorps neutralisants similaire lorsque MVA-BN est administré par voie intradermique et sous-cutanée, et avec une dose de MVA-BN jusqu'à dix fois plus faible en intradermique  qu'en sous-cutanée. Là encore, la réactogénicité locale était plus importante avec la voie intradermique (érythème, induration). Une demande d'urgence pour autoriser l'administration intradermique du vaccin a été prise par la FDA (l’agence américaine du médicament) en août 2022. Plusieurs autres pays notamment en Europe — dont la France — ont pris la même décision.

    Traitement du Mpox, quelles sont les recommandations françaises ?

    Le seul médicament autorisé à ce jour pour traiter le Mpox est le Tecovirimat, qui bloque la sortie des orthopoxvirus, en ciblant la protéine virale F13 (TPOXX,). Toutefois, la FDA (l’agence américaine du médicament)  note que le Tecovirimat présente une faible barrière à la résistance virale et que de petites modifications de la protéine F13 pourraient avoir un impact important sur l'activité antivirale du médicament. La base moléculaire de l'activité du Tecovirimat n'est pas connue et il n'est pas possible de prédire quelles mutations conduiront à une résistance. Ce médicament, disponible par voie orale, est administré chez les personnes hospitalisées avec formes sévères sans recommandations très claires. On peut s’aider des recommandations du CDC américain :

    L'utilisation du Tecovirimat doit être envisagée chez les personnes présentant les manifestations cliniques suivantes :

    • Maladie grave — on parle de maladie grave lorsqu'un-e patient-e présente des conditions telles qu'une maladie hémorragique, un grand nombre de lésions confluentes, une septicémie, une encéphalite, des infections oculaires ou périorbitaires, ou d'autres conditions nécessitant une hospitalisation ;
    • Atteinte de zones anatomiques susceptibles d'entraîner des séquelles graves, notamment des cicatrices ou des sténoses — il s'agit notamment de lésions touchant directement le pharynx et entraînant une dysphagie (difficulté à avaler), une incapacité à contrôler les sécrétions ou la nécessité d'une alimentation parentérale (par la voie naturelle) ; les lésions du prépuce pénien, de la vulve, du vagin, de l'urètre ou du rectum susceptibles de provoquer des sténoses ou de nécessiter un cathétérisme (la pose d’une sonde) ; les lésions anales gênant le transit intestinal (par exemple, douleur intense) ; et les infections graves (y compris les infections bactériennes secondaires de la peau), en particulier celles qui nécessitent une intervention chirurgicale telle qu'un débridement [intervention chirurgicale visant à enlever des tissus infectés, croûtes, etc. pour favoriser la cicatrisation d’une plaie, ndlr] ;

    L'utilisation de Tecovirimat doit également être envisagée chez les personnes présentant un risque élevé de maladie grave :

    • Les personnes souffrant actuellement d'une immunodépression sévère due à des conditions telles qu'un virus de l'immunodéficience humaine (VIH) avancé ou mal contrôlé, une leucémie, un lymphome, une tumeur maligne généralisée, une transplantation d'organe solide, une thérapie avec des agents alkylants, des antimétabolites, des radiations, etc. ;
    • La prise d’inhibiteurs du facteur de nécrose tumorale ou corticostéroïdes à forte dose ;
    • Le fait d‘avoir reçu une greffe de cellules souches hématopoïétiques moins de 24 mois après la transplantation ou plus de 24 mois, mais avec une maladie du greffon contre l'hôte ou une rechute de la maladie, ou avoir une maladie auto-immune avec un déficit immunitaire comme composante clinique ;
    • Les populations pédiatriques, en particulier les enfants âgés-es de moins d'un an ;
    • Les femmes enceintes ou allaitantes ;
    • Les personnes souffrant d'une affection affectant l'intégrité de la peau (dermatite atopique, eczéma, brûlures, impétigo, infection par le virus de la varicelle et du zona, infection par le virus de l'herpès simplex, acné sévère, dermatite fessière sévère avec des zones étendues de peau dénudée, psoriasis ou maladie de Darier (kératose folliculaire)).

    Une étude récente publiée dans la revue JAMA Internal Medicine a montré l’intérêt de traiter précocement une infection Mpox chez des PVVIH c’est-à-dire dans les sept jours suivant la survenue des symptômes. Pour intéressante qu’elle soit, cette étude ne peut faire l’objet d’une recommandation large, faute de résultats d’études, avec plus de personnes, de phase 3 actuellement en cours (ClinicalTrials.gov Identifier: NCT05534984)

    Le Tecovirimat peut interagir avec de nombreux autres médicaments dont des ARV. Compte tenu de la rareté de l’utilisation de ce médicament et de son administration uniquement hospitalière, il est préférable de s’adresser au-à la médecin qui vous prend en charge. Enfin, le Pr Jean-Daniel Lelièvre évoque la recherche autour des d'anticorps monoclonaux qui peuvent être une piste intéressante dans la prévention et le traitement du Mpox.