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    S’attendre à l’inattendu !

    « Attends-toi à l’inattendu ». Cette formule du sociologue Edgar Morin, je l’ai utilisée, il y a quelques temps, dans mon discours d’ouverture du dernier congrès de AIDES, en septembre; le premier auquel j’assiste en tant que nouvelle présidente nationale de l’association. J’ai choisi ces mots parce qu’ils résument bien la période que nous avons vécue et que beaucoup d’entre nous subissent encore : celle d’une crise « imprévisible » que certains-es experts-es avaient néanmoins imaginée. Autrement dit : la survenue d’une « situation imprévisible » était prévisible, mais nous ne l’avons pas anticipée. Et on nous annonce même que nous ne sommes pas à l’abri que cela se reproduise dans le futur. Mais plutôt que de craindre pour demain, pensons d’abord à maintenant. Maintenant, c’est une situation déplorable du fait des conséquences de la crise sanitaire de la Covid-19. Elles ont été plus dures pour les personnes qui étaient déjà les plus fragiles, les plus précarisées, les plus isolées, celles qui vivent avec le VIH et les hépatites virales ou qui y sont plus exposées. Les Universités des personnes vivant avec le VIH et les hépatites virales des Hauts-de-France qui se sont déroulées en octobre dernier à Neufchâtel-Hardelot l’ont montré. Nous y avons entendu des témoignages, forts, parfois émouvants, sur la vie placée sous la contrainte d’épidémies doubles, comme une double peine.

    L’anticipation est un enjeu collectif, mais la responsabilité en incombe d’abord et surtout à l’État. Face à la Covid-19, c’est l’impréparation qui frappe en premier. Nous avons tous et toutes des exemples en tête de dysfonctionnements, de manques (masques, lits d’hôpitaux, personnels…), d’erreurs (le blocage sur les brevets de vaccins qui prive de nombreux pays du Sud d’un outil efficace de prévention et de survie des populations…). Bien entendu, je n’ignore pas que répondre à une crise de cette ampleur est complexe ; mais en l’espèce, nous payons maintenant le refus, parfois obstiné, des pouvoirs publics de tenir compte des enseignements des crises sanitaires précédentes que nous avons vécues. Celle du VIH, au premier chef. Les enseignements de la lutte contre le sida ont été oubliés et son héritage, pourtant efficient, méprisé.

    Dans mon discours au congrès de AIDES, je rappelais ceci : « Associer les personnes vulnérables et les personnes infectées aux décisions qui les concernent, faire appel aux acteurs et actrices de proximité et aux personnes paires pour créer de la confiance dans le système de santé, faire témoigner les malades tout autant que les soignants-es… Nous avons fait l’expérience de tout ce que cela apporte pour lutter efficacement contre des épidémies. Alors, il serait peut-être bien de regarder les principes d’action qui ont été expérimentés et ont fait leurs preuves dans le contexte de la lutte contre le VIH/sida ».

    Ce message, nous sommes beaucoup à l’avoir porté depuis deux ans et à y croire encore. Mais la « résistance » est à l’œuvre et les vieux schémas se répètent. L’État fait toujours sans les personnes concernées et choisit souvent (toujours ?) de contraindre plutôt que de convaincre. Je suis frappée de voir que les mises en garde d’où qu’elles viennent ne sont pas prises au sérieux. Le 20 octobre dernier, la Défenseure des droits, Claire Hédon, faisait part dans un communiqué de son inquiétude concernant la prorogation du régime de l’état d’urgence sanitaire jusqu’en juillet 2022 (alors qu’il y a des élections capitales pour le pays) et de la mise en œuvre de mesures d’exception permanentes qu’elle permet. Fin septembre, le sociologue Didier Fassin nous alertait (dans une interview à Décision santé) sur les conséquences de cette interminable crise sanitaire. Selon lui, cette crise est « sans précédent dans le monde moderne, non pas pour sa gravité, mais pour les réactions qu’elle a suscitées en termes de suspension des libertés publiques et des droits fondamentaux ». Et c’est valable aussi chez nous ! On en mesure les conséquences sur la vie avec le VIH ou les hépatites virales, les personnes travailleuses du sexe, les personnes migrantes et d’autres, les inégalités, les droits, les pratiques, les consommations, etc. On en mesure aussi les conséquences sur les dépistages, l’accès aux traitements qu’ils soient curatifs ou préventifs (Prep), etc. Le risque est désormais de voir les progrès de ces dernières années passer à la trappe de la Covid-19.

    Vieux schémas. Difficile de qualifier autrement la passe d’armes à laquelle nous assistons entre les ministères de la Santé et de l’Intérieur concernant la consommation de drogues. Les logiques (la santé publique pour l’un, la répression pour l’autre) se télescopent ; c’est un grand classique qui fait très monde d’avant ! Certes, le gouvernement annonce la future création d’espaces de consommation à moindre risque, un progrès et une nouvelle reconnaissance de la réduction des risques ; mais cette avancée est aussitôt contrebalancée par une politique martiale qui déplace les gens qui consomment du crack, les parque et bâti un mur pour les séparer des autres. Certes, on nomme un éminent addictologue, le professeur Amine Benyamina, pour le développement d’une « stratégie de réduction des risques de l’usage des produits dans le chemsex » et de prise en charge des personnes concernées ; mais cette initiative disparaît derrière les sorties du ministre Darmanin sur le mode : « La drogue, c’est de la merde ! »

    Nous sommes aujourd’hui placés-es sous la marque de la « vigilance sanitaire ». C’est d’ailleurs le titre de la dernière loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire. Cette « vigilance » ne doit pas porter uniquement sur la Covid-19. Notre attention collective (l’État compris) ne doit pas faire oublier les autres maladies et tout spécialement celles contre lesquelles nous sommes mobilisés-es. Nous savons que les nouvelles contaminations au VIH, au VHC ou aux IST progressent et que les chiffres actuels ne fournissent qu’une image imprécise de la situation réelle. Dans ce domaine, nous entendons jouer notre rôle pour rattraper les opportunités manquées de dépistage ou de mise sous Prep consécutives à la crise. Nous entendons aussi jouer notre rôle dans l’accompagnement des personnes qui vivent avec le VIH et les hépatites virales qui ont pu prendre des distances avec leur suivi, qui ont le sentiment d’être oubliées de leurs médecins, qui ont été ou sont encore les victimes de cette double peine qu’est la superposition de ces deux épidémies.

    Nous… C’est ce nous qui est notre marque et notre force. Notre force collective est la résultante de nos expériences, de nos expertises, de nos parcours respectifs. Elle est aussi le fruit d’une volonté commune pour que, contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, plus rien ne soit fait pour nous sans nous. Ce n’est pas une utopie, mais sans doute ma façon à moi d’attendre l’inattendu !

    Camille Spire, présidente de AIDES

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